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Site sur la Science-fiction et le Fantastique

Articles avec #contes

LE CLOWN


 

Je n'aime que cet instant rare.

Le chapiteau bruit de la rumeur vivante des gens. Les rampes fastueuses des lumières éblouissent l'espace. L'orchestre joue une musique que l'on appelle de cirque et qui est pour moi la seule musique. Elle me trempe le corps d'un bain de jouvence et me revigore l'esprit. Je me sens presque l’égal des dieux.

 A chaque fois il se passe la même chose... J'oublie qui je suis.

Et tout barbouillé par mes farines de couleur, tout ridicule dans mes habits dorés et de taille extravagante, je joue.

Je suis un clown.

Mes paroles sont usées d'avoir trop traînées sur la piste, mes jeux de mots sont énormes. Qu'importe ! Je suis dans cette mystérieuse communion du spectacle que je ne saurais expliquer exactement. Ici seulement j'ai l'impression d'exister encore.

Et je m'en vais sous les applaudissements qui me versent comme une légère ivresse. Les quelques minutes que j'ai passées sur la piste ont enluminé ma pauvre journée.

 

Je n'ai plus que cela dans ma vie être clown. Il ne me reste plus rien d'autre. Il n'en a pas toujours été ainsi. J'ai connu des moments où j'avais encore au coeur quelque espoir. Je n'en ai plus aujourd'hui. Un ressort s'est cassé en moi d'un coup.

 Je ne supporte plus de regarder les numéros de voltige. Lorsque Monsieur Loyal annonce l'arrivée des trapézistes, je prends bien garde de me trouver déjà dans les coulisses. Et jamais je ne les observe qu’au travers des toiles. Leurs évolutions me terroriseraient et me rappelleraient trop de choses. Trop de choses que j'essaie de dissimuler dans ma mémoire, mais qui me hantent quand même encore tant d'années après.

 Mon passage terminé, je ressens de nouveau ma tristesse, vieille blessure purulente que je porte toujours au côté; et j'attends la prochaine séance. Ne survivant que dans cette espérance.

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Je dis :"cirque !" Et je vois...

 Tigres du Bengale, beaux et souples.

Lions de l'Atlas marron et blasés. Fatigue et fierté dans leurs yeux plissés sous les lumières."Que sont-ils venus faire en ces pays froids ?" se demandent-t-ils surpris. »

«  Quels sont ces fous qui les regardent sous ces feux terribles, qui ne valent pas le vrai soleil ? "

 Eléphants, gros comme des montagnes se dodelinant placidement sous les ordres du cornac, et s'ennuyant comme des Lords.

 Le cercle courant des chevaux brillants d'être étrillés. Rien de plus beau et de plus sobre peut-être que cela, tournant, virevoltant aux claquements du fouet. Ballet intelligent.

 Et la parade en ville ! On ne la fait plus aujourd'hui. Trop coûteuse et gênant la circulation. La parade en ville. Annoncée 1a veille par des camionnettes munies de haut-parleurs sillonnant les quartiers à la grande joie des marmots. On défilait au milieu de rangées de badauds ébahis de voir pareil cortège et pareille fête. Les gamins des faubourgs dont les parents étaient souvent trop pauvres pour pouvoir leur payer une place pouvaient participer un peu à la liesse générale.

 Toute la troupe était là avec les animaux. Des costumes bariolés et scintillants. Une fanfare à égayer des cimetières. Les clowns se livraient à leurs cabrioles et à leurs pitreries sous les yeux émerveillés des enfants. Ceux-ci poussaient des petits cris de bêtes où pointait déjà la cruauté.

 C'était le cirque qui passait. Et il paraît pour un jour de joyeuses couleurs la terne ville, et jetait des éclats de lumière dans les tristes vies !

 Je dis CIRQUE ! Et je sens...

 L'odeur du cirque à nulle autre pareille. Cette odeur forte chaude et vivante. Cette chaleureuse odeur de communauté hommes-bêtes. L'homme et la bête partenaire des mêmes jeux. Complices et ennemis à la fois !

 

Hélas Madame le cirque se meurt, le cirque est mort !

Happés par le tube de leur écran de télévision, qui borne pour eux les frontières de l'univers, les gens se font plus rares.

Des journalistes nous disent qu'ils ont perdu leur fraîcheur d'esprit et leur naïveté d'antan. Qu'ils sont plus intelligents en somme ! Ne serait-ce pas plutôt une certaine capacité de vivre et d’enthousiasme populaire qui ont disparu ? Mangés par le culte de la marchandise et du faire-accroitre !

Les énormes frais de cette véritable ville ambulante deviennent trop lourds. On réduit le personnel et le nombre des animaux. Souvent aujourd'hui l'orchestre ne comprend plus qu'un musicien qui tape sur des batteries, tandis que des bandes magnétiques débitent leurs airs " disco ". On feint d'avoir dissimulé les joueurs dans une sorte de recoin des décors en carton. Et de temps en temps l'unique instrumentiste fait semblant de regarder ses camarades pour leur indiquer la mesure. Il ne trompe plus personne , c'est même un peu ridicule.

Marchands de rêves et d'illusions ! On nous dira que verser ces poisons est chose dangereuse. Comme si il n'y avait pas de plus redoutables marchands d'imaginaire dont l'office ne menait à de plus périlleuses issues !

Plus intelligent le Peuple, allons donc.., prêt à suivre n'importe quel dompteur

Je ne sais ce qui est le plus triste, le voir ainsi périr à petits feux, ou s’il disparaissait d'un coup  et qu'on en parle plus. Les hommes sont bien mortels, pourquoi le cirque ne le serait-il pas ?

Mais trop de fils ténus me lient à lui. S’il meurt mes souvenirs seront tués d'un coup, engloutis tant d'années. Je disparaîtrai sans doute avec lui.

Après mon décès je voudrais que l'on m'enterre dans de la toile de cirque avec un peu de sciure à l'intérieur.

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Et il y avait Lili. Lili était la fille du prestidigitateur « Fabuloso ». Je la connus alors qu’elle n’était qu’une gamine frêle et gauche, mais déjà si belle, et, comment dire, si « différente » une sorte de solitude un peu désespérée qui flottait sur elle la distinguait des autres... Ses cheveux si blonds, sa fraîcheur de peau semblaient être les reflets de la fraîcheur de son â7-11e. Et cette gentillesse légèrement détachée, cet intérêt qu’elle semblait éprouver pour tout le monde....

