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Site sur la Science-fiction et le Fantastique

Articles avec #anticipation

 

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Une autre chose me surprit de Sylvana : sa curiosité insatiable sur tout ce qui touchait au nucléaire en général, et à mes travaux en particulier. Certes cela pouvait passer pour l'intérêt qu'une épouse attentionnée porte au métier de son mari, et je ne pouvais que l'en louer. Mais l'étendue de ses connaissances était digne d'une spécialiste confirmée, et non d'une ancienne hôtesse de l'air même abreuvée de lectures de vulgarisation. Elle répondi t tranquillement.

 

" Tu ne te souviens pas ? J'ai toujours été fascinée par le sujet. " Elle sourit rêveusement. " C'est en partie à cause de cela que tu me séduisis. Tes conversations sur la matière, les étoiles, le cosmos... me passionnaient littéralement... Tu le savais bien, et tu en profitais un peu avoue le. Tu ne te plaignais pas alors de ma soif de connaissances, lorsque tu m'attirais dans ta chambre sous le fallacieux prétexte de poursuivre une discussion. Tu ne détestais pas non plus fouiller sous mes jupes et mon corsage à la recherche d'atomes perdus ... "

 

 

Plusieurs fois je la vis même examiner mes papiers alors qu'ils étaient disséminés sur le bureau : elle les lisait comme si son oeil les photographiait. Lorsque je lui demandais quelque explication elle me répondait qu'elle remettait de l'ordre dans ce fouillis. Au cours de toute discussion elle gardait  un calme étonnant, comme si elle était insensible.

 

L'illumination de la connaissance me frappa d'un coup, alors qu'elle était partie à Paris pour je ne sais quel spectacle de ballet noir dont parlait le journal local. Peut-être qu'en réalité elle allait rejoindre le beau jeune homme blond. Mais je ne lui demandai rien à ce sujet...

 

 

Je profitai de son absence pour me préparer amoureusement de la salade dont je raffolais. D'autant plus qu'elle était fraîche cueillie du jardin. En sentant la feuille de laitue craquer sous ma dent, je murmurai ce que je cherchais avec obstination depuis longtemps, et que je devinais presque sans y parvenir tout à fait.

 

" Mais c'est une plante !" Elle en avait toutes les caractéristiques, la consistance, le parfum, l'insensibilité, et son amour de la terre, si nécessaire à son développement.

 

" J'étais amoureux d'une femme-salade ! "

 

 

J'étais ébloui de la découverte et atterré de ce qu'elle comportait.

 

Je compris enfin le pourquoi de Sylvana. Sylva, Sylvae : la forêt. Elle était du peuple des forêts. Elle était une plante.

 

Je décidai de la faire passer aux aveux pour confirmer mes soupçons. A cet effet avant son retour, je débarrassai un réduit, où nous avions coutume d'entasser des réserves. Celui-ci était muni d'une solide porte avec un verrou qu'il était impossible d'ouvrir de l'intérieur. Seul un étroit soupirail laissait passer un peu d'air. Aucune lumière qui filtrait, aucun robinet d'eau à l'intérieur du local.

 

Lorsqu'elle rentra avec un sourire lumineux et une bise retentissante, je lui déclarai que j'allais lui montrer quelque chose d'extraordinaire. Je l'attirai dans le cellier. Sans se méfier elle me suivit. Lorsqu'elle fut â l'intérieur je refermai le piège.

 

Elle réalisa tout de suite mon intention.

 

J'eus un peu honte de moi. Elle me fit savoir d'ailleurs d'un ton à fendre le coeur le plus rude que j'avais trahi sa confiance, et qu'elle ne me pardonnerait pas. Je dus résister pour ne point la libérer de suite.

" Que veux-tu de moi ?" implora-t-elle.

" Que tu m'avoues la vérité ! Qui tu es, d'où tu viens, ce que tu es venue faire ici, qu'espères-tu connaître de moi et de ce lieu ? Pourquoi t'intéresses tu tant aux problèmes nucléaires, pourquoi ma as-tu choisi, moi et non pas un autre pour feindre d'être mon mari ? En un mot je veux tout savoir de toi.

 

 

" Je t'ai dit la vérité. Tu as tout oublié !" Et voyant que je ne la croyais pas elle ajouta: " Je n’ai pas le droit de te rien dire... Si non je serais punie, je crèverais. As-tu envie que je crève ? »

 

Non je n'en avais point envie et elle le savait bien. Mais je ne céderais point !

 

« Je reviendrai quand tu auras décidé de parler. En attendant tu n'auras ni lumière, ni nourriture, ni air en quantité. ''

 

Et je partis en la laissant là, dans un coin comme une vulgaire légumineuse.

 

Plusieurs fois par jour je jetais un coup d'oeil au travers d'une petite ouverture de la porte. Elle me voyait sans doute mais ne m'adressait pas une parole. Je repartais dépité, et souffrant pour elle.

 

Elle changeait littéralement d'heure en heure. D'abord ses couleurs l'abandonnèrent, sa peau se flétrit et devint verdâtre. Elle se desséchait, se recroquevillait, réellement comme feuille â l'automne.

 

Et son air de plus en plus désolé de plus en plus farouchement résigné. " De l’eau, de l’eau. « geignait-elle d'une voix déchirante. Bientôt elle n'eût même plus la force de réclamer. Elle se contentait ­lorsqu'elle entendait mes pas de regarder vers la porte avec un air de muet reproche.

 

Une odeur d'herbe en décomposition montait du petit tas qu’elle se  mettait à constituer dans un coin. Ses cheveux naguère flamboyants devenaient fourchus, et s'en allaient par poignées lorsqu'elle les disciplinait d'une main rageuse.

Je me fis l'effet d'un bourreau, mais je restai ferme et résolu.

