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Site sur la Science-fiction et le Fantastique

Articles avec #les clowns de pauk cesanne

LE CLOWN


 

Je n'aime que cet instant rare.

Le chapiteau bruit de la rumeur vivante des gens. Les rampes fastueuses des lumières éblouissent l'espace. L'orchestre joue une musique que l'on appelle de cirque et qui est pour moi la seule musique. Elle me trempe le corps d'un bain de jouvence et me revigore l'esprit. Je me sens presque l’égal des dieux.

 A chaque fois il se passe la même chose... J'oublie qui je suis.

Et tout barbouillé par mes farines de couleur, tout ridicule dans mes habits dorés et de taille extravagante, je joue.

Je suis un clown.

Mes paroles sont usées d'avoir trop traînées sur la piste, mes jeux de mots sont énormes. Qu'importe ! Je suis dans cette mystérieuse communion du spectacle que je ne saurais expliquer exactement. Ici seulement j'ai l'impression d'exister encore.

Et je m'en vais sous les applaudissements qui me versent comme une légère ivresse. Les quelques minutes que j'ai passées sur la piste ont enluminé ma pauvre journée.

 

Je n'ai plus que cela dans ma vie être clown. Il ne me reste plus rien d'autre. Il n'en a pas toujours été ainsi. J'ai connu des moments où j'avais encore au coeur quelque espoir. Je n'en ai plus aujourd'hui. Un ressort s'est cassé en moi d'un coup.

 Je ne supporte plus de regarder les numéros de voltige. Lorsque Monsieur Loyal annonce l'arrivée des trapézistes, je prends bien garde de me trouver déjà dans les coulisses. Et jamais je ne les observe qu’au travers des toiles. Leurs évolutions me terroriseraient et me rappelleraient trop de choses. Trop de choses que j'essaie de dissimuler dans ma mémoire, mais qui me hantent quand même encore tant d'années après.

 Mon passage terminé, je ressens de nouveau ma tristesse, vieille blessure purulente que je porte toujours au côté; et j'attends la prochaine séance. Ne survivant que dans cette espérance.

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Je dis :"cirque !" Et je vois...

 Tigres du Bengale, beaux et souples.

Lions de l'Atlas marron et blasés. Fatigue et fierté dans leurs yeux plissés sous les lumières."Que sont-ils venus faire en ces pays froids ?" se demandent-t-ils surpris. »

«  Quels sont ces fous qui les regardent sous ces feux terribles, qui ne valent pas le vrai soleil ? "

 Eléphants, gros comme des montagnes se dodelinant placidement sous les ordres du cornac, et s'ennuyant comme des Lords.

 Le cercle courant des chevaux brillants d'être étrillés. Rien de plus beau et de plus sobre peut-être que cela, tournant, virevoltant aux claquements du fouet. Ballet intelligent.

 Et la parade en ville ! On ne la fait plus aujourd'hui. Trop coûteuse et gênant la circulation. La parade en ville. Annoncée 1a veille par des camionnettes munies de haut-parleurs sillonnant les quartiers à la grande joie des marmots. On défilait au milieu de rangées de badauds ébahis de voir pareil cortège et pareille fête. Les gamins des faubourgs dont les parents étaient souvent trop pauvres pour pouvoir leur payer une place pouvaient participer un peu à la liesse générale.

 Toute la troupe était là avec les animaux. Des costumes bariolés et scintillants. Une fanfare à égayer des cimetières. Les clowns se livraient à leurs cabrioles et à leurs pitreries sous les yeux émerveillés des enfants. Ceux-ci poussaient des petits cris de bêtes où pointait déjà la cruauté.

 C'était le cirque qui passait. Et il paraît pour un jour de joyeuses couleurs la terne ville, et jetait des éclats de lumière dans les tristes vies !

 Je dis CIRQUE ! Et je sens...

 L'odeur du cirque à nulle autre pareille. Cette odeur forte chaude et vivante. Cette chaleureuse odeur de communauté hommes-bêtes. L'homme et la bête partenaire des mêmes jeux. Complices et ennemis à la fois !

 

Hélas Madame le cirque se meurt, le cirque est mort !