Toute jeune elle commença à aider, son « père. Elle lui « tenait son chapeau dont il tirait des pigeons et des mouchoirs multicolores en quantité. Elle apportait le sabre qui permettait au magicien de transpercer sa maîtresse du moment au travers du coffre magique.

Et celle-ci en ressortait indemne et joyeuse sous les vivats des spectateurs émerveillés. Mais Lili restait distante et sereine comme si le contact avec cette illusion un peu surfaite ne faisait que de l’effleurer.

Petit à petit, comme un lierre obstiné sur un pauvre mur, elle s’attacha « a-moi. Nous partageâmes nos solitudes, et nos univers...

C’est probablement parce que je n’étais qu’un nain qu’elle voulait bien me considérer comme un enfant et me faire cadeau de sa compagnie ? Peut-être aussi qu’une certaine pitié un peu cruelle se plaisait à exercer son pouvoir sur moi ? je ne sais. L’innocence de l’enfance n’est peut-être que le piège malhabile de l’adulte retord ; et sous les visages candides se cachent déjà les âmes compliquées ?

Ce que nos sensibilités meurtries par la vie dure préféraient, c’était se réfugier dans la fantasmagorie de l’imagination et du rêve.

Cachés dans un recoin du caravansérail, nous tenant la main, nous nous racontions des histoires fantastiques, compréhensibles de nous seuls...

Parfois même nous nous costumions des vêtements les plus invraisemblables, empruntés à des artistes, qui les traînaient dans leurs bagages. C’étaient des débris de leurs vies mortes. Et ils les ressortaient de temps en temps lorsqu’ils évoquaient au fond de leur roulotte leurs souvenirs.

J’étais Prince et elle était Princesse.

Nous habitions des palais bleutés et foulions des tapis somptueux, sur lesquels nous nous envolions pour des destinations féeriques. Ispahan la magnifique, Jérusalem la mystique ! Sans doute que pauvres villes de la réalité, que je ne visiterai jamais, vous n’avez rien de commun avec les riches cités de mon imagination !

Les toiles du chapiteau, l’accompagnement du barrissement des éléphants, du hennissement des chevaux, du rugissement des lions superbes étaient bien faits pour évoquer des aventures orientales.

Nous jouâmes certaines scènes où j’étais son mari et elle ma femme. Elle faisait chavirer son regard bleuté dans mes yeux. Elle ne se doutait pas l’innocente (ou s’en doutait-elle ?) qu’elle versait en moi le trouble et un obscur désir. Je sentais son souffle encore d’enfant à hauteur de ma joue.

Il lui arriva même de me donner un baiser les yeux mi-clos, emporté par le jeu. Ce baiser était pour moi une marque au fer rouge sur ma peau. Ma situation ne me donnait guère de chances avec les femmes. Je le savais bien.

Elle était ma seule amie, la seule compagne de mes instants de liberté et de bonheur...

Puits un jour elle ne voulut plus jouer avec moi. Sans me dire pourquoi elle se mit à me bouder. J’avais le cœur de déchirer à l’idée de lui avoir fait quelque peine. Je demandai timidement explication. Elle me répondit que ce n’était rien, que je ne pouvais pas comprendre.

Je remarquai soudain que Lili était presque une demoiselle.

La juvénile poitrine commençait à pointer sous le tricot, les formes à s’al1onger et à s’évaser, la lèvre à se faire plus sensuelle, le regard à s’alanguir, l’esprit à s’ouvrir sur des rêves vagues...

Je réalisai que la jeune fille ne voulait plus de son compagnon de l’enfance. Elle le trouvait indigne maintenant de marcher à ses côtés dans le nouveau chemin rempli de musique et de fleurs qu’elle imaginait s’ouvrir devant elle.

Je la voyais se dissimuler fréquemment dans les coins avec des garçons, semblant en éprouver un certain plaisir. Je n’osais plus l’approcher depuis qu’un jour ils m’avaient chassé à coups de pierre. Elle les avait laissé faire sans rien dire, mais      rire non plus....

Cependant les ponts n’étaient pas entièrement coupés.   Nous nous disions     “Bonjour” lorsque nous nous voyions, avec comme une complicité involontaire dans nos regards, chargés de souvenirs communs.

Fabuloso mourut agrès avoir tout dépensé. Les mauvaises langues visaient de lui qu’il était plus doué pour faire sortir des billets de banque d’une boîte vide, que pour les conserver dans sa poche.

Aussi, tout naturellement, Lili en vint à apprendre un métier du cirque.

En effet, fréquentant peu l’école, les enfants de la balle ne pouvaient guère envisager d’entrer dans un quelconque état de la société qui les entourait et où ils se sentaient mal à l’aise.

Habitués à voyager ils auraient eu quelques problèmes à se fixer en un lieu. Ils étaient des nomades, des êtres fantaisistes, des feux follets, des esprits errants sur cette terre ; comme leurs parents l’avaient été.

Ainsi le cirque se perpétuait de lui-même, petite onde dans le grand.

J’assistai à ses débuts de loin, en feignant de ne point m’y intéresser. Avec quelques maladresses, elle s’habituait à vivre avec la corde. Il faut se faire accepter d’elle, comme le dompteur de ses lions. Elle a ses réactions et son tempérament comme eux.

Lili s’accrochait avec courage. Elle recommençait autant de fois qu’il le fallait. Son petit front se plissait et ses yeux devenaient butés. Presque tous les enfants du cirque ont cette obstination face aux difficultés, face au danger. Ils veulent triompher contre eux-mêmes, je pense. C’est ce que leur a appris cette rude école venue de très loin et dans laquelle ils sont nés.

J’avais l’impression qu’elle me toisait un peu dédaigneusement depuis qu’elle marchait là-haut telle une fée blonde, et que je n’étais plus qu’un disgracieux petit nabot qui rampait au sol.

Parfois de son fil, quand même, elle me faisait un petit signe de la main qui m’allait droit au cœur. Peut-être qu’elle n’en ne m’avait pas oublié, qu’elle n’avait pas oublié nos jeux d’antan ?