 

Enfin un après-midi alors que je la contemplais en piteux état. Un mince filet sortit de sa bouche :" je parlerai... " crus-je comprendre. J'entrai, laissant passer un rai de lumière. Elle était presque entièrement brûlée par endroits. Je décidai de ne point la toucher de crainte de la briser en mille morceaux.

 

Je pensai qu'il serait sage de procéder progressivement comme je savais que font les médecins auprès d'un homme égaré dans le désert resté longtemps sans boire. L'absorption de boissons en trop grande quantité à la fois le tuerait aussi sûrement qu'un coup- de fusil.

 

Je me demandai si je n'étais pas allé au-delà de la limite ne pas dépasser pour la ramener à la vie. Si elle devait mourir je ne pourrais me consoler de sa perte et de mon acte.

 

Tout cela pour lui faire raconter une histoire qui m'intéressait,...

 

Je poussai tout grand l'huis qui donnait sur un couloir assez sombre, de façon à ce qu'une trop grande lumière ne vint point 1'éblouir, mais qu'il y en eut tout de même. J'ouvris une fenêtre du couloir pour, que l'air vint baigner la cellule.

J’apportai de l'eau dans un récipient. J'en versai une partie dans ce qui restait de son gosier, et répandit quelques gouttes sur les parties encore vivantes de son épiderme. Je répétais cette opération toutes les deux ou trois heures.

 

Son organisme semblait absorber avidement l’eau. La régénération se faisait, peu à peu la sensibilité revenait. La forme de son corps se reconstituait grossièrement, évoquant le souvenir de ce qui avait été merveilleux. Ses yeux encore brouillés s'ouvraient cependant et me regardaient fixement.

 

Sa bouche devenait de plus en plus avide d'eau, comme celle d'un jeune chiot. Je devais la réfréner.

 

La vie semblait s'épandre en elle comme une onde. Les parties flétries et sèches tombaient d’elles-mêmes et étaient remplacées par des peaux nouvelles.

 

 

Lorsque je la trouvai assez forte pour pouvoir la prendre dans mes bras sans risquer de la casser, je la portai dans la salle de bains dont j'avais ouvert toute grande la petite fenêtre.

 

A l'eau j’avais mélangé de la terre et des produits nourriciers comme je l'avais vu faire par elle et dont j'avais maintenant compris l'usage. Son visage s'éclaira à cette vue. Je la laissai après l'avoir délicatement posée dans la baignoire comme une fleur rare dans un vase. Et j'aimais cette orchidée venue de quel jardin bizarre.... Je l’entendis s'ébrouer comme un jeune phoque.

 

A ses côtés, sur une étagère, j'avais placé un petit sacret de plastique transparent, ou j’avais enfermé mouches et scarabées. Elle avait appréciée le geste telle une jeune convalescente à qui l'on offre un paquet de bonbons.

 

Elle resta ainsi près d'une journée dans son bain. D'elle-même lorsqu' elle se trouva assez ragaillardie, elle alla me rejoindre vers 1a piscine où je lisais un livre au soleil. Ironie du sort il s'agissait d'un livre de science-fiction.

 

Elle plongea comme attirée par une sorte d’avidité particulière pour l'élément liquide, très différente de celle que  peut éprouver un être humain. Encore que dans cet élément il retrouve et l'existence du foetus au sein de sa mère, et son origine de la mer.

 

Elle resta un moment très long sous la surface. Elle n'était pas obligée comme nous le sommes de remonter de temps en temps pour respirer. Puis elle en sortit, se mit dans les positions les plus curieuses sous le soleil et me narra son aventure. Fréquemment elle retournait dans 1' eau, pour s'y agiter remplie de bonheur, et s'en imprégner.

 

 

" Mon ami, saches bien que j'aurais pu m'échapper très facilement. Je ne l'ai pas voulu... parce que, comment te dire, j'ai de la tendresse pour toi. " Elle me regardait avec gêne.

 

" Je deviens un peu terrienne, peut-être. Nous ignorons ce que vous appelez les sentiments qui sont sans doute de grossiers traits animaux. Nous sommes plus délicats, plus sensitifs, mais complètement insensibles à certaines choses.

 

" Lorsque nous avons des attirances les uns pour les autres c'est parce que nous aimons nos odeurs, nos formes, notre texture de peau ou de feuille, comme tu voudras. Alors nous nous enveloppons l'un 1'autre en nous touchant, en nous respirant. Rien â voir avec votre rut de bête féroce se précipitant pour dévorer sa proie en poussant des cris de satisfaction. "

 

Je souriais : jamais je ne l’avais vue si volubile, particulièrement sur ces sujets qu’elle abordait en aucune occasion.

 

Elle se laissait faire, un point c’est tout.

 

Elle poursuivit, amusée elle aussi, car au fond notre histoire était drôle : « Tu voulais savoir, tu sauras tout, enfin presque tout.. . La première question que tu te poses sans doute, c'est d'ou je viens ? »

 

J'opinai de la tête. C'est bien en effet ce que je me demandais depuis le début. Cette origine de Sylvana, dans mon idée devant éclairer tout le reste, et me rassurer sur le fait que je n'étais point fou.

 

Elle se dressa, s'étira au soleil, faisant jouer sa chair comme une étoffe rare et poursuivit: " Je viens d'ici... "

 

Je me rendis compte qu'elle ne me mentait pas. " Tu veux dire de la terre ? " -

Elle ne semblait pas mécontente de m'intriguer. « Non, tu es lourdaud pour un scientifique. Je veux dire du même endroit de l'espace. Je suis d'ici et d'ailleurs aussi. Je suis d'un monde parallèle si tu veux. Les habitants de ma « planète » peuvent se promener au même endroit sans vous gêner. Ils se promènent dans une autre dimension.