Happés par le tube de leur écran de télévision, qui borne pour eux les frontières de l'univers, les gens se font plus rares.

Des journalistes nous disent qu'ils ont perdu leur fraîcheur d'esprit et leur naïveté d'antan. Qu'ils sont plus intelligents en somme ! Ne serait-ce pas plutôt une certaine capacité de vivre et d’enthousiasme populaire qui ont disparu ? Mangés par le culte de la marchandise et du faire-accroitre !

Les énormes frais de cette véritable ville ambulante deviennent trop lourds. On réduit le personnel et le nombre des animaux. Souvent aujourd'hui l'orchestre ne comprend plus qu'un musicien qui tape sur des batteries, tandis que des bandes magnétiques débitent leurs airs " disco ". On feint d'avoir dissimulé les joueurs dans une sorte de recoin des décors en carton. Et de temps en temps l'unique instrumentiste fait semblant de regarder ses camarades pour leur indiquer la mesure. Il ne trompe plus personne , c'est même un peu ridicule.

Marchands de rêves et d'illusions ! On nous dira que verser ces poisons est chose dangereuse. Comme si il n'y avait pas de plus redoutables marchands d'imaginaire dont l'office ne menait à de plus périlleuses issues !

Plus intelligent le Peuple, allons donc.., prêt à suivre n'importe quel dompteur

Je ne sais ce qui est le plus triste, le voir ainsi périr à petits feux, ou s’il disparaissait d'un coup  et qu'on en parle plus. Les hommes sont bien mortels, pourquoi le cirque ne le serait-il pas ?

Mais trop de fils ténus me lient à lui. S’il meurt mes souvenirs seront tués d'un coup, engloutis tant d'années. Je disparaîtrai sans doute avec lui.

Après mon décès je voudrais que l'on m'enterre dans de la toile de cirque avec un peu de sciure à l'intérieur.

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Et il y avait Lili. Lili était la fille du prestidigitateur « Fabuloso ». Je la connus alors qu’elle n’était qu’une gamine frêle et gauche, mais déjà si belle, et, comment dire, si « différente » une sorte de solitude un peu désespérée qui flottait sur elle la distinguait des autres... Ses cheveux si blonds, sa fraîcheur de peau semblaient être les reflets de la fraîcheur de son â7-11e. Et cette gentillesse légèrement détachée, cet intérêt qu’elle semblait éprouver pour tout le monde....

Toute jeune elle commença à aider, son « père. Elle lui « tenait son chapeau dont il tirait des pigeons et des mouchoirs multicolores en quantité. Elle apportait le sabre qui permettait au magicien de transpercer sa maîtresse du moment au travers du coffre magique.

Et celle-ci en ressortait indemne et joyeuse sous les vivats des spectateurs émerveillés. Mais Lili restait distante et sereine comme si le contact avec cette illusion un peu surfaite ne faisait que de l’effleurer.

Petit à petit, comme un lierre obstiné sur un pauvre mur, elle s’attacha « a-moi. Nous partageâmes nos solitudes, et nos univers...

C’est probablement parce que je n’étais qu’un nain qu’elle voulait bien me considérer comme un enfant et me faire cadeau de sa compagnie ? Peut-être aussi qu’une certaine pitié un peu cruelle se plaisait à exercer son pouvoir sur moi ? je ne sais. L’innocence de l’enfance n’est peut-être que le piège malhabile de l’adulte retord ; et sous les visages candides se cachent déjà les âmes compliquées ?

Ce que nos sensibilités meurtries par la vie dure préféraient, c’était se réfugier dans la fantasmagorie de l’imagination et du rêve.

Cachés dans un recoin du caravansérail, nous tenant la main, nous nous racontions des histoires fantastiques, compréhensibles de nous seuls...

Parfois même nous nous costumions des vêtements les plus invraisemblables, empruntés à des artistes, qui les traînaient dans leurs bagages. C’étaient des débris de leurs vies mortes. Et ils les ressortaient de temps en temps lorsqu’ils évoquaient au fond de leur roulotte leurs souvenirs.

J’étais Prince et elle était Princesse.