Et peut-être qu’elle me reviendrait un peu, pas complètement, mais du moins un peu. Je l’espérais plus que toute autre chose.

Elle devint une splendide trapéziste. Sa grâce et sa beauté faisaient monter des “Oh !” de stupéfaction et d’émerveillement des foules. Son corps était gracieux, son pied léger sur le câble.

Je dois avouer qu’à, chaque fois que je la regardais évoluer dans les airs, j’étais inquiet qu’elle ne vienne à tomber et ne se brisât à mes pieds.

J’étais jaloux des autres artistes qui posaient leurs mains sur la cambrure de ses reins, et oui lui souriaient. C’était pour la nécessité su spectacle ; mais cela me semblait plus que cela.

Je ne pouvais empêcher mon imagination de vagabonder après que la répétition fut finie et que ces garçons la raccompagnaient.

De quelque lointaine contrée du Sud, un jour, nous vint Cendréro. Il était précédé d’une formidable réputation de trapéziste. Son nom avait déjà figuré en gros sur les affiches des plus grands cirques du monde. Je vous parle d’un temps que les plus jeunes ne peuvent point imaginer. Alors les grands artistes de la piste étaient connus de tous ; et leur prestige immense dans notre petit univers.

Quel bel homme c’était Cendréro ! D’assez bonne taille, brun de poil et de peau, une musculature à faire frémir d’aise les dames. Et une certaine bonne idée de soi, une certaine aisance, bien faite pour lui assurer leurs faveurs.

Il fut bientôt la coqueluche de tout ce que pouvait compter de spécimens de l’espèce féminine du cirque depuis l’ouvreuse jusque-là femme du propriétaire, en passant par les souples écuyères, les jongleuses....Même la femme-serpent n’aurait pas dédaigné de le prendre dans ses anneaux.

Le Directeur comprit tout de suite le parti qu’il pouvait tirer de ce couple contrasté et harmonieux. Lui fonçé et fort, elle blonde et gracieuse. Lili et Cendréro. Cendréro et Lili. Les conquérants des airs !

Ils devaient devenir dans l’esprit des gens comme la concrétisation de l’homme et de la femme idéaux se faisant pendant, se mettant en valeur réciproquement et planant loin au-dessus des préoccupations terrestres.

Ils semblèrent prendre goût à cette idée. En effet on les remarquait presque toujours ensemble ; à l’entraînement bien sûr, mais aussi dans la vie. Ils devisaient ensemble, semblaient se faire des confidences. Lili plutôt rêveuse et sérieuse, devient rieuse et joueuse. Les langues ne manquaient pas de se délier. Beaucoup de ces commères n’étaient en fait que des jalouses qui auraient bien voulu se trouver à la place de Lili.

Lili ne semblait plus me voir, et elle ne me parlait plus. C’est à peine si lorsque nous nous rencontrions, nos regards se croisaient vaguement.

Cela m’était affreusement pénible. J’étais seul, terriblement seul. Je redevenais ce que je n’avais jamais cessé d’être : un nain affreux et colérique. Et dans un coin de la roulotte que je partageais avec d’autres nains, je me mettais à pleurer tout seul.

Moi, amoureux de Lui ! Cette passion avait du germer en moi depuis bien longtemps, quoique je fis tout pour l’étouffer. Idée absurde, chimérique, démente que de pouvoir croire qu’un jour elle s’intéresserait à moi autrement que comme objet de sollicitude !

Lentement comme des poisons subtils, la jalousie et la haine s’infiltrèrent en moi contre l’intrus qui venait de me ravir Lili. Mes yeux ne pouvaient cacher leur éclat terrible en présence de ce Don Juan du fil. Il ne semblait pas s’en apercevoir. Au contraire il faisait preuve à mon égard d’une sorte de ton protecteur plutôt affectueux. Ce ton me faisait mal.

C’est sûr que la comparaison entre nous ne pouvait aller qu’à son avantage. Et ce que cela pouvait me faire rager !

Lili après tout était bien en âge de prendre un amoureux. Peut-être aurais-je supporté n’importe lequel autre ? Mais celui-ci me semblait fat et sot. Et de savoir qu’il touchait la belle Lili m’était insupportable.

Et de plus en plus j’envisageais de me débarrasser de lui. Il ne me restait plus qu’à trouver le moyen.

Ma faible taille m’interdisait les procédés physiques brutaux.

Dans une bagarre, même à coups de couteaux, il m’aurait désarmé en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Dans ce cas je n’aurais fait que de me ridiculiser.

J’étais lâche aussi ; je n’avais nulle intention d’être déféré à, la justice et de subir la haine des foules hystériques. Je voyais déjà les titres des journaux : » un nain jaloux assassine le trapéziste... «

Je ne voulais pas non plus que Lili soit victime de ce scandale que nous soyons définitivement brouillés et qu’elle connaisse le vrai fond de mon âme.

Plus que tout je comptais survivre à mon forfait, me féliciter de mon astuce. En un mot savourer ma victoire hypocritement. J’avais bien calculé mon coup. Et j’en étais assez fier. J’attendis le grand soir, crevant d’impatience et de peur. Je n’osais plus regarder Lili. Elle ne semblait pas d’ailleurs en être beaucoup affectée, toute à son rêve intérieur.

Le moment était bien choisi. En plein milieu de la représentation. Sous les fantastiques lueurs des projecteurs, le tambour répand sa musique inquiétante. Tous les visages sont levés, béats d’admiration, vers ce couple merveilleux. Lui si bien découpé, elle revêtue d’un maillot où jouent les paillettes. Si beaux là-haut, si sûr d’eux-mêmes…

Les gnomes tenaient un rôle dans ce numéro  appelé "Blanche-neige et les sept petits nains ».

Un rôle de faire-valoir évidemment. En ce qui me concerne j’étais négligemment appuyé sur un piquet où aboutissaient de grosses cordes ; ma cape recouvrant certaines à demi.

Et je regardais en haut comme le tout le monde.

De ma poche intérieure, par en dessous le drap, sans qu’on puisse le voir, j’extrayais une petite scie que j’y avais amoureusement dissimulée.

Sans en avoir l’air, à toute vitesse en jubilant, je me mis à couper la corde. O comme le métal mordait bien les fibres !