 

«   Est-ce possible ?" murmurais-je. "Ça l'est ! »

 

« Qui suis-je ? » Une sorte d'espionne, envoyée pour vous observer, et particulièrement chargée de surveiller vos travaux au sujet de la matière et du nucléaire. Nous ne sommes pas sûrs que si vous faites sauter votre planète, et vous avez suffisamment d'obstination pour y parvenir assez rapidement, que nous n'en subissions pas un certain contrecoup , lequel nous ne s’avons pas.

 

" Pourquoi t'avoir choisi TOI ?" Tu te dis dans ta petite tête un peu fate que c'est parce que je t'ai trouvé particulièrement, séduisant. Ce n'est pas moi qui ai décidé, c'est le grand ordinateur central. Tu étais célibataire et un assez bon scientifique avec quelque avenir. On pouvait te fournir une femme, et tu pouvais nous être d'une grande utilité. »

« - Ça aurait pu ne pas marcher ? »

« -  En effet, mais c'était un risque à courir. Nous nous intéressions à toi depuis assez de temps pour savoir que tu étais suffisamment romantique, pour entrer dans notre jeu, et que nous te tenions. Ton histoire pour tes frères humains est plus invraisemblable que celle que je racontais.

 

« - Vous pouvez passer d'une autre dimension de l'espace â la nôtre ? »

« - Oui, nous le pouvons. Que veux-tu encore savoir de moi ? »

« - Est-ce que vous vivez â la même époque que nous ? »

« - La notion d'époque et de temps n'est pas la même pour vous et pour nous. D'ailleurs je suis une plante ne l'oublies pas. »

« quel âge crois-tu que j’aie ? Cinq ans à` ta mesure. Il n'est d'ailleurs pas très moral de ta part de coucher régulièrement avec une fille de cinq ans ,je pourrais te faire un procès, sais-tu ? 

 

Je n'ai d'ailleurs plus que trois ans à vivre, aussi ne te fais pas trop d'illusions sur durée de ce que vous appelleriez " notre amour ". Avant trois ans je serai crevée. Cependant si le grand ordinateur central le juge utile, il saura recréer dans les serres une exacte réplique de moi-même. Mais ce ne sera pas moi. « 

 

Voyant mon air surpris, elle poursuivit : « mon histoire ne te semble peut-être pas très claire autant que je commence par le début. " Il n'existait sur notre planète à la suite de diverses guerres de conquête plus que deux états. Appelons les Alpha et Oméga. Ils s’entredévoraient mutuellement. Chacun des deux dictateurs voulait imposer sa loi à

l'autre.

 

A1pha on avait prévu que la race, fort semblable, à ce que je crois a la race terrienne aujourd'hui, mais beaucoup plus avancée scientifiquement, pouvait être détruite par une catastrophe nucléaire.

 

"Aussi dans une ville souterraine, à des kilomètres sous terre, on avait emmagasiné dans un superordinateur toutes les connaissances du temps et les programmes génétiques de tous les individus. Avant la grande destruction qu'il pressentait comme imminente, le Frère-Président envoya le message codé en direction du grand ordinateur. Aussitôt toutes les issues de la forteresse furent fermées automatiquement. Le système était étudié pour pouvoir fonctionner sur 1ui-même de manière complètement autonome. Il était  étudié aussi pour pouvoir se défendre seul contre n’importe quelle agression extérieure, et même pour ne laisser pénétrer personne restant ainsi à l'abri de toute contamination.

 

" Et dans des bains liquides, sous de vastes serres éclairées à la lumière artificielle, le Grand Ordinateur commença à créer avec ses codes génétiques la -première' race de plantes pensantes. Les savants avaient en effet la conviction que des plantes seraient plus à même de vivre dans les nouvelles conditions et peut-être de s’adapter aux radiations mortelles pour l'animal.

 

Mais aujourd'hui encore nous ne quittons guère notre environnement protecteur, soit que nous habitions sous terre, soit sous de vastes constructions de verre. Tu as vu ces sortes de bulles dans ce que tu prenais pour une émission de télévision et qui était en fait l'exacte reproduction de ce qui se passait sur un endroit de notre planète. Tu t'en doutais un peu.

 

Les descendants des  anciens habitants n'ont pas complètement disparu : On sait que le foetus de 1 être humain dans le ventre de sa mère passe du stade, du poisson, du saurien, du félin, avant de passer à celui de singe. Mais sous l'effet de l'explosion et des radiations nucléaires le processus complet a été perturbé. Aussi les descendants des anciens habitants sont-ils des poissons, des félins, des singes mais sous des formes particulièrement monstrueuses et dégénérées.

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LA FEMME QUI VENAIT D’AILLEURS

 

L'idée du miroir lui vint un jour qu'il avait donné à Alice une orange et lui avait demandé de quelle main elle la tenait.

- Dans ma main droite, répondit Alice.

- Regardez maintenant cette petite fille dans la glace et dites-moi dans quelle main elle tient l’orange ?

- Dans sa main gauche.

- Et comment expliquez-vous cela ?

- Elle réfléchit un instant, puis répondit

- Si je pouvais passer de l'autre côté du miroir est-ce que je n'aurais pas toujours l'orange dans ma main droite ?

 

Préface d' «  Alice aux pays des merveilles »  Editions Marabout.

 

LA FEMME QUI VENAIT D’AILLEURS

Chapitre 1er

 

C'était un petit temps comme je les aime. Nous étions en Mai et l'air était doux. Des nuages gris-blancs, en formation cotonneuse défilaient poussés par un vent vif. Je me sentis baigner par une vie pleine d'attraits et aller au devant de plaisirs, charmants. Ma peau vibrait de tous ses éléments et dans toute sa profondeur.

 

J'avais vingt-trois ans et je venais de terminer mes études d'ingénieur. J'étais sorti de l'école avec un très bon rang. Aujourd'hui je venais prendre un emploi, mon premier emploi au Centre de recherches nucléaires de Pavel. J'avais encore en poche la lettre très aimable du directeur scientifique me déclarant que l'équipe travaillant sur les corpuscules atomiques serait très heureuse d'accueillir un nouveau collaborateur, l'ensemble de la communauté des chercheurs également. Je connaissais par coeur les termes mêmes de cette lettre, tant je l'avais relue de fois.

