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Une autre chose me surprit de Sylvana : sa curiosité insatiable sur tout ce qui touchait au nucléaire en général, et à mes travaux en particulier. Certes cela pouvait passer pour l'intérêt qu'une épouse attentionnée porte au métier de son mari, et je ne pouvais que l'en louer. Mais l'étendue de ses connaissances était digne d'une spécialiste confirmée, et non d'une ancienne hôtesse de l'air même abreuvée de lectures de vulgarisation. Elle répondi t tranquillement.
" Tu ne te souviens pas ? J'ai toujours été fascinée par le sujet. " Elle sourit rêveusement. " C'est en partie à cause de cela que tu me séduisis. Tes conversations sur la matière, les étoiles, le cosmos... me passionnaient littéralement... Tu le savais bien, et tu en profitais un peu avoue le. Tu ne te plaignais pas alors de ma soif de connaissances, lorsque tu m'attirais dans ta chambre sous le fallacieux prétexte de poursuivre une discussion. Tu ne détestais pas non plus fouiller sous mes jupes et mon corsage à la recherche d'atomes perdus ... "
Plusieurs fois je la vis même examiner mes papiers alors qu'ils étaient disséminés sur le bureau : elle les lisait comme si son oeil les photographiait. Lorsque je lui demandais quelque explication elle me répondait qu'elle remettait de l'ordre dans ce fouillis. Au cours de toute discussion elle gardait un calme étonnant, comme si elle était insensible.
L'illumination de la connaissance me frappa d'un coup, alors qu'elle était partie à Paris pour je ne sais quel spectacle de ballet noir dont parlait le journal local. Peut-être qu'en réalité elle allait rejoindre le beau jeune homme blond. Mais je ne lui demandai rien à ce sujet...
Je profitai de son absence pour me préparer amoureusement de la salade dont je raffolais. D'autant plus qu'elle était fraîche cueillie du jardin. En sentant la feuille de laitue craquer sous ma dent, je murmurai ce que je cherchais avec obstination depuis longtemps, et que je devinais presque sans y parvenir tout à fait.
" Mais c'est une plante !" Elle en avait toutes les caractéristiques, la consistance, le parfum, l'insensibilité, et son amour de la terre, si nécessaire à son développement.
" J'étais amoureux d'une femme-salade ! "
J'étais ébloui de la découverte et atterré de ce qu'elle comportait.
Je compris enfin le pourquoi de Sylvana. Sylva, Sylvae : la forêt. Elle était du peuple des forêts. Elle était une plante.
Je décidai de la faire passer aux aveux pour confirmer mes soupçons. A cet effet avant son retour, je débarrassai un réduit, où nous avions coutume d'entasser des réserves. Celui-ci était muni d'une solide porte avec un verrou qu'il était impossible d'ouvrir de l'intérieur. Seul un étroit soupirail laissait passer un peu d'air. Aucune lumière qui filtrait, aucun robinet d'eau à l'intérieur du local.
Lorsqu'elle rentra avec un sourire lumineux et une bise retentissante, je lui déclarai que j'allais lui montrer quelque chose d'extraordinaire. Je l'attirai dans le cellier. Sans se méfier elle me suivit. Lorsqu'elle fut â l'intérieur je refermai le piège.
Elle réalisa tout de suite mon intention.
J'eus un peu honte de moi. Elle me fit savoir d'ailleurs d'un ton à fendre le coeur le plus rude que j'avais trahi sa confiance, et qu'elle ne me pardonnerait pas. Je dus résister pour ne point la libérer de suite.
" Que veux-tu de moi ?" implora-t-elle.
" Que tu m'avoues la vérité ! Qui tu es, d'où tu viens, ce que tu es venue faire ici, qu'espères-tu connaître de moi et de ce lieu ? Pourquoi t'intéresses tu tant aux problèmes nucléaires, pourquoi ma as-tu choisi, moi et non pas un autre pour feindre d'être mon mari ? En un mot je veux tout savoir de toi.