Les petits hommes peuvent être fort adroits contrairement à ce que les gens pensent communément.

Soudain ça lâcha d’un coup. Je compris avec terreur que, dans ma fébrilité, je m’étais trompé de câble. Et c’est Lili qui alla s’écraser contre le sol, comme une fragile marionnette...

Je m’étais brisé avec elle, à cet instant. J’eus l’impression que j’éclatais aux quatre coins en mille morceaux brillants et noirs. Disloqué à jamais... Mon être écartelé criait intérieurement et saignait. J’avais affreusement tué la seule personne que j’aimais réellement.

Il y eut un grand silence. Puis la montée des voix stupéfaites... Tous les artistes se rapprochèrent de Lili. La peine était inscrite sur leurs visages ; car tout le monde aimait bien Lili, si bonne avec chacun. Je ne m’approchai pas d’elle. Mais cela dû sembler naturel, que je n’en aie pas le courage ; car nul n’ignorait que nous avions été très ami lorsqu’elle n’était qu’une enfant.

Je sentais depuis un moment un regard posé sur moi. Vous savez cette impression qu’on a lorsque quelqu’un vous contemple intensément même lorsque vous avez le dos tourné. Pas de doute on m’observait.

Ca m’avait observé pendant toute la scène. J’en avais la ferme conviction.

Je me retournais d’un coup, décidé à en avoir le cœur net. Un petit garçon brun, vêtu comme un jeune bourgeois endimanché, avec un nœud papillon, sans doute soigneusement noué par sa mère, très fière de lui. Le petit bourgeois appartenait à une paire d’yeux.

Des yeux immenses qui lui mangeaient la face, ouverte comme des fenêtres… Et ce regard. Je n’ai jamais vu de pareil regard. A la fois comme horrifié et fasciné par ce qu’il avait vu. Alors que l’attention de tous était capté par le trapèze et que la salle était plongée dans la semi-pénombre, il avait préféré s’intéresser a moi ! Et il savait. J’en étais sûr. IL SAVAIT ! Et peut-être qu’il avait tout compris de ce qui c’était passé dans mon esprit !

J’allai lui rendre visite le lendemain. Elle vivait dans une belle roulotte depuis qu’elle était devenue une vedette. Mais ça ne lui était pas monté à la tête. En effet elle avait précieusement conservé et entretenu tous les            souvenirs qu’elle possédait de  « Fabuloso ».

Je n’ignorais point qu’elle allait mourir. C’est ce que le médecin avait déclaré et tout le monde le savait. Elle le savait elle aussi, cela se voyait sur ses traits.

Je fis semblant d’avoir bon espoir. Je lui avais apporté un bouquet et quelques friandises qu’elle ne pourrait pas manger. Sa colonne vertébrale était brisée en plusieurs endroits et son corps n’était plus que plaies vives. Elle devait souffrir atrocement, mais elle supportait crânement ce coup du sort. Même elle adoptait un ton faussement enjoué pour me parler. On côtoie tous les jours la mort au cirque. Et elle en avait vu de ces artistes devenus plus bons à rien â la suite d’un accident oui traînaient une vie misérable. Elle s’était faite à l’idée qu’elle allait mourir. Mais elle se trouvait quand même bien jeune pour cela. Elle regrettait de ne pas avoir connu plus de la vie. Elle m’avoua qu’elle aurait aimé se lancer à la rencontre du monde.

Malgré moi des larmes perlaient de mes yeux et coulaient sur mes joues. N’en pouvant plus de cette tension, je pris congé d’elle. Avant que je ne n’en aille elle me regarda intensément et elle me prit la main. « Tu sais », me dit-elle, « je crois bien que je t’aimais. Il faut que tu le saches.... Ne m’oublies pas ! » ajouta-t-elle, « Mais ne penses pas trop à moi ! »

Je fus convoqué par la police, comme les autres, pour témoigner. Ils ne semblèrent rien trouver de suspect dans mes déclarations. Aussi ils ne m’inquiétèrent pas. Par contre lorsque le Directeur me fit venir, il avait un drôle d’air. Il me déclara que dorénavant il serait obligé de se passer de mes services. Il devait se douter de quelque chose. Mais il n’était peut-être pas sûr que j’avais scié la corde. A moins qu’il ne voulut pas ternir la réputation de son établissement ou qu’il pensa que ce crime commis sous le chapiteau ne regardait que le monde du cirque ?

Je ne sais.

« Il y a quand même quelque chose que je ne comprends pas dans cette affaire », dit pour terminer le Directeur. Oui il y avait quelque chose d’incompréhensible !

J’appris plus tard que Cendréro était parti lui aussi et nul ne le revit jamais, et ne sut dire ce qu’il était devenu.

Je n’ai plus que cela dans ma vie : être clown.

Les quelques minutes que j’ai passées sur la piste ont enluminé ma pauvre Journée. Et je m’en vais sous les applaudissements qui me versent comme une légère ivresse.

Ici seulement j’ai l’impression d’exister encore. Je suis dans cette mystérieuse communion du spectacle que je ne saurais expliquer exactement. Mes paroles sont usées d’avoir trop traîné sur la piste, nies jeux de mots sont énormes. Qu’importe !

Je suis un clown.

Et tout barbouillé par mes farines de couleur, tout ridicule dans mes habits dorés de taille extravagante, je joue.

J’oublie qui je suis.

À chaque fois il se passe la même chose. Je me sens presque 1' égal des Dieux. L’orchestre joue une musique que l’on appelle de cirque et qui est pour moi la seule musique. Les rampes fastueuses des lumières éblouissent l’espace. Le chapiteau bruit de la rumeur vivante des gens.

Je n’aime que cet instant rare...

les clowns de Paul Césanne

les clowns de Paul Césanne

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LE PORTE PLUME


 

"Pfuutt!" avait fait son ami Pierrot, en voyant le mince outil, élégant comme une danseuse de l'Opéra, taillé dans une matière rare dont il ne savait point le nom. Et son ami avait accompagné son sifflement de locomotive d'une grimace expressive, en gonflant ses joues, qu'il avait déjà essayée d'imiter mais sans aucun succès. Cette mimique de Pierrot lui appartenait comme le cheval "Bijou", vieille carne dégingandée mais pittoresque, appartenait au Père Martin, et comme la tour Eiffel appartenait à Paris; ça ne saurait pousser ailleurs!