 

Le destin me souriait... Ma mère devait être fière de moi, là-bas dans son petit appartement, propre et sentant bon la cire, d'un quartier populaire de la banlieue parisienne. Elle avait peiné: durement après le décès de mon père, mort encore jeune, pour m'élever et me permettre de poursuivre mes études. Elle s'était privée elle-même du nécessaire pour que je ne fasse pas trop piètre figure auprès de mes camarades mieux nantis.

 

Enfin,-je m'en étais sorti et allais commencer â exister...

 

De plus j'avais fait la rencontre de Carole, une jeune chimiste, au bal de la promo et mon coeur battait à la pensée qu'elle devait me téléphoner dès que je serais arrivé.. Je revoyais son très joli. Profil mutin, rehaussé par son blond chignon un tantinet austère.

 

J'appréciais beaucoup son sens de l'humour un peu particulier légèrement désabusé. Et l'air soigné qu'elle donnait à sa mise et son apparence physique, et la distance légèrement ennuyée qu'elle mettait entre elle et les autres gens. Cette distance avec moi était plus petite et ne demandait qu'à fondre. Ça se lisait dans les lueurs chaudes de ses yeux marron.

 

Les massifs de la petite gare frissonnaient longuement.

Quelques proches attendaient â la descente du train des voyageurs. Ils se congratulaient mutuellement avec force sourire. Personne ne devait être 1à pour moi, car on ignorait l'heure exacte de mon arrivée.

 

Je l'avais fait un peu exprès, car je détestais plus que toutes les mondanités, les accueils, les retrouvailles et les départs.

 

A l'écart de tout ce mouvement, étrangement calme, une femme blonde qui semblait chercher quelqu'un avec quelque hésitation. Elle n'était sans doute pas du pays.

Sa toilette stricte d'une élégance un peu désuète détonnait sur celle de ces gens simples.

 

Elle me remarqua, parut soudain me reconnaître et se précipita vers moi avec un sourire radieux que je trouvai truqué. A ma profonde surprise, elle se jeta dans mes bras comme si-nous ne nous étions pas vus depuis bien longtemps et que nos relations eussent été bien intimes. Avec une effusion un peu forcée elle se serra contre moi et m'embrassa.

 

Je ressentis une sensation inhabituelle au contact de sa peau. De plus celle-ci exhalait un parfum-singulier, pareil à celui des fougères des sous-bois. Très naturellement l'inconnue me prit le bras, me demandant de mes nouvelles, tout en riant à gorge déployée, d'une façon un peu nerveuse.

 

J'aurais dû arrêter net ses tentatives. Je ne le fis pas, ne 1'osant pas et voulant voir jusqu'où elle irait. Au fond cette aventure soudaine m'intriguait et me plaisait assez. Moi qui aimait le mystère et à qui il n'était jamais rien arrivé que de très normal...

 

 

Je déclarai que je devais aller chercher les clefs de l'habitation au Centre de Recherches. Elle me répondit tranquillement qu'elle les avait déjà en sa possession. Je protestais.

« -Mais enfin, je suis ta femme !" poursuiva t’elle vivement.

J'étais suffoqué. Jamais, au grand jamais, je n'avais été marié.

« - En es-tu sûre au moins ?".

« - Parfaitement sûre ! Ce sont des choses qui ne s'oublient pas si facilement !

 

Elle se mit presque en colère. " N'as-tu pas rencontré quelqu'un d'autre ? Ne cherches-tu pas à te débarrasser de moi ? De toute façon tu n'as pas intérêt à raconter cela à Pavel ; on ne te croirait pas. J'ai été me présenter comme ton épouse au Directeur du Centre. "

 

Effectivement je me trouvais coincé. Si j'allais dire que je ne connaissais pas ma femme, je n'impressionnerais guère en ma faveur mon nouveau patron ! Et j'avais besoin de réussir en ce poste. C'était la concrétisation de l'espoir de tant d'années pour moi et ma mère !

 

Toute cette affaire sentait le coup monté. S'agissait-il d'une sorte de bizutage particulier de mes compagnons de laboratoire se livrant à des travaux austères et désireux de temps en temps de s'en délivrer ? Alors le dernier arrivant en faisait les frais...

 

 

Jouons le jeu... Elle était extrêmement jolie. Nous verrions bien au moment où elle aurait à remplir ses"devoirs conjugaux » si elle se considérait encore comme mon épouse. Elle devait être un bien joli livre de voyages à parcourir.

 

Elle me fit visiter toutes les pièces de cette maison avec une grande assurance. Elle les connaissait parfaitement dans leurs moindres détails.

'' - Depuis quand te trouves-tu ici ?" demandais-je.

"- Depuis lundi. " répondit-elle en feignant la surprise,

" Comme nous en avions convenu. Tu as déjà, oublié. Décidément tu oublies beaucoup de choses ! Ne te serais-tu pas surmené un petit peu ces temps-ci ?" ajouta-t-elle affectueusement.

 

Je ne savais plus que penser. Il est vrai que j'avais beaucoup travaillé pour obtenir ces examens depuis des années. Il n'était pas impossible que cela eut influé sur mon comportement mental.

 

 

Après minuscule chambre d'étudiant sous les combles, la petite villa me sembla presque le château du Marquis de Carabas. " C'est gentil ici " me dit-elle. C'était en effet très gentil, meublé avec goût par le Centre de Recherches pour ses ingénieurs, pour qu'ils ne manquassent de rien.