" Je t'ai dit la vérité. Tu as tout oublié !" Et voyant que je ne la croyais pas elle ajouta: " Je n’ai pas le droit de te rien dire... Si non je serais punie, je crèverais. As-tu envie que je crève ? »
Non je n'en avais point envie et elle le savait bien. Mais je ne céderais point !
« Je reviendrai quand tu auras décidé de parler. En attendant tu n'auras ni lumière, ni nourriture, ni air en quantité. ''
Et je partis en la laissant là, dans un coin comme une vulgaire légumineuse.
Plusieurs fois par jour je jetais un coup d'oeil au travers d'une petite ouverture de la porte. Elle me voyait sans doute mais ne m'adressait pas une parole. Je repartais dépité, et souffrant pour elle.
Elle changeait littéralement d'heure en heure. D'abord ses couleurs l'abandonnèrent, sa peau se flétrit et devint verdâtre. Elle se desséchait, se recroquevillait, réellement comme feuille â l'automne.
Et son air de plus en plus désolé de plus en plus farouchement résigné. " De l’eau, de l’eau. « geignait-elle d'une voix déchirante. Bientôt elle n'eût même plus la force de réclamer. Elle se contentait lorsqu'elle entendait mes pas de regarder vers la porte avec un air de muet reproche.
Une odeur d'herbe en décomposition montait du petit tas qu’elle se mettait à constituer dans un coin. Ses cheveux naguère flamboyants devenaient fourchus, et s'en allaient par poignées lorsqu'elle les disciplinait d'une main rageuse.
Je me fis l'effet d'un bourreau, mais je restai ferme et résolu.
Enfin un après-midi alors que je la contemplais en piteux état. Un mince filet sortit de sa bouche :" je parlerai... " crus-je comprendre. J'entrai, laissant passer un rai de lumière. Elle était presque entièrement brûlée par endroits. Je décidai de ne point la toucher de crainte de la briser en mille morceaux.
Je pensai qu'il serait sage de procéder progressivement comme je savais que font les médecins auprès d'un homme égaré dans le désert resté longtemps sans boire. L'absorption de boissons en trop grande quantité à la fois le tuerait aussi sûrement qu'un coup- de fusil.
Je me demandai si je n'étais pas allé au-delà de la limite ne pas dépasser pour la ramener à la vie. Si elle devait mourir je ne pourrais me consoler de sa perte et de mon acte.
Tout cela pour lui faire raconter une histoire qui m'intéressait,...
Je poussai tout grand l'huis qui donnait sur un couloir assez sombre, de façon à ce qu'une trop grande lumière ne vint point 1'éblouir, mais qu'il y en eut tout de même. J'ouvris une fenêtre du couloir pour, que l'air vint baigner la cellule.
J’apportai de l'eau dans un récipient. J'en versai une partie dans ce qui restait de son gosier, et répandit quelques gouttes sur les parties encore vivantes de son épiderme. Je répétais cette opération toutes les deux ou trois heures.
Son organisme semblait absorber avidement l’eau. La régénération se faisait, peu à peu la sensibilité revenait. La forme de son corps se reconstituait grossièrement, évoquant le souvenir de ce qui avait été merveilleux. Ses yeux encore brouillés s'ouvraient cependant et me regardaient fixement.
Sa bouche devenait de plus en plus avide d'eau, comme celle d'un jeune chiot. Je devais la réfréner.
La vie semblait s'épandre en elle comme une onde. Les parties flétries et sèches tombaient d’elles-mêmes et étaient remplacées par des peaux nouvelles.
Lorsque je la trouvai assez forte pour pouvoir la prendre dans mes bras sans risquer de la casser, je la portai dans la salle de bains dont j'avais ouvert toute grande la petite fenêtre.
A l'eau j’avais mélangé de la terre et des produits nourriciers comme je l'avais vu faire par elle et dont j'avais maintenant compris l'usage. Son visage s'éclaira à cette vue. Je la laissai après l'avoir délicatement posée dans la baignoire comme une fleur rare dans un vase. Et j'aimais cette orchidée venue de quel jardin bizarre.... Je l’entendis s'ébrouer comme un jeune phoque.