Nous habitions des palais bleutés et foulions des tapis somptueux, sur lesquels nous nous envolions pour des destinations féeriques. Ispahan la magnifique, Jérusalem la mystique ! Sans doute que pauvres villes de la réalité, que je ne visiterai jamais, vous n’avez rien de commun avec les riches cités de mon imagination !

Les toiles du chapiteau, l’accompagnement du barrissement des éléphants, du hennissement des chevaux, du rugissement des lions superbes étaient bien faits pour évoquer des aventures orientales.

Nous jouâmes certaines scènes où j’étais son mari et elle ma femme. Elle faisait chavirer son regard bleuté dans mes yeux. Elle ne se doutait pas l’innocente (ou s’en doutait-elle ?) qu’elle versait en moi le trouble et un obscur désir. Je sentais son souffle encore d’enfant à hauteur de ma joue.

Il lui arriva même de me donner un baiser les yeux mi-clos, emporté par le jeu. Ce baiser était pour moi une marque au fer rouge sur ma peau. Ma situation ne me donnait guère de chances avec les femmes. Je le savais bien.

Elle était ma seule amie, la seule compagne de mes instants de liberté et de bonheur...

Puits un jour elle ne voulut plus jouer avec moi. Sans me dire pourquoi elle se mit à me bouder. J’avais le cœur de déchirer à l’idée de lui avoir fait quelque peine. Je demandai timidement explication. Elle me répondit que ce n’était rien, que je ne pouvais pas comprendre.

Je remarquai soudain que Lili était presque une demoiselle.

La juvénile poitrine commençait à pointer sous le tricot, les formes à s’al1onger et à s’évaser, la lèvre à se faire plus sensuelle, le regard à s’alanguir, l’esprit à s’ouvrir sur des rêves vagues...

Je réalisai que la jeune fille ne voulait plus de son compagnon de l’enfance. Elle le trouvait indigne maintenant de marcher à ses côtés dans le nouveau chemin rempli de musique et de fleurs qu’elle imaginait s’ouvrir devant elle.

Je la voyais se dissimuler fréquemment dans les coins avec des garçons, semblant en éprouver un certain plaisir. Je n’osais plus l’approcher depuis qu’un jour ils m’avaient chassé à coups de pierre. Elle les avait laissé faire sans rien dire, mais      rire non plus....

Cependant les ponts n’étaient pas entièrement coupés.   Nous nous disions     “Bonjour” lorsque nous nous voyions, avec comme une complicité involontaire dans nos regards, chargés de souvenirs communs.

Fabuloso mourut agrès avoir tout dépensé. Les mauvaises langues visaient de lui qu’il était plus doué pour faire sortir des billets de banque d’une boîte vide, que pour les conserver dans sa poche.

Aussi, tout naturellement, Lili en vint à apprendre un métier du cirque.

En effet, fréquentant peu l’école, les enfants de la balle ne pouvaient guère envisager d’entrer dans un quelconque état de la société qui les entourait et où ils se sentaient mal à l’aise.

Habitués à voyager ils auraient eu quelques problèmes à se fixer en un lieu. Ils étaient des nomades, des êtres fantaisistes, des feux follets, des esprits errants sur cette terre ; comme leurs parents l’avaient été.

Ainsi le cirque se perpétuait de lui-même, petite onde dans le grand.

J’assistai à ses débuts de loin, en feignant de ne point m’y intéresser. Avec quelques maladresses, elle s’habituait à vivre avec la corde. Il faut se faire accepter d’elle, comme le dompteur de ses lions. Elle a ses réactions et son tempérament comme eux.

Lili s’accrochait avec courage. Elle recommençait autant de fois qu’il le fallait. Son petit front se plissait et ses yeux devenaient butés. Presque tous les enfants du cirque ont cette obstination face aux difficultés, face au danger. Ils veulent triompher contre eux-mêmes, je pense. C’est ce que leur a appris cette rude école venue de très loin et dans laquelle ils sont nés.

J’avais l’impression qu’elle me toisait un peu dédaigneusement depuis qu’elle marchait là-haut telle une fée blonde, et que je n’étais plus qu’un disgracieux petit nabot qui rampait au sol.

