Quelques temps après avoir lu le manuscrit: " Sait-on où se trouvait le château de Sardonica" demandais-je au Père Pétrus. Je voulais malgré tout tâcher d'avoir quelques preuves tangibles du passage sur terre de Sardonica et me confirmer qu'elle n'était pas une création inventée de toute pièce par un moine rêveur à l'imagination fertile.
« Mais certainement ! ». Et il me désigna assez loin sur une montagne escarpée ce qui semblait les traces de quelque fortification. " Le moine Maroff chaque jour quand il écrivait son texte au nez et à la barbe des autres frères voyait les ruines du château où rodait encore pour lui l'esprit pervers de la Comtesse Sardonica.
« Car alors le château était déjà complètement détruit comme vous le savez, et pour les raisons que vous connaissez. » Je connaissais, en effet, les terribles raisons qui avaient causé la destruction du château.
« Nous irons voir les ruines de cette forteresse un jour prochain " me dit le Père Pétrus sans autre explication. »
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Le Vendredi suivant, à dos de mules, nous nous dirigeâmes par des chemins écartés, aux flancs de la montagne, sous un rude soleil qui nous cuisait la peau et dans un silence pesant, vers notre but. Il est des sites privilégiés: rien d'impossible à ce que quelque puissance démoniaque ne fut venue s'installer dans ces lieux sauvages et désespérés.
Nous continuâmes notre marche par un petit sentier à demi envahi par les ronces vivaces. Mais on voyait bien à quelques traces qu'il avait du être bien longtemps auparavant une sorte de route pavée beaucoup plus large.
« Courage, nous arrivons dans l'antre de la Comtesse Sardonica ! » ! me dit le Père Pétrus avec un sourire bizarre. Il me sembla qu'il était blanc de frayeur et qu'il tremblait.
Le sommet où soufflait un vent assez violent, n'était plus que parsemé de quelques ruines noircies, calcinées. Ici avait été le siège de la toute puissante Comtesse Sardonica, qui terrorisait la contrée en l'An, de Grâce 12...
Nous parcourûmes le vaste espace, sans dire un mot, essayant de nous remémorer à, l'endroit de leur action les faits que narrait le moine Maroff : Sardonica, les guerriers sauvages couverts de métaux luisants, le pas des chevaux, les fêtes...
« Venez ! » me dit le moine, et il me montra une pierre plate posée au milieu d'autres pierres. Sur celle-ci on pouvait lire le sigle SÀRDONICA, avec des serpents enlacés, écrit de la même façon que sur le manuscrit, surmonté de la silhouette stylisée d'une panthère.
" La Comtesse a réellement existé ? " demandais-je interloqué. " En doutiez-vous ?" répondit-il " semblable histoire ne saurait s'inventer. Car l'esprit le plus débridé ne saurait trouver pareils détails... "
" Regardez ! " me dit-il et se saisissant d'une pierre pointue, il gratta le sol, creusant un trou d'une certaine profondeur. L'intérieur était d'un noir carbonisé d'étrange façon. "
Tout a bien été dévasté comme le rapporte l'histoire " commenta le Père Pétrus.
Et nous quittâmes la colline du château de Sardonica sans nous retourner et n'ayant nulle intention, sans oser l'avouer, d'y passer la nuit.
Et je revins en France où je ne dis mot de cette aventure a personne. Je n'entendis plus parler ni du monastère de St...
Auquel je pensais souvent cependant, surtout à mes moments de noire mélancolie, ni du Père Pétrus, jusqu'au jour où je reçus un petit paquet par la poste.
Ce paquet contenait une lettre du nouveau supérieur du couvent que j'avais bien connu lui aussi, et une petite boite. Voici ce que disait la lettre (en Anglais) :
«
Cher Monsieur,
Votre ami, le Père Pétrus, est mort le 28 septembre 1978 entouré de tous ses frères dans la Sainte religion de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ce fut une très émouvante cérémonie, le Père Pétrus reposant dans la chapelle tandis que nous l'entourions en chantant les chants liturgiques. Puisse-t-il se réveiller dans la Paix du Seigneur, lui dont la vie fut pleine de sagesse et de sainteté !