A ses côtés, sur une étagère, j'avais placé un petit sacret de plastique transparent, ou j’avais enfermé mouches et scarabées. Elle avait appréciée le geste telle une jeune convalescente à qui l'on offre un paquet de bonbons.
Elle resta ainsi près d'une journée dans son bain. D'elle-même lorsqu' elle se trouva assez ragaillardie, elle alla me rejoindre vers 1a piscine où je lisais un livre au soleil. Ironie du sort il s'agissait d'un livre de science-fiction.
Elle plongea comme attirée par une sorte d’avidité particulière pour l'élément liquide, très différente de celle que peut éprouver un être humain. Encore que dans cet élément il retrouve et l'existence du foetus au sein de sa mère, et son origine de la mer.
Elle resta un moment très long sous la surface. Elle n'était pas obligée comme nous le sommes de remonter de temps en temps pour respirer. Puis elle en sortit, se mit dans les positions les plus curieuses sous le soleil et me narra son aventure. Fréquemment elle retournait dans 1' eau, pour s'y agiter remplie de bonheur, et s'en imprégner.
" Mon ami, saches bien que j'aurais pu m'échapper très facilement. Je ne l'ai pas voulu... parce que, comment te dire, j'ai de la tendresse pour toi. " Elle me regardait avec gêne.
" Je deviens un peu terrienne, peut-être. Nous ignorons ce que vous appelez les sentiments qui sont sans doute de grossiers traits animaux. Nous sommes plus délicats, plus sensitifs, mais complètement insensibles à certaines choses.
" Lorsque nous avons des attirances les uns pour les autres c'est parce que nous aimons nos odeurs, nos formes, notre texture de peau ou de feuille, comme tu voudras. Alors nous nous enveloppons l'un 1'autre en nous touchant, en nous respirant. Rien â voir avec votre rut de bête féroce se précipitant pour dévorer sa proie en poussant des cris de satisfaction. "
Je souriais : jamais je ne l’avais vue si volubile, particulièrement sur ces sujets qu’elle abordait en aucune occasion.
Elle se laissait faire, un point c’est tout.
Elle poursuivit, amusée elle aussi, car au fond notre histoire était drôle : « Tu voulais savoir, tu sauras tout, enfin presque tout.. . La première question que tu te poses sans doute, c'est d'ou je viens ? »
J'opinai de la tête. C'est bien en effet ce que je me demandais depuis le début. Cette origine de Sylvana, dans mon idée devant éclairer tout le reste, et me rassurer sur le fait que je n'étais point fou.
Elle se dressa, s'étira au soleil, faisant jouer sa chair comme une étoffe rare et poursuivit: " Je viens d'ici... "
Je me rendis compte qu'elle ne me mentait pas. " Tu veux dire de la terre ? " -
Elle ne semblait pas mécontente de m'intriguer. « Non, tu es lourdaud pour un scientifique. Je veux dire du même endroit de l'espace. Je suis d'ici et d'ailleurs aussi. Je suis d'un monde parallèle si tu veux. Les habitants de ma « planète » peuvent se promener au même endroit sans vous gêner. Ils se promènent dans une autre dimension.
« Est-ce possible ?" murmurais-je. "Ça l'est ! »
« Qui suis-je ? » Une sorte d'espionne, envoyée pour vous observer, et particulièrement chargée de surveiller vos travaux au sujet de la matière et du nucléaire. Nous ne sommes pas sûrs que si vous faites sauter votre planète, et vous avez suffisamment d'obstination pour y parvenir assez rapidement, que nous n'en subissions pas un certain contrecoup , lequel nous ne s’avons pas.
" Pourquoi t'avoir choisi TOI ?" Tu te dis dans ta petite tête un peu fate que c'est parce que je t'ai trouvé particulièrement, séduisant. Ce n'est pas moi qui ai décidé, c'est le grand ordinateur central. Tu étais célibataire et un assez bon scientifique avec quelque avenir. On pouvait te fournir une femme, et tu pouvais nous être d'une grande utilité. »
« - Ça aurait pu ne pas marcher ? »
« - En effet, mais c'était un risque à courir. Nous nous intéressions à toi depuis assez de temps pour savoir que tu étais suffisamment romantique, pour entrer dans notre jeu, et que nous te tenions. Ton histoire pour tes frères humains est plus invraisemblable que celle que je racontais.