Parfois de son fil, quand même, elle me faisait un petit signe de la main qui m’allait droit au cœur. Peut-être qu’elle n’en ne m’avait pas oublié, qu’elle n’avait pas oublié nos jeux d’antan ?

Et peut-être qu’elle me reviendrait un peu, pas complètement, mais du moins un peu. Je l’espérais plus que toute autre chose.

Elle devint une splendide trapéziste. Sa grâce et sa beauté faisaient monter des “Oh !” de stupéfaction et d’émerveillement des foules. Son corps était gracieux, son pied léger sur le câble.

Je dois avouer qu’à, chaque fois que je la regardais évoluer dans les airs, j’étais inquiet qu’elle ne vienne à tomber et ne se brisât à mes pieds.

J’étais jaloux des autres artistes qui posaient leurs mains sur la cambrure de ses reins, et oui lui souriaient. C’était pour la nécessité su spectacle ; mais cela me semblait plus que cela.

Je ne pouvais empêcher mon imagination de vagabonder après que la répétition fut finie et que ces garçons la raccompagnaient.

De quelque lointaine contrée du Sud, un jour, nous vint Cendréro. Il était précédé d’une formidable réputation de trapéziste. Son nom avait déjà figuré en gros sur les affiches des plus grands cirques du monde. Je vous parle d’un temps que les plus jeunes ne peuvent point imaginer. Alors les grands artistes de la piste étaient connus de tous ; et leur prestige immense dans notre petit univers.

Quel bel homme c’était Cendréro ! D’assez bonne taille, brun de poil et de peau, une musculature à faire frémir d’aise les dames. Et une certaine bonne idée de soi, une certaine aisance, bien faite pour lui assurer leurs faveurs.

Il fut bientôt la coqueluche de tout ce que pouvait compter de spécimens de l’espèce féminine du cirque depuis l’ouvreuse jusque-là femme du propriétaire, en passant par les souples écuyères, les jongleuses....Même la femme-serpent n’aurait pas dédaigné de le prendre dans ses anneaux.

Le Directeur comprit tout de suite le parti qu’il pouvait tirer de ce couple contrasté et harmonieux. Lui fonçé et fort, elle blonde et gracieuse. Lili et Cendréro. Cendréro et Lili. Les conquérants des airs !

Ils devaient devenir dans l’esprit des gens comme la concrétisation de l’homme et de la femme idéaux se faisant pendant, se mettant en valeur réciproquement et planant loin au-dessus des préoccupations terrestres.

Ils semblèrent prendre goût à cette idée. En effet on les remarquait presque toujours ensemble ; à l’entraînement bien sûr, mais aussi dans la vie. Ils devisaient ensemble, semblaient se faire des confidences. Lili plutôt rêveuse et sérieuse, devient rieuse et joueuse. Les langues ne manquaient pas de se délier. Beaucoup de ces commères n’étaient en fait que des jalouses qui auraient bien voulu se trouver à la place de Lili.

Lili ne semblait plus me voir, et elle ne me parlait plus. C’est à peine si lorsque nous nous rencontrions, nos regards se croisaient vaguement.

Cela m’était affreusement pénible. J’étais seul, terriblement seul. Je redevenais ce que je n’avais jamais cessé d’être : un nain affreux et colérique. Et dans un coin de la roulotte que je partageais avec d’autres nains, je me mettais à pleurer tout seul.

Moi, amoureux de Lui ! Cette passion avait du germer en moi depuis bien longtemps, quoique je fis tout pour l’étouffer. Idée absurde, chimérique, démente que de pouvoir croire qu’un jour elle s’intéresserait à moi autrement que comme objet de sollicitude !

Lentement comme des poisons subtils, la jalousie et la haine s’infiltrèrent en moi contre l’intrus qui venait de me ravir Lili. Mes yeux ne pouvaient cacher leur éclat terrible en présence de ce Don Juan du fil. Il ne semblait pas s’en apercevoir. Au contraire il faisait preuve à mon égard d’une sorte de ton protecteur plutôt affectueux. Ce ton me faisait mal.