 

Et mû par un orgueil coupable, il le faisait saliver, en tournant et retournant devant lui, d'une main précau­tionneuse, le porte-plume extraordinaire­

  - Combien qu'tu l'as payé! J'ai des économies dans ma tirelire, tu sais... Je peux m'en payer un pareil, même mieux!

- Des mieux qu'çui-là, y en a pas, ça n'existe pas! D'abord ça ne se vend pas!

- Qui t'as dit cette ânerie plus grosse que toi?

- C'est Monsieur Teillard qui me l'a dit! Il m'a donné ce porte-plume, comme j'avais bien travaillé pour lui."

 

Monsieur Teillard, que le maître d'école appelait lorsqu' il parlait de lui:"Teillard de Jardin", avec un gloussement de vieux dindon, on ne savait pourquoi, peut-être parce qu'il taillait souvent les haies qui encadraient son étroit jardin, était le libraire de la petite localité. Libraire était un bien grand mot pour son bric-à-brac, qui tenait du bazar, de la mercerie, de la papeterie, et accessoirement, en effet de la librairie. Mais les habitants tenaient à ce qu'on dise la librairie, cela donnait une touche d'in­tellectualité à leur petite bourgade, et ils en étaient fiers, quoiqu'ils n'achetaient jamais aucun livre, "bons pour les feignants", si ce n'est l'almanach une fois l'an, "plein de choses utiles et de vieux adages".

 

"Ah, si c'est M'sieu Teillard qui t'l'a donné..."

Pierrot ne pouvait contester cet argument imparable. Pour lui, le libraire était une personnalité, vivant au milieu de ses livres mystérieux, le lorgnon sur le nez, un peu comme un vieil hibou, au fond de son antre. Il inspi­rait à l'enfant un respect mêlé de crainte.

 

De plus, il tirait prestige du fait qu'il exerçait un métier particulier, ne gagnant pas sa vie directement du travail de ses mains - un peu comme le prêtre et l'instituteur.

 

Enfin M. Teillard avait beaucoup voyagé. Avant de venir s'installer à Troumont, d'où sa famille était originaire, il avait été, pendant plus de vingt ans, vendeur à "La Samaritaine", ce qui lui avait donné une grande connaissance de la "vie parisienne" et du monde.

 

Presque tous les jeudis, Roby, jeune héros de notre histoire, avait coutume de rendre visite à son vieil ami le libraire.

Le vieux misanthrope s'entendait bien avec le petit garçon. Et le petit garçon aimait bien le vieil homme, un peu bourru, mais si plein de bonté au fond, sous sa carapace qu'il s'était fait pour résister aux blessures de la vie. Car c'était un tendre, et un timide.

 

En général Roby était chargé de menues besognes par Teillard qu'il effectuait de préférence dans l'arrière-bouti­que. Il s'agissait d'un véritable capharnaüm, où s'entassaient des livres périmés, et toutes sortes de choses affé­rentes au commerce. L'enfant aimait bien être au milieu des vieux livres et il aimait leur odeur. Il lui semblait qu'ils recélaient une sorte d'âme fragile dans leurs caractè­res imprimés autrefois. Il n'avait aucun temps imposé, et il pouvait rêver à loisir, en feuilletant quelque ouvra­ge, sans que le libraire ne s'en inquiétât et ne vint le déranger.

 

Mais ce jeudi-là, la tâche était plus importante. Il avait sué sang et eau pour donner à la réserve un semblant d'ordre logique. Ce n'était point si évident à trouver, tant cela paraissait étranger à la nature du lieu, qui avait sa cohérence propre, connue seulement de lui-même et,... de quelques initiés.

 

Il avait constitué des piles soigneusement ficelées dont le savant équilibre aurait pu impressionner un jongleur professionnel. Mais enfin cela tenait. Pour fignoler son bel ouvrage, il avait même, après avoir arrosé, pour ne point soulever la poussière, avec le vieil arrosoir à trous, balayé le sol. Il faisait toutes ces corvées pour M. Teillard sans déplaisir, alors que sa mère devait le supplier pour lui faire effectuer la moindre course, ou le plus mince travail. "Si seulement il pouvait me donner la recette" soupirait la pauvre femme en levant les bras au ciel.

 

Après cet exploit, il avait été, assez fier de lui, rendre compte à M. Teillard_ Le libraire qui répondait à l'heureux prénom de Gédéon, sentit bien qu'il devait récom­penser autrement que par les petits cadeaux habituels, ce mérite exceptionnel. De même qu'on ne saurait distinguer de la même manière l'héroïsme du soldat qui enlèverait à lui-seul une redoutable ennemie, et son travail de routine journalier consistant à nettoyer son fusil, entretenir le casernement ou éplucher la ration de patates.

 

Aussi, avec une certaine solennité, du fond d'un tiroir quasiment secret, après l'avoir soigneusement essuyé avec un chiffon propre, il retira un superbe porte-plume.

 

" Il n'était pas là pour que je le vende. Je le réservais pour une grande occasion" dit-il à. Roby, rougissant jusqu'aux racines des cheveux.

 

"Ce jour est venu. Ce porte-plume n'est point ordinaire: non seulement il écrit, et fort bien, ce qui est la fonction naturelle d'un tel appareil, mais en plus on peut voir des paysages à l'intérieur, par le petit orifice de verre, qui se trouve ici."

 

Il le lui désigna du doigt, et y vissa son oeil. Et il ajouta: "Tu pourras même y voir des choses que les autres ne verront pas!"

 

Cette parole sentencieuse intrigua fort sur le moment le garçon, et le troubla encore longtemps par la suite.

 

Qu'avait-il donc bien dû vouloir dire par là, cela ca­chait-il quelque mystère?

A l'école l'exercice était périlleux. Tandis que M. Fleutot, l'instituteur tournait le dos, il fallait rapidement coller son oeil à la minuscule fenêtre et regarder en vitesse la vue qui apparaissait alors.

