Je rencontrais Sonia aussi souvent que je le pouvais; ce qui n'était pas très aisé. Car pour ce faire, il fallait, m’échapper à mes nombreuses tâches auprès de Sardonica. De plus celle-ci semblait faire preuve à mon égard d'une sorte de jalousie captatrice et dévorante. Et elle semblait multiplier les prétextes pour me garder auprès d'elle.
Sonia m’avait ait fait découvrir son repaire secret, sorte de petite grotte dont l'entrée était complètement dissimilée par un épais rideau d'arbrisseaux. Ceux-ci filtraient au plus chaud de l'été les rayons du soleil.
J'étais le premier être qu'elle avait amené en cet endroit où elle venait méditer sur sa condition. " Car " me dit-elle " jusqu'au jour où je te connus, je n'aimais tant que d'être seule. Au fond je n’éprouvais de confiance pour personne. "
Il fallut le croisement de nos chemins imprévu et attendu tout à la fois pour qu'elle changea sur ce point, et qu'elle crut que la vie n'était pas entièrement mauvaise. Moi aussi je me mettais à apprécier l'espèce humaine et l'existence.
Nous nous tenions la main de longs moments, nous regardant amoureusement sans nous lasser. Je revois encore, comme si c'était hier, le fin ovale de son visage, sa peau sans en oublier le moindre détail, et le délié de ses mains et les quelques défauts qu'elle put avoir. Ici un grain de beauté, là une rayure de la peau, là encore une petite cicatrice qui lui restait d'une blessure de l’enfance. Je la contemple encore telle qu'elle était naguère dans sa jeunesse aimable et sérieuse tout à la fois.
Car Sonia, quoiqu'elle souriait fréquemment était plutôt grave. Je ne l'entendis rire que deux ou trois fois au cours du temps que nous passâmes ensemble. Même alors son beau rire clair était un peu retenu. Car elle n'aimait point trop se laisser aller à un certain relâchement. L'expérience de sa jeune mais déjà éprouvée vie lui avait appris que l'existence était chose sérieuse et qu'elle faisait chèrement payer les rares bons moments qu'elle nous donnait.
J'appris tout d'elle et du poids des choses. Elle était comme une sorte d'instrument qui rayonnait une délicate musique qui m'enchantait. Même ses silences pour moi étaient remplis d'harmonie et de signification.
Parfois, sans trop y croire, nous disions que nous fuirions ensemble et irions vivre dans un petit village rempli de clarté et de beauté simple, et que nous ne nous quitterions plus jusqu'à la mort. Bien sûr cela mous semblait bien difficile. Mais qu'importe, ces instants où nous évoquions notre vie ultérieure étaient doux et bons à nos cœurs !
Nous passions des heures ainsi, soit à écouter la voix intérieure de l'autre par une mystérieuse troisième oreille, sans rien dire, soit à parler.
Le chant et le frémissement des oiseaux qui devaient ignorer notre présence étaient les seuls bruits extérieurs à notre univers personnel.
Un matin je fus invité à visiter la maison des Savants. J’étais initié progressivement aux secrets du service du Malin, qu'au fur et à mesure que j'avançais dans la confiance de la Comtesse. Je m'étais- muni de gros registres noir où j'aurais à consigner tout ce que le verrais.
La Maison des Savants était peut-être la partie la plus secrète du Château-Cité. Il fallait être porteur d'un insigne spécial et être accompagné du chef de la garde particulière pour pouvoir y pénétrer.
Sardonica était magnifiquement sanglée dans un uniforme de peau de panthère qui soulignait ses formes souples et fermes tout à la fois. Elle s'avançait à pas balancé, une chaîne d'or et de pierreries scintillante autour du cou.
Ne me lasserais-je jamais de la voir et son apparition me surprendrait-elle toujours autant ?
Elle posa sa main à griffes sur mon épaule, m'écorchant légèrement au passage. Je frissonnai à ce contact. Elle plongea son regard fascinant dans le mien.
« Tu es entré maintenant dans le petit groupe des officiers du Grand Prince Noir, ceux qui connaissent ses desseins et participent à son Grand Oeuvre. Si tu continue dans la voie qui t'est ouverte tu deviendra immensément riche et tu domineras le Monde à mes côtés. Cela ne te serait-il pas agréable d'être toujours auprès de moi pour me servir et pour m'adorer ?
Elle me jeta un regard de chatte d'une perversité à me faire fondre sur place. Puis elle me caressa le visage en me faisant un peu mal. " Je saurai te récompenser aussi d'une autre manière, et tu verras que ce n'est pas mince ! "
Faire acte d'amour avec la Comtesse Sardonica était bien la chose que je désirais le plus au monde. Mais c'était bien aussi la chose que je craignais le plus, car la Comtesse m'effrayait en un certain sens. De plus jamais je n'avais fait acte d'amour jusqu'à ce jour, même pas avec Sonia lorsque doucement elle me laissait dénouer son corsage, voir et toucher ses seins ronds tandis qu'elle rougissait doucement, sans rien dire, sous les arbres.
Nous restions de longs instants silencieux et songeurs, mais je n'osais lui poser la question qui brûlait mes lèvres. Nous attendions, un peu tendus, sachant bien qu'un jour cela arriverait tout naturellement sans que l'on puisse rien. .y faire, et nous ne pensions pas que ce serait mal.
(A suivre)