C’est sûr que la comparaison entre nous ne pouvait aller qu’à son avantage. Et ce que cela pouvait me faire rager !

Lili après tout était bien en âge de prendre un amoureux. Peut-être aurais-je supporté n’importe lequel autre ? Mais celui-ci me semblait fat et sot. Et de savoir qu’il touchait la belle Lili m’était insupportable.

Et de plus en plus j’envisageais de me débarrasser de lui. Il ne me restait plus qu’à trouver le moyen.

Ma faible taille m’interdisait les procédés physiques brutaux.

Dans une bagarre, même à coups de couteaux, il m’aurait désarmé en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Dans ce cas je n’aurais fait que de me ridiculiser.

J’étais lâche aussi ; je n’avais nulle intention d’être déféré à, la justice et de subir la haine des foules hystériques. Je voyais déjà les titres des journaux : » un nain jaloux assassine le trapéziste... «

Je ne voulais pas non plus que Lili soit victime de ce scandale que nous soyons définitivement brouillés et qu’elle connaisse le vrai fond de mon âme.

Plus que tout je comptais survivre à mon forfait, me féliciter de mon astuce. En un mot savourer ma victoire hypocritement. J’avais bien calculé mon coup. Et j’en étais assez fier. J’attendis le grand soir, crevant d’impatience et de peur. Je n’osais plus regarder Lili. Elle ne semblait pas d’ailleurs en être beaucoup affectée, toute à son rêve intérieur.

Le moment était bien choisi. En plein milieu de la représentation. Sous les fantastiques lueurs des projecteurs, le tambour répand sa musique inquiétante. Tous les visages sont levés, béats d’admiration, vers ce couple merveilleux. Lui si bien découpé, elle revêtue d’un maillot où jouent les paillettes. Si beaux là-haut, si sûr d’eux-mêmes…

Les gnomes tenaient un rôle dans ce numéro  appelé "Blanche-neige et les sept petits nains ».

Un rôle de faire-valoir évidemment. En ce qui me concerne j’étais négligemment appuyé sur un piquet où aboutissaient de grosses cordes ; ma cape recouvrant certaines à demi.

Et je regardais en haut comme le tout le monde.

De ma poche intérieure, par en dessous le drap, sans qu’on puisse le voir, j’extrayais une petite scie que j’y avais amoureusement dissimulée.

Sans en avoir l’air, à toute vitesse en jubilant, je me mis à couper la corde. O comme le métal mordait bien les fibres !

Les petits hommes peuvent être fort adroits contrairement à ce que les gens pensent communément.

Soudain ça lâcha d’un coup. Je compris avec terreur que, dans ma fébrilité, je m’étais trompé de câble. Et c’est Lili qui alla s’écraser contre le sol, comme une fragile marionnette...

Je m’étais brisé avec elle, à cet instant. J’eus l’impression que j’éclatais aux quatre coins en mille morceaux brillants et noirs. Disloqué à jamais... Mon être écartelé criait intérieurement et saignait. J’avais affreusement tué la seule personne que j’aimais réellement.

Il y eut un grand silence. Puis la montée des voix stupéfaites... Tous les artistes se rapprochèrent de Lili. La peine était inscrite sur leurs visages ; car tout le monde aimait bien Lili, si bonne avec chacun. Je ne m’approchai pas d’elle. Mais cela dû sembler naturel, que je n’en aie pas le courage ; car nul n’ignorait que nous avions été très ami lorsqu’elle n’était qu’une enfant.

Je sentais depuis un moment un regard posé sur moi. Vous savez cette impression qu’on a lorsque quelqu’un vous contemple intensément même lorsque vous avez le dos tourné. Pas de doute on m’observait.

Ca m’avait observé pendant toute la scène. J’en avais la ferme conviction.

Je me retournais d’un coup, décidé à en avoir le cœur net. Un petit garçon brun, vêtu comme un jeune bourgeois endimanché, avec un nœud papillon, sans doute soigneusement noué par sa mère, très fière de lui. Le petit bourgeois appartenait à une paire d’yeux.