 

Je pourrais enfin me consacrer à mes travaux dans d'excellentes conditions. Essayer de traquer la matière dans ses derniers retranchements c'est à` dire peut-être parvenir à comprendre les mystères de la création. Le but de ma destinée... comprendre le pourquoi et la cause du Grand Tout. Trouver la serrure sacrée.

 

Mais elle, J'y songeais soudain, elle n'était pas prévue dans le déroulement si bien organisé de mon existence. Je n'étais plus très sûr du canular. Comment m'en débarrasserais-je plus tard si je voulais m'en débarrasser ?

 

Je m’enquis de son nom. Elle me déclara avec ironie s'appeler Sylvana, ce qui me rappelait quelque chose, je ne savais trop quoi et me sembla bien convenir à sa personnalité, je ne sus pourquoi.

 

Je nous revois encore buvant un verre pour inaugurer ma nouvelle vie, notre nouvelle vie devrais-je dire plus exactement. Elle m'avait servi mon cocktail favori en tirant du réfrigérateur déjà, garni les liquides que j'aimais en les mêlant dans des proportions adéquates comme un barman de grand hôtel. Mais elle ne m'avait pas demandé ce que je désirais prendre... Elle le savait.

 

Comme je m'étonnais elle me rétorqua :" On ne cohabite pas avec quelqu'un plusieurs années sans connaître ses goûts... et même ses vices... " ajouta-t-elle avec un petit sourire.

 

J'étais assis dans le fauteuil de cuir, la soumettant  une sorte d'interrogatoire souriant, sous un faux air de conversation banale.

Je lui demandai à quelle occasion je l'avais rencontré pour la première fois. Elle me répondit que c'était sur le vol Paris-­Lisbonne d'une compagnie charter, il y avait deux ans de cela.

Elle y était hôtesse de l'air. " Ce fut le coup de foudre réciproque, mon chéri  poursuivit-elle, Il et nous décidâmes de nous marier peu après bien que tu n'avais pas terminé tes études et que cela risquait de poser des problèmes. Et je continuais mon métier d'hôtesse pour subvenir aux besoins du ménage, car ta mère ne pouvait, comme tu le sais, beaucoup t'aider. "

 

« Aussi il ne serait pas chic de me larguer aujourd'hui, alors que j'ai quitté mon métier pour te suivre dans ce trou. »

 

Et elle appuyait sur le mot trou avec une nuance de dégoût aristocratique.

Je notai que si elle employait des expressions populaires, voir argotiques, c'était toujours avec une petite pointe d'accent précieux. Et que dans l’ensemble son vocabulaire et sa syntaxe étaient un peu surannés ; comme le français que parlent le p1us souvent les étrangers, appris dans les écoles, même lorsque la fréquentation des bars et des étudiants a mêlé  à l’or pur de leur langage quelques scories.

 

Elle était incollable sur tout ce que je pouvais lui demander ­sur les événements concernant ma vie, même à la limite les plus anodins, et ne présentant que de l'intérêt pour moi. Elle y répondait de bonne grâce et avec un air un peu amusé, se doutant bien que j'essayais de la prendre en défaut.

 

Elle savait par exemple qu'enfant j'étais tombé en jouant au football et qu'il m'en restait une marque au genou. Au travers du pantalon elle me posa exactement la main à l'endroit de l'ancienne blessure. Cela 1e fit un peu mal lorsqu'elle appuya. C'était extraordinaire réellement, si elle n'était pas ma femme, cette connaissance intime de ma personne.

 

C'est sans réticence aucune qu'elle se rendit dans la chambre, se déshabilla par petits gestes précis devant moi, et se laissa faire l'amour. " Se laissa faire l’amour"est une expression juste, car elle n'y prit de sa part que fort peu d'activité, se contentant de se pelotonner contre moi et de pousser de petits cris de comédienne. En réalité elle semblait penser à autre chose ou à rien. Quoique de je me fus soigneusement lavé avant de me mettre au lit, elle trouvait mon odeur particulièrement forte et faisait effort pour ne point détourner son nez offusqué de moi.

 

Je remarquai sous ma langue et mes dents que sa chair n'avait pas exactement la consistance d’une- chair, mais était plus lisse et plus craquante, si je puis dire. Je notai aussi de nouveau cet étrange parfum de sous-bois qu'elle dégageait. Je n'avais jamais respiré de senteur de cette nature jusqu'alors. Il me sembla qu’il_ venait de la peau elle-même et non point d'un quelconque produit vendu en flacon. Le respirer vous faisait pénétrer dans un monde étrange et vous donnait d'autres idées que celles que vous aviez ordinairement.

 

Après ces exercices je me demandai quel être inconnu reposait, si placidement â mes côtés... Jamais je ne vis femme plus belle, ni mieux faite, comme si elle était sortie d'un moule aux formes et aux proportions parfaites...

 

Apparemment nous menions la vie d'un couple uni. Souvent elle venait m'attendre à la sortie du laboratoire. Mes compagnons de travail crevaient de jalousie, et cela ne me déplaisait pas, de voir si ravissante femme me sauter au cou, avec un sourire éblouissant un peu comme celui que l'on voit sur les affiches vantant les mérites d'un dentifrice. C'était moins pour sourire que pour montrer ses dents qu'elle avait fort belles et régulières. Celles-ci semblaient dures comme le diamant, comme neuves poussées de la veille. Mais il s'agissait de vraies dents, je le précise, et non d'une quelconque prothèse même merveilleusement réussie.

 

Sans trop en avoir l'air, je la surveillais attendant qu'elle se trahisse; ce n'était point si aisé.

 

Une fois même Je fouillai dans son sac à main. Il me répugnait assez de devoir utiliser semblable méthode. Multiples objets que l'on trouve ordinairement dans le sac à main d'une femme. Je découvris ses papiers dans un petit porte-carte. La carte d'identité précisait son nom évidement, qui s'avérait être le mien,-son prénom Sylvana, son nom de jeune fille et sa date de naissance. La photographie était bien la sienne, et selon toute probabilité avait été mise lors de la confection de la pièce. Le tampon sec de la Préfecture recouvrait parfaitement et le carton et la photographie. Seule une suspicion débordante pouvait faire douter qu'il ne s'agissait pas là d'un document sincère.