 

M. Fleutot était surnommé plus communément par les élè­ves:"La flûte", certes à cause de son nom, mais aussi, et cela allait bien ensemble, à cause de sa longue silhouette maigre. En outre, le son de sa voix n'était pas sans évoquer celui de cet instrument de musique aux mains d'un apprenti récalcitrant. Mais les élèves de cette école rurale étaient peu mélomanes, et c'est surtout à la flûte du boulanger qu'ils pensaient, tandis que le maître arpentait à grands pas la salle, en agitant ses mains qui dépassaient de la blouse grise.

 

Il fallait rester attentif cependant à ce qui se passait autour de soi. En effet "la flûte" était un animal d'une nature sournoise.

Car, il était fréquent que paraissant absorbé à calligraphier quelque belle maxime avec soin au tableau, il se re­tourna d'un coup pour surprendre un des élèves à quelque polissonnerie dont ils n'étaient point avares. Un de ses autres tours favoris consistait à partir dans le corridor ­on ne savait trop pourquoi et à revenir soudainement sur ses pas.

 

Par petits coups, comme un goûteur de grands crus, Roby se régalait de la contemplation des images. En effet, comble de raffinement (!), il suffisait de faire pivoter la partie supérieure de l'appareil, pour qu'un autre cadre apparaisse, encore plus joli que le précédent. Se livrer à ce type d'ac­tivité en classe y ajoutait la saveur du péché. Sans compter l'envie et l'admiration de ses petits camarades.

 

Partout une très belle petite fille brillait. Toujours très soigneusement vêtue, quoiqu'en des tenues différentes selon les lieux et les circonstances. Elle paraissait à la fois très sage et très malicieuse. Comme si cette sagesse de petite fille était ce qu'on voulait lui imposer dans son comportement. Et sa malice sa vraie nature qui trans­paraissait et qui disait: "Vous avez beau me réprimander, laves tes dents, mouches ton nez, ne dis pas de gros mots, ne t'assieds pas dans l'herbe, ne froisses pas ta robe... J'apparaîtrai telle que vous voulez que je sois, mais vous ne m'aurez pas! Je sais que vous ne dites que des bêtises dont vous ne pensez pas un traitre mot. Et, tant que je pourrai échapper à votre monde stupide de grandes personnes, je resterai telle que je suis, NA!

 

Et cette petite fille narquoise, voire même un peu effr­ontée, lui plaisait beaucoup, plus même il en était tombé amoureux.

 

C'était son premier amour. Jusqu'à présent il n'aimait pas trop les filles. Si on se battait avec elles et qu'on tirait un peu leurs cheveux, elles se mettaient à pleurer! Ce n'était pas intéressant du tout!

Et puis elles n'étaient pas aussi soignées, de loin s'en fallait , que celle-ci!

 

Bien sûr, il y avait juste Jacqueline. Elle avait de longues nattes blondâsses, et un gentil sourire. Il l'aimait bien. Cela devait se voir, car ses copains criaient, si ils la croisaient: " C'est ta bonne amie, c'est ta bonne amie!" Ce qui ne facilitait guère une approche discrète, on en conviendra. Elle le contemplait navrée, tandis qu'ils se quittaient sans avoir rien ne pût se dire.

 

Un jour, tandis qu'il admirait une nouvelle fois la petite fille blonde qui jouait avec grâce au cerceau, celle -ci, comme excédée se retourna et lui parla.

" A la fin en voilà assez, depuis le temps que tu m'observes, viens jouer avec moi si tu veux! "

"-Moi?" Roby frappa de la  main sa poitrine.

"Oui, toi! Qui veux-tu que ce soit? Tu en vois un autre? «

« Mais je ne peux pas! C'est impossible! »

« Mais si tu peux poltron, essaies donc un peu gros lourdaud!"

 

A sa profonde surprise, Roby se glissa par le trou comme une couleuvre, et entra dans l'image au côté de la petite fille sans difficulté apparente. Il put jouer avec elle. Il craignit seulement un peu de ne jamais pouvoir retourner à l'école, ce qui n'était pas trop grave, et de ne plus jamais revoir sa famille, ce qui l'était un peu plus. Il regretta un peu de ne rien pouvoir raconter, pour faire "bisquer" ses camarades s’il revenait. Mais personne ne le croirait, et on penserait qu'il était devenu fou!

 

Quand il jaillit hors de la cavité, il s'aperçut que personne ne s'était rendu compte de sa fugue, et que son corps ordinaire était toujours resté bien sagement assis sur son banc.

 

Roby pensa que ses "absences" en classe duraient de plus en plus longtemps, et que ce qu'y passait ne l'inté­ressait plus du tout lorsqu'il partait " en voyage". Cela devenait de plus en plus dangereux pour lui. M. Fleutot fleurait quelque chose de son grand nez. "Il est bien beau, mais i1 ne t'empêche pas de faire de superbes pâtés!" C'est vrai qu'il n'écrivait pas si bien que cela pour un appareil magique, il éclaboussait même pas mal! Certes Roby ne deman­dait pas un porte-plume qui corrigeât tout seul les fautes d'orthographe, mais enfin il aurait pût écrire mieux!

 

Aussi, devant les piètres résultats scolaires de l'outil, il pensa l'emmener à la maison, où il pourrait s'y faufiler à loisir. En classe il écrirait avec sa vieille plume. Mais rien n'y fit. L'entêté ne voulait fonctionner magiquement qu'à l'école. Il n'y a que là qu'il se sentait bien. Ce qui était au fond assez logique pour un porte-plume! Certes on pouvait toujours écrire avec et voir les paysages, mais pour entrer dedans et gambader avec la petite demoi­selle, bernique!

 

Même si on essayait par surprise!

Il aimait bien la promenade en barque. Il souquait vigou­reusement, tandis qu'Elle, assise à l'arrière sous une om­brelle laissait tremper sa main dans l'eau, le regard perdu dans quelque rêve intérieur...

Il .appréciait beaucoup moins la partie de tennis, quoiqu' il aimait à la voir évoluer en petite jupette blanche. D' abord parce qu'il ne savait pas jouer au tennis. Aussi elle était obligé d'appeler à la rescousse quelqu’un de ses amis, que Roby n'aimait guère et qui le lui rendaient bien. Il les trouvait prétentieux, mais surtout il avait la désa­gréable sensation d'être dominé. Tout se déroulait parfaitement bien jusqu'au jour...