« - Vous pouvez passer d'une autre dimension de l'espace â la nôtre ? »
« - Oui, nous le pouvons. Que veux-tu encore savoir de moi ? »
« - Est-ce que vous vivez â la même époque que nous ? »
« - La notion d'époque et de temps n'est pas la même pour vous et pour nous. D'ailleurs je suis une plante ne l'oublies pas. »
« quel âge crois-tu que j’aie ? Cinq ans à` ta mesure. Il n'est d'ailleurs pas très moral de ta part de coucher régulièrement avec une fille de cinq ans ,je pourrais te faire un procès, sais-tu ?
Je n'ai d'ailleurs plus que trois ans à vivre, aussi ne te fais pas trop d'illusions sur durée de ce que vous appelleriez " notre amour ". Avant trois ans je serai crevée. Cependant si le grand ordinateur central le juge utile, il saura recréer dans les serres une exacte réplique de moi-même. Mais ce ne sera pas moi. «
Voyant mon air surpris, elle poursuivit : « mon histoire ne te semble peut-être pas très claire autant que je commence par le début. " Il n'existait sur notre planète à la suite de diverses guerres de conquête plus que deux états. Appelons les Alpha et Oméga. Ils s’entredévoraient mutuellement. Chacun des deux dictateurs voulait imposer sa loi à
l'autre.
A1pha on avait prévu que la race, fort semblable, à ce que je crois a la race terrienne aujourd'hui, mais beaucoup plus avancée scientifiquement, pouvait être détruite par une catastrophe nucléaire.
"Aussi dans une ville souterraine, à des kilomètres sous terre, on avait emmagasiné dans un superordinateur toutes les connaissances du temps et les programmes génétiques de tous les individus. Avant la grande destruction qu'il pressentait comme imminente, le Frère-Président envoya le message codé en direction du grand ordinateur. Aussitôt toutes les issues de la forteresse furent fermées automatiquement. Le système était étudié pour pouvoir fonctionner sur 1ui-même de manière complètement autonome. Il était étudié aussi pour pouvoir se défendre seul contre n’importe quelle agression extérieure, et même pour ne laisser pénétrer personne restant ainsi à l'abri de toute contamination.
" Et dans des bains liquides, sous de vastes serres éclairées à la lumière artificielle, le Grand Ordinateur commença à créer avec ses codes génétiques la -première' race de plantes pensantes. Les savants avaient en effet la conviction que des plantes seraient plus à même de vivre dans les nouvelles conditions et peut-être de s’adapter aux radiations mortelles pour l'animal.
Mais aujourd'hui encore nous ne quittons guère notre environnement protecteur, soit que nous habitions sous terre, soit sous de vastes constructions de verre. Tu as vu ces sortes de bulles dans ce que tu prenais pour une émission de télévision et qui était en fait l'exacte reproduction de ce qui se passait sur un endroit de notre planète. Tu t'en doutais un peu.
Les descendants des anciens habitants n'ont pas complètement disparu : On sait que le foetus de 1 être humain dans le ventre de sa mère passe du stade, du poisson, du saurien, du félin, avant de passer à celui de singe. Mais sous l'effet de l'explosion et des radiations nucléaires le processus complet a été perturbé. Aussi les descendants des anciens habitants sont-ils des poissons, des félins, des singes mais sous des formes particulièrement monstrueuses et dégénérées.
LA FEMME QUI VENAIT D'AILLEURS (3 et fin) - Le blog de Michel Dubat
Parfois nous voyons de ces êtres hideux se cogner aux verres et nous observer. Nous ne sommes pas surs que nous parviendrions toujours à les contenir. & Que dire de nous ? Que nous menons une vie...
http://science-fiction-fantastique.com/article-34629550.html