Les causes de sa mort, que rien ne laissait présager, furent inexpliquées. Cette nuit-là, nous entendîmes un terrible fracas et un grand cri horrifié. Et les premiers moines qui se précipitèrent découvrirent le Père Pétrus allongé sans vie, sur le sol de sa cellule, ses affaires personnelles dans le plus grand désordre. Sa face et ses yeux révulsés offraient l'apparence d'avoir assisté à un bouleversant spectacle. Autour de son cou on trouva des traces de griffures profondes que le médecin de la communauté, qui avait précédemment exercé son Art en Afrique, déclara être celle d'un très grand félin. Mais il n'existe pas de félins dans notre contrée, et après enquête, nous n'avons pas entendu dire que l'un d'entre eux se soit échappé d'un des petits cirques qui parcourent parfois les environs.
Cependant ces blessures saisissantes ne ressemblaient à aucune de celles que nous ayons déjà vues. Nous ne savons que penser ... Mais les voies de Dieu sont impénétrables et nous devons renoncer à comprendre toutes choses ici-bas.
Le Père Pétrus voulait vous laisser en cadeau le manuscrit de Sainte Véronica, auquel paraît-il vous prîtes grand intérêt, après en avoir référé à la communauté.
Malheureusement pour des causes inexpliquées, elles aussi, il se trouve réduit en cendres. Il s'est apparemment enflammé spontanément et ceci sans mettre le feu à la petite boite en bois qui le contenait. Mais je vous l'adresse cependant. C’est plus le symbole qui importe que l'objet.
Sachez que le Père Pétrus vous considérait comme son meilleur ami et qu'il vous aurait laissé plus de biens, si il en avait possédé en propre; mais notre Règle l'interdit.
Sincèrement vôtre,
Signature,
J'ouvris le récipient admirablement décoré et juste de taille contenir un gros livre. Effectivement il était rempli de cendres.
Je suis donc le seul aujourd'hui à connaître l'histoire de la Comtesse Sardonica grâce à la copie intégrale que je fis de se texte sur un gros calepin noir de voyage que j'ai là, précieusement resserré, dans us des tiroirs secret de ma vieille armoire, luisante à force d'être cirée.
Maintenant que le Père Pétrus est mort et que je ne peux plus lui faire tort, j'ai décidé d'en livrer la teneur. Je ne risque plus rien : ma vie n'est qu'un voyage insipide dans un paysage de banlieue sous la brume, mes amours sont mortes, mes espoirs déçus... Et je pense qu'il est utile de faire connaître cette folle histoire de Sardonica aux hommes et de les en faire témoins.
De plus ma situation financière n'étant point bonne, il y a peut-être moyen, par le biais de ce petit livre de me faire quelque argent et de colorer un peu la grisaille de mon existence : ceci en allant visiter des contrées lointaines; en rencontrant des filles inconnues et en réchauffant mon coeur glacé à des vins nouveaux.
Je vais vous transcrire intégralement le manuscrit du moine Maroff. Que l'on ne s'attende donc pas à trouver ici un ouvrage littéraire. Maroff n'était pas un écrivain, quoiqu'il eut je crois une belle âme et qu'il sut un peu observer. Je ne suis pas moi-même un styliste et j'ai traduit presque littéralement du latin, préférant d'ailleurs la fidélité au texte à l'élégance du style. Aussi on ne s'étonnera pas de certaines tournures ou de certaines constructions lourdes, de propositions en cascade, de répétitions, de nombreux que , toutes choses propres à cette langue et qui paraissaient tout à fait naturelles à ceux qui l’utilisait. De plus ma connaissance du latin, quoique bonne n'étant point parfaite le lecteur voudra bien excuser quelques imprécisions, voir quelques légères inexactitudes de traduction.
Sans plus de précautions, je passe donc la plume au Moine Maroff…