SARDONICA (15)
Bientôt une lueur s'alluma dans sa chambre. J'imaginai, et en souffrait atrocement, ce qui devait se passer : les corps nus luttant sur le sol jonché de peaux de panthères, les cris et les caresses, les douces tortures du sexe. J'entendais tout cela à distance à ma grande douleur, curieusement, comme si je me trouvais dans la pièce.
Les lumières s'éteignirent. Sardonica apparut à une fenêtre. La noire silhouette du jeune homme passa une porte dérobée. Sardonica, comme je m'y attendais, fit un signe impérieux de sa main. L'un des deux archers sortit de l'ombre et d'une seule flèche abattit le jeune home. Celui-ci ne poussa pas un cri et tomba d'un coup. Ses amis de la troupe, dissimulés sous un porche l'entourèrent bientôt comme une bande d'oiseaux éplorés.
Je retournai à la fête. Les baladins saluaient avant de se retirer. Ils emportèrent plus de quolibets que d’applaudissements.
Sardonica fut bientôt de retour, un peu plus animée peut-être et le rouge aux joue. Elle reprit sa place, gratta mes cheveux alors drus comme jeunes herbes et porta sa jambe contre mon corps. J'était ravi, quoique désolé par ce qu'il venait de se passer , de ce que j’avais encore une petite place dans ion coeur ; comme un jeune chiot qui se contente d'une caresse.
Le maître des cérémonies annonça enfin le dernier spectacle, qui sur le parchemin énonçant le programme était simplement appelé ainsi. Mais i1 courait des bruits à la Cour qu'il se préparait quelque chose de très particulier. Aussi tout