 

C'était dans le paysage où la fille blonde se trouvait devant un beau manoir en pierres de taille. Après l'avoir salué, elle lui demanda tout de go s’il avait déjà vu les "dessous" d'une fille. Il avait bien vu ceux de sa soeur, par inadver­tance, mais cela ne comptait pas. "Et bien, viens, je vais te montrer les miens!" Et elle ouvrit la porte. "On peut?" dit il. "Je croyais qu'on ne pouvait pas sortir de l'image. - Mais si, on peut aller partout." Elle le conduisit par la main dans un petit salon, mit un disque. Et, au son de la musique, elle commença à se dévêtir. Elle finit par se retrouver en sous-vêtements. "Ça te plait?" Bien sûr que cela lui plaisait. Il n'avait jamais rien vu de plus beau. " Je vais te montrer autre chose, aides-moi maladroit!" Et elle lui fit dégrafer la bretelle de son mignon soutien-gorge. Les deux petits seins déjà bien formés se dressaient fièrement précédés de leurs petites pointes...

 

Soudain Roby comprit qu'il était resté cette fois beau­coup trop longtemps. Et il décampa en vitesse vers la classe. Trop tard! Fleutot était à côté de lui, tout près. Il pouvait sentir son odeur écoeurante de vieux tabac et de craie mêlés. Il se dit que ça allait chauffer pour lui. Il ne se trompa pas!

 

" Tu n'as rien écrit depuis que je dicte! Monsieur rêve, passe son temps à contempler son porte-plume!"

 

La punition fut plus effrayante que ne ce l'était ima­giné Roby. Il eut préféré recopier cent fois tous les livres de la bibliothèque. Un seul mot, terrible, servit de verdict: CONFISQUE ! Et l'instituteur prit l'objet du délit et le fourra dans sa vaste poche.

 

En général, à la veille des vacances scolaires, en un bon geste, le maître d'école rendait les objets confisqués aux élèves. Cette année-là il ne le fit point! Et Roby n'osa pas le réclamer...

 

****

 

Bien des années après, Roby devenu maire de sa petite commune, fit procéder au déménagement des vieux meubles de la salle de classe.

 

Il eut l'idée de fouiller le tiroir du bureau de l'insti­tuteur. Il n'y trouva rien, mais en l'enlevant il vit le porte-plume qui était tombé en dessous et qui était resté tout ce temps à l'abri des regards.

 

Il sourit: "C'était des enfantillages de gosse!". Mais lorsque personne ne le regardait plus il mit avec émotion son oeil à la vitre, comme autrefois. Les vues étaient tou­jours en place, quoiqu'un peu défraîchies, et la petite fille était toujours là, elle-aussi.

 

Mais rien n'y fit. Il ne put jamais rentrer dans le porte-plume. Il le ramena chez lui et le garda dans un rayon de sa commode, en souvenir de son premier amour. " Le seul qui ait réellement compté pour moi" pensa-t-il.

 

Peut-être qu'un jour un jeune écolier le trouvera et pourra alors s'en aller vers de splendides aventures avec la fillette blonde. Peut-être même qu'il restera à l'inté­rieur!

 

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Published by Stéphane Dubois - Le Porte - Plume (conte), merveilleux, Contes

LES QUATRES DAMES ET LE VALET

LES QUATRES DAMES ET LE  VALET
 

 

Un pouce énorme devant un visage gigantesque et boursouflé. Un sourire grimaçant, lourd de pensées menaçantes, avec des dents ébréchées, mais aigues cependant comme des couteaux de pirates. Le pouce énorme gourmandeusement tenait une carte d'un jeu de géant. Il en gardait précieusement la figure tournée vers lui. Enfin, avec un claquement sec, il l'abattit vers l'homme allongé, comme mort.

 

 

  DAME DE TREFLE !



Aussitôt la carte à plat, la Dame parut se lever de la tranche, pivota sur elle-même en se métamorphosant et en s'affinant progressivement , comme l'argile du potier prend peu à peu forme et devient amphore.

 

 

La splendide tahitienne, une vive fleur délicatement accrochée à L'oreille, lui souriait d'un air érotique et bienveillant. Il n'avait jamais remarqué combien en cinq doigts de pied s'inscrivant dans le sable pouvaient être aussi humainement beaux. Belle jusqu'au bout des doigts de pied voulut dire quelque chose pour lui.

 

Quel poète eut pu célébrer ses deux seins aussi savoureux que deux coupes de crème caramel ? Et la ligne de ses reins qui semblaient appeler les caresses comme le port les bateaux ?

 

 

" Douce oiselle, m'es-tu restée fidèle pendant tout ce temps ?" Elle exquissa une mimique qui voulait dire qu'elle avait été sage autant que le climat, l'échauffement des sens et les circonstances l'avaient permis.

 

 

Il considéra qu'il s’agissait là d'un aveu de chasteté suffisant. Il lui prit la main vibrante de chaleur et l'attira vers lui. Elle se laissa faire gracieusement avec la souple raideur d'une belle plante.

 

 

Il sentit à ras de peau son parfum_ riche de soleil, d’eaux salées. Il 1a caressa avec tendresse. Elle ferma les yeux. Le bruit de la mer battait aux oreilles de l'amant avec cadence. Rythme des pulsations du coeur du monde. Un palmier éclatait de sa vitalité en jaillissements verts. C'était le moment propice à l'amour ...

 

 

...................

 

Le monstre la saisit, avec une dextérité délicate de Joaillier dont on ne l'aurait point cru capable, entre le pouce et l'index, par le col, et la retira du corps de l'homme. Puis, d'une pichenette soigneusement ajustée, il l'envoya rouler sur 1a carte à: jouer. Du plat de sa main il l'écrasa contre le carton pour qu'elle y reprenne sa place. Et il remit froidement 1e rectangle dans son jeu.

 

D'un air goguenard il choisit un autre personnage.

 


   DAME DE CARREAU !


La main cette fois fit tournoyer le bristol et une jeune femme blonde enn fut projetée, se recevant sportivement sur ses pieds.

 

 

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Il l’avait connue par hasard à l'une des bibliothèques de Stockholm. Cette bibliothèque qui donnait sur la Place du Parlement, dans cette partie de la ville où l'architecture moderne tordait audacieusement le métal et le verre dans ses pinces artistes et techniciennes.

 

I1 avait frôlé ses longs doigts fins, mais d'une fermeté d'acier tandis qu'ils prenaient tous deux le même livre.

 

C'était - i1 s'en souvenait -: " Le Guépard " de Lampedusa en Italien. Il n'y en avait qu'un unique exemplaire sur le rayon. Elle riait avec ses dents de belle fille saine. Il Lui proposa avec une aisance feinte d'aller le lire tous les deux chez elle. Et il ajouta il ne savait plus quelle banalité sur les plaisirs de la lecture commune. Son oeil bleu parut amusé de la suggestion, la fit tournoyer dans ses eaux profondes. Elle répondit simplement :" Oui- ". Et il suivit par les rues son long blue-jean soigneusement délavé, et son sobre tee-shirt blanc sur lequel était écrit : " free ».

 

 

Sa chambre sous ]-es combles d'un vieil immeuble était bien à son image. Ça sentait bon le bois clair, et l'absence de recoins tortueux. Elle lui avoua franchement que ce qui lui avait plu chez lui d'un coup,, c'était son mauvais accent anglais et son air " paumé " dans la vie. Ils se trouvèrent même une opinion commune, à. savoir que la littérature les aidait à vivre.

 

" Tu veux faire l'amour ?" 1ui demanda-t-elle calmement,

" Il parait que vous Français, vous ne pensez qu'à ça !"

Et sans attendre sa réponse elle fit glisser tranquillement son mince coton par dessus ses épaules. Elle ne portait point de soutien-gorge; et ses rotondités étaient pleines de charmes doux…

 

 

Il allait s'avancer vers elle pour la faire basculer sur la banquette et l'embrasser. Mais elle l’arrêta :" Je ne fais jamais cela avant d'avoir fumé une cigarette et bu une bière bien fraîche. Souvent dans la chose c'est la bière fraîche que je préfère « la galipette."Elle avait dit " galipette " en français, souvenir culturel de vacances dans le Midi, avec une intonation savoureuse.

 

 

......................................................

 

Le joueur sadique souleva la suédoise comme une plume et la mit dans la boîte du Tarot. Tandis qu'elle se cramponnait à la bordure d'une main, elle faisait des signes désespérés de 1-'autre. On put lire dans son regard des multitudes de regrets. Le barbare la poussa d'une légère tape de l'index dans le fond et referma le couvercle.

 

 

Et il continua sa terrifiante partie.

  DAME DE PIQUE !


 

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Les seins vigoureux tressaillaient à- la cadence du pilon qui écrasait le mil. Et cette sorte de danse et le visage de Ta noire étaient pleins de jovialité. Les cris aigus et les odeurs épicées remplissaient ce village baigné de lumières. Elle vit soudain le mâle étendu et se précipita vers lui toute douce.

 

Elle passa les doigts sur les  contours de son visage pour se persuader que c'était bien lui. " Les tam-tam n'ont -point annoncé ton arrivée ?" lui déclara-t-elle. " Je croyais que tu ne reviendrais jamais. Viens-tu vivre ici définitivement ? 0 j'aimerais tant ! "

Il ne répondit point à la question. Bien sûr qu'il aurait aimé passer le restant de ses jours en ce lieu.

 

Il l’attira dans la case ... Elle comprit ce qu'il voulait : elle vibrait du même désir. I1 y a si longtemps qu'ils attendaient ces retrouvailles. L'air à l'intérieur était rempli de senteurs lourdes. Leurs effluves éclatant sous la chaleur multipliaient leurs ardeurs ... Il mit la main sous le mince pagne, au creux de sa chaleur moite...

 

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Un jet puissant renversa et la femme et la case, d'un seul coup:.  

  DAME DE COEUR !

 

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«  Très honorable maître, ta servante l'indigne Mitsoucko, se permet de te demander de bien vouloir accepter de prendre le thé avec elle dans son humble maison ... "

 

Et 1e kimono bleu somptueusement constellé de points d'un beau jaune doré, s'inclina profondément. La Jeune japonaise était toute politesse et délicatesse. Un large sourire constamment présent éclairait son visage. Un sourire un peu artificiel, un peu trop éduqué et apprêté. La peau dans l'échancrure du vêtement paraissait douce et tendre comme une pousse neuve de bambou.

 

Il était assis en tailleur sur le tapis tandis qu'elle se livrait à la longue cérémonie de la préparation du thé. Véritable office religieux venu du fond des âges, et dont le rite avait été précieusement conservé par des mains pieuses.

 

" Cette fois tu ne m'auras pas !" dit l'amant trop souvent floué à l'adresse du magicien mystérieux. " Je limiterai au maximum les préliminaires. Car lorsque tout parait en excellente voie, tu viens tout briser par ton intervention intempestive. "

 

Et il sauta, d'un bond de judoka, sur la Prêtresse de  la feuille sacrée, à demi accroupie qui se demanda, offusquée mais digne, ce qui Lui arrivait. Son épiderme dégageait un parfum frais et envoûtant.

 

Elle ne le repoussait pas vraiment, car il était évident que 1-'idée de lui prêter partie de sa couche ne lui répugnait aucunement, mais le moment en était incongru. " Bois de ce breuvage, il a des vertus aphrodisiaques reconnues ... " ajouta-t-elle sentencieusement avec sa voix aux intonations flexibles.

 

" Je boirai de ta tisane après ... " Et l'amoureux pressé continuait de la caresser avec insistance. Elle allait sans doute succomber à ces rudes moeurs occidentales ...

 

 

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Mais une nouvelle carte tomba.
  LE VALET DE COEUR !

 

Lahire pouvait-on lire sur le carton. Les lettres de Lahire se mouvèrent seules et constituèrent HILARE. Et l'on entendit un gras rire. Les lettres bougèrent encore, animées d'une sorte de frénésie infernale. Cela redevint Lahire. La première syllabe se mit en queue. Hirela, le E vola comme un danseur par dessus la tête des autres, et se plaça avec adresse derrière le H.

 

 Heirla. Les deux dernière lettre firent un chassé-croisé . Et le mot devint HEIRAL.

 

C’était le nom de l'homme qui dormait .., et qui se réveilla alors en maugréant !

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