Des yeux immenses qui lui mangeaient la face, ouverte comme des fenêtres… Et ce regard. Je n’ai jamais vu de pareil regard. A la fois comme horrifié et fasciné par ce qu’il avait vu. Alors que l’attention de tous était capté par le trapèze et que la salle était plongée dans la semi-pénombre, il avait préféré s’intéresser a moi ! Et il savait. J’en étais sûr. IL SAVAIT ! Et peut-être qu’il avait tout compris de ce qui c’était passé dans mon esprit !

J’allai lui rendre visite le lendemain. Elle vivait dans une belle roulotte depuis qu’elle était devenue une vedette. Mais ça ne lui était pas monté à la tête. En effet elle avait précieusement conservé et entretenu tous les            souvenirs qu’elle possédait de  « Fabuloso ».

Je n’ignorais point qu’elle allait mourir. C’est ce que le médecin avait déclaré et tout le monde le savait. Elle le savait elle aussi, cela se voyait sur ses traits.

Je fis semblant d’avoir bon espoir. Je lui avais apporté un bouquet et quelques friandises qu’elle ne pourrait pas manger. Sa colonne vertébrale était brisée en plusieurs endroits et son corps n’était plus que plaies vives. Elle devait souffrir atrocement, mais elle supportait crânement ce coup du sort. Même elle adoptait un ton faussement enjoué pour me parler. On côtoie tous les jours la mort au cirque. Et elle en avait vu de ces artistes devenus plus bons à rien â la suite d’un accident oui traînaient une vie misérable. Elle s’était faite à l’idée qu’elle allait mourir. Mais elle se trouvait quand même bien jeune pour cela. Elle regrettait de ne pas avoir connu plus de la vie. Elle m’avoua qu’elle aurait aimé se lancer à la rencontre du monde.

Malgré moi des larmes perlaient de mes yeux et coulaient sur mes joues. N’en pouvant plus de cette tension, je pris congé d’elle. Avant que je ne n’en aille elle me regarda intensément et elle me prit la main. « Tu sais », me dit-elle, « je crois bien que je t’aimais. Il faut que tu le saches.... Ne m’oublies pas ! » ajouta-t-elle, « Mais ne penses pas trop à moi ! »

Je fus convoqué par la police, comme les autres, pour témoigner. Ils ne semblèrent rien trouver de suspect dans mes déclarations. Aussi ils ne m’inquiétèrent pas. Par contre lorsque le Directeur me fit venir, il avait un drôle d’air. Il me déclara que dorénavant il serait obligé de se passer de mes services. Il devait se douter de quelque chose. Mais il n’était peut-être pas sûr que j’avais scié la corde. A moins qu’il ne voulut pas ternir la réputation de son établissement ou qu’il pensa que ce crime commis sous le chapiteau ne regardait que le monde du cirque ?

Je ne sais.

« Il y a quand même quelque chose que je ne comprends pas dans cette affaire », dit pour terminer le Directeur. Oui il y avait quelque chose d’incompréhensible !

J’appris plus tard que Cendréro était parti lui aussi et nul ne le revit jamais, et ne sut dire ce qu’il était devenu.

Je n’ai plus que cela dans ma vie : être clown.

Les quelques minutes que j’ai passées sur la piste ont enluminé ma pauvre Journée. Et je m’en vais sous les applaudissements qui me versent comme une légère ivresse.

Ici seulement j’ai l’impression d’exister encore. Je suis dans cette mystérieuse communion du spectacle que je ne saurais expliquer exactement. Mes paroles sont usées d’avoir trop traîné sur la piste, nies jeux de mots sont énormes. Qu’importe !

Je suis un clown.

Et tout barbouillé par mes farines de couleur, tout ridicule dans mes habits dorés de taille extravagante, je joue.

J’oublie qui je suis.

À chaque fois il se passe la même chose. Je me sens presque 1' égal des Dieux. L’orchestre joue une musique que l’on appelle de cirque et qui est pour moi la seule musique. Les rampes fastueuses des lumières éblouissent l’espace. Le chapiteau bruit de la rumeur vivante des gens.

Je n’aime que cet instant rare...

les clowns de Paul Césanne

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