 

Il y avait aussi une carte d'hôtesse de l'air un peu défraîchie, sur laquelle elle apparaissait avec un charmant couvre-chef et un sourire commandé. . Le nom était bien le même que celui de jeune fille de la carte d'identité. On trouvait encore un vieux ticket de métro, un billet d'un cinéma du quartier latin où j'allais parfois... et la photographie d'un très beau jeune homme que je ne connaissais pas... lui. Cela pouvait très bien s'expliquer qu'elle n’ait pas jugé utile de me le présenter.

 

Bien sûr alors, j'aurais pu abandonner mes recherches, estimer que j'avais été amnésique, et tenter de reconstituer mon passé sous la version qu'elle me présentait et qui offrait toutes les apparences de la cohérence. Mais cela m'intriguait trop, et je ne pouvais accepter de douter de mon intégrité mentale. Puis il y avait quand même quelque chose qui ne me semblait pas coller tout â fait, un léger défaut dans le coup de pinceau du paysage par l'artiste, un bruit de fêlé dans le cristal lorsqu'il tinte.

 

Je constatai qu'elle avait des habitudes alimentaires très bizarres. Elle n'avait jamais faim à l'heure des repas, prétextant qu'elle avait déjà mangé précédemment. Les végétaux ne figuraient jamais à son ordinaire. Elle ne m'en cuisait pas et ne voulait pas que je m'en cuise devant elle. La vue même de légumes reposant sur un plat, à plus forte raison coupés, la rendait quasiment folle.

 

Par contre je la surpris une fois en train de croquer avec délices des mouches qu'elle avait attrapées. Ce1à me parut très répugnant, mais elle le faisait avec la grâce d'une petite fille.

 

Un de mes collègues de travail avec lequel je m'étais lié d'amitié, me signala que l'on jasait beaucoup autour de lui sur le fait qu'elle avait l'habitude de se promener nue dans le jardin­et qu'on la voyait du dehors, par-dessus les haies. Pour sa part il ne s'en plaignait pas. Il est vrai qu'il lui semblait naturel d'être nue, et qu'elle n'enfilait qu'avec difficulté ses vêtements qui d'ailleurs étaient la plupart du temps très légers. Mais il n'y avait là-dedans aucune effronterie, ni provocation.

 

Souvent lorsque le soleil était assez fort, elle adorait s'exposer longuement à ses rayons avec ravissement. Son corps semblait se nourrir de sa lumière bénéfique et s'en régénérer. Sa magnifique masse de cheveux blonds, drus comme des crins soyeux, paraissait luire plus encore, comme éclairée par une lueur interne.

 

Je pensai qu'elle était d'un pays nordique où le soleil est rare et la communion avec la nature très grande.

 

Un jour que je rentrai volontairement à l'improviste, je la trouvai plongée voluptueusement dans un bain bourbeux. Elle me déclara sans trouble, qu'il s'agissait d'un traitement de beauté qui lui avait été conseil1é par une de ses amies. Et que cela lui réussissait fort bien. Je ne pus qu'en convenir. Mais j'avais l'impression qu'il s'agissait en réalité de terres, et d’engrais destinés aux plantes qu'elle avait dissous dans l'eau. D'ailleurs e1le avait une grande attirance pour les contacts physiques avec la terre, même boueuse. Elle aimait à, s'y vautrer, ou s'y plonger les pieds. Elle me proposait même de faire comme elle.

 

Dans le fil de mon discours j'ai omis de parler du bijou qu'elle portait, autour du cou. Pourtant c'est l'une des premières choses d'elle qui m'avait frappé. Elle ne s'en départait sous aucun prétexte n'aimait guère que je le touche.

 

Je n'avais jamais vu de pareil bijou, même à la vitrine des grands bijoutiers parisiens. Sa forme était curieuse et rare. Une sorte de T dont la branche supérieure était légèrement arrondie. A chacune des trois extrémités un diamant d'une brillance extraordinaire taillé en facettes faisait jouer la lumière. L'objet paraissant creux, constitué d'un métal qui ressemblait au platine, et ne devait être d'aucun métal terrestre de ma connaissance. J'avais quand même étudié assez sérieusement la géologie à l'école. Et c'était peut-être la matière dans laquelle j'étais le plus doué. A mes nombreuses questions elle répondait qu'il s'agissait d'un objet magique, d'une sorte d'outil et pas du tout d'une parure, quoiqu'il reposait joliment au creux de ses seins, illuminant de leurs éclats ses chairs légèrement ambrées où j'aimais à poser ma main.

 

Je pardonnais de plus en plus à ses fantaisies, car j'étais de plus en plus amoureux d'elle, envoûté progressivement par l'atmosphère qui l’environnait, comme par celle que l’on respire dans l’ombre d'une plante vénéneuse.

Parfois nous voyons de ces êtres hideux se cogner aux verres et nous observer. Nous ne sommes pas surs que nous parviendrions toujours à les contenir.

 

" Que dire de nous ? Que nous menons une vie paisible » en harmonie avec les éléments. Pour venir ici j'ai du suivre une formation particulière. Nous n'usons point d'un langage parlé, échangeant directement nos idées et surtout ressentant des vibrations que vous ne sauriez capter. Nous ne nous reproduisons point par accouplement comme vous. Nous croissons d'abord dans des liquides jusqu'à ce que nous soyons suffisamment vigoureux. Alors la jeune pousse est confiée à un couple qui la prend en charge jusqu'à sa croissance complète.

 

Rien n'est plus touchant, et ça te toucherait toi-même que de voir deux plantes adultes serrées l'une contre l'autre, et pressant contre elles affectueusement une jeune plante qui se meut dans leur ombre.

 

Si on éprouve réellement beaucoup d'affection pour quelqu'un on peut toujours demander au Grand Ordinateur de confectionner un composé de vos deux codes génétiques. S’il accepte on obtient un croisement qui ressemble aux deux plantes parentes. Il y a même des filles qui se font faire une plante commune avec des personnages célèbres d'autrefois. C'est particulièrement fréquent chez certaines étudiantes en lettres qui évitant tout à fait la fréquentation des autres vivent dans leurs rêves de la littérature ancienne avec leur rejeton issu d'elle-même et de leur auteur favori »

 

Elle changea soudain de ton :" Si j’évoque des images de maternité, c'est parce que j'attends un enfant de toi. Il faut bien appeler cela ainsi. »

 

J'étais stupéfait. Elle poursuivit :" Nous disposons certes de tous les organes nécessaires. Mais l’acte sexuel nous est interdit. Si il arrive cependant que deux plantes décident de copuler entre elles ,mues par une trop grande attirance et curiosité, et qu'un fruit en résulté, le Grand Ordinateur les fait détruire avant l’accouchement, parents et enfants. Aussi nous n’avons pas l’expérience de ce qui pourrait arriver, à plus forte raison avec un être d'une autre espèce. "

 

Je décidai d'avoir un petit d'elle malgré que ce fût folie.

Si jamais elle me quittait, j'aurais un souvenir vivant d'e11e-même.

Elle aussi n'évoqua pas une fois la possibilité de mettre fin à sa grossesse. Et nous nous préparâmes à la venue de cet héritier de deux civilisations.

 

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La gestation semblait se passer très bien. Sa taille allait très naturellement en s'arrondissant, Et Sylvana n'en éprouvait aucune gêne particulière. Elle n'exprimait pas non plus quelque crainte. Mais je l'ai assez dit les problèmes psychologiques n'existaient guère pour elle. Encore que l'épisode douloureux de sa confession, et ce bébé à venir avaient changé quelque chose dans nos rapports les rendant plus proches.

 

Je décidai qu'elle accoucherait à la maison, même si cela pût paraître singulier à notre entourage, et, par la suite alimenter des soupçons. Elle pensait également que ce serait une sage solution.

 

Un de mes anciens amis exerçait la médecine dans la région parisienne. Je l'invitai sous prétexte de vacances, ce qui pouvait sembler plausible. Je ne lui dis pas ce qu'il en était de la nature de Sylvana. Mais il comprit rapidement dès qu'il la vit, et à plus forte raison lorsqu'il l'examina.

 

" Tu sais ce qu'elle est ?" me demanda-t-il. Tu aurais peut ­être dû t'adresser à un jardinier plutôt qu'à un médecin. " " Je n'ai jamais vu de chose plus extraordinaire " poursuivit-il, mais la mère jouit d'une vitalité de chêne, si je puis dire. Cela, se présente dans d'excellentes conditions "

 

I1 croyait que ma femme était une anomalie de la création, une sorte d'avatar de l'évolution. Je ne lui révélai point qu'elle venait d' " ailleurs ". C'était trop compliqué.

Il y avait une pointe d'humour dans la voix de mon ami lorsqu'il me préconisa pour elle un régime adapté à son cas: soleil, terre et vie au grand air. De plus il me recommanda d'éviter les contrariétés qui n'étaient pas sans influence sur les plantes d'après les travaux biologiques récents. Au fond il avait très bien pris ce1à...

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Lorsque j'entendis le premier vagissement je me précipitai dans la chambre. Un splendide bébé parfaitement constitué commençait sa vie et se demandait ce qui lui arrivait. Sa mère le tenait dans ses bras avec tendresse. Ce n'est qu'avec hésitation qu'elle me le confia quelques instants, semblant craindre de moi, pour lui. Elle nous regarda tout deux avec une sympathie inquiète et contradictoire. Les grands yeux curieux du nouveau citoyen s'ouvraient pour la première fois. Il était fripé comme un vieux parchemin des bibliothèques du monde, sur lequel étaient dessinées des multitudes

de caractères. Je ne sus dire si j'étais heureux. Je me mis à craindre alors pour l'avenir.

 

C'est peu après la naissance que je remarquai le changement complet d'attitude de Sylvana. Elle devenait souvent absente, s'isolait seule avec le bébé de longues heures.

 

Un jour elle me murmura avec peine :" Ils me rappellent, ils veulent que je revienne... Ils ont peur que je tienne trop à toi, que je devienne comme vous, que je passe de votre côté... "

 

" Avec le bébé ?- Avec le bébé ! »

 

Alors je me mis à la surveiller presque nuit et jour, encore que je savais bien que je ne pourrais pas les empêcher de me l'enlever. Ils la contrôlaient toujours à distance, même si ils craignaient que ce ne soit pas suffisamment bien.

 

Malgré tout j'avais cet espoir fol de la garder, de la garder toujours. Je ne voulais pas qu'un beau jour elle disparaisse de ma vie aussi brusquement qu'elle y était entrée, par une déchirure de l'espace.

 

J'avais l'impression que les sollicitations qui l'appelaient ailleurs étaient de plus en plus fortes et qu'elles lui faisaient violence.

Je ne savais pas où cela allait se passer. Je n'avais aucune idée même de la façon dont ils procéderaient; ce qui accroissait la difficulté de ma tâche de gardien.

 

Je m’attendais à, une sorte de véhicule étrange dont la forme n'aurait rien â voir avec celle des véhicules connus. Elle avait toujours refusé de me renseigner à. ce sujet, arguant qu'il s’agissait d'un très grave secret dont la connaissance mettrait en péril leur communauté. Car si le chemin de cette planète à la nôtre était connu, il serait facile alors pour des chercheurs terriens de trouver le chemin inverse. Jamais non plus elle n'avait voulu me dire combien d'envoyés, comme elle, se trouvaient sur terre et quels étaient les travaux auxquels ils se consacraient. Une fois révélé ceci, ils seraient très vulnérables. On pourrait les débusquer avant que de les exterminer.

 

Elle ne me dévoila pas non plus les arcanes de leurs mathématiques bizarres, dont les dimensions, les courbes, et les formes n'avaient rien de commun avec les nôtres. Je crois qu'ils possédaient là l'intégration d'une bonne partie des données du monde. Cette clé nous manquait, et j'aurais bien aimé la donner aux hommes. Au fond je ne sais. Il est douteux qu'ils en auraient fait alors bon usage. Ils auraient cherché à perfectionner leurs armes de guerre pour mieux se détruire et détruire l'univers.

 

Sylvana a peut-être eu raison de disparaître sans me rien raconter de cela.

 

 

XXX

Je vais essayer de narrer aussi simplement que possible comment ils sont partis tous les deux avec des airs désolés, attirés par une force gigantesque. C’était par un après-midi ensoleillé comme on en voit en Provence dans les débuts de l'été.

 

J'étais allongé sous un arbre vénérable et odoriférant. Je suivais au travers de l'entrelacs des ramures dansantes les jeux amoureux de l'ombre et de la lumière.

 

L'existence m'apparaissait à la fois comme vaporeuse et signifiante. J’étais un esprit fugace, moins que ce léger souffle de vent, mais lié au Cosmos.

 

J'entendis un bruit strident comme celui d'une pale d'hélicoptère qui tourne à une vitesse folle, accompagné d'une intense vibration de l'air. Je me précipitai vers la maison. Je constatai que plus je me rapprochai plus l'air opposait de résistance, plus la lumière devenait intense et affolée.

 

Lorsque j'entrai dans la maison l'air devint comme une eau qui coulait autour de moi. Arrivé au bord de la salle à manger je ne pus plus progresser. Une sorte de mur de verre s'opposait complètement au passage.

 

Sylvana au milieu de la pièce tenait notre enfant, qui lui passait les bras autour du cou, tandis que de l'autre elle soulevait d'une certaine façon le bijou qu'elle portait autour du cou, en le tournant d'un angle particulier.

 

Je compris alors. La lumière s’engouffrait par les trois extrémités du bijou et en ressortait en un tourbillon décomposé d'une grande violence. C'est ce tourbillon qui faisait pareil bruit. Le mouvement s'accélérait, devenant de plus en plus formidable.

Bientôt ma femme et mon enfant furent au milieu d'une espèce de bulle d'air dans une mer déchaînée. Cette mer déchaînée était parcourue de lueurs ondulantes, de palpitations étincelantes, dans lesquelles vibraient des couleurs inconnues. J'emploie ces périphrases pour que l'on me comprenne. Mais ce n'est que l’expression imparfaite de la réalité. La terreur que j’éprouvais et la beauté du spectacle passent l'imagination.

 

Sylvana semblait possédée par un esprit supérieur et agir inconsciemment. Le bébé vivait déjà ailleurs.

 

Des parcelles d'Or volatiles se mirent à voler autour du sarcophage creux. Dans un dernier mouvement ils regardèrent en ma direction, elle esquissa un vague signe de la main.

 

L'Or sembla se liquéfier, puis se solidifier pour constituer une paroi. Le sarcophage se mit à pivoter sur lui-même avec une grande vitesse. Je vis au travers d’une ouverture l'autre partie de l'espace où vivaient les hommes-plantes dans leurs cités étranges.

 

Elle disparut soudain au delà des portes d'Or en poussant un cri, que je ne pus entendre.

 

...................

Le Procureur de la République essuya ses lunettes avec un air pensif :

" Votre femme et votre enfant, que la rumeur publique vous accusait de séquestrer, disparaissent... Et vous inventez cette histoires d’enlèvement extraterrestre avec une foule de détails qui atteste j'en conviens d'une certaine richesse d'imagination, ou d'une bonne dose de folie.

 

Un seul témoin pourrait arguer de la justesse d'une partie de vos dires: le Docteur Lebreton. Il est mort il y a quelques jours, écrasé par une automobile. La police a tout lieu de croire qu'il ne s'agit pas d'un accident mais d'un homicide volontaire pour se débarrasser de lui.

 

Cependant nous ne nous expliquons pas certaines choses. Il a bien existé une Sylvana Grumbach ayant exactement le même physique, le même âge que ceux de votre épouse disparue, et correspondant trait pour trait aux photos d'identité que vous avez en votre

possession. Sylvana Grumbach est bien hôtesse de l'air; mais elle est morte dans un accident d'avion en Amérique du Sud il y a deux ans. Le Boeing 747 s'est écrasé pour des raisons restées inexpliquées sur la Cordillère des Andes. Les restes de la jeune fille ont été formellement identifiés. Le jeune homme blond qui ne vous connaît pas mais existe bien, c'est son frère ! Pour lui il ne fait aucun doute qu'elle soit réellement morte.

 

Cependant la Sylvana " ressuscitée " ne semble pas exactement être Sylvana. C'est en quelque sorte une copie trop parfaite, de la " fausse-monnaie " . .

 

Vous pouvez rentrer chez vous. Mais vous ne devrez point vous éloigner de la localité sans accord de la Police. Il y a une certaine Mlle Carole qui téléphone plusieurs fois par jour pour demander de vos nouvelles... Vous devriez l'appeler. "

 

Le Procureur de la République me fit une grimace qui pouvait paraître un témoignage de sympathie dans sa fonction.

 

Méfiez-vous, vous hommes incrédules qui lirez ma confession, des femmes séduisantes qui n'aiment pas la salade !

Elles risquent de vous entraîner dans des aventures bien embarrassantes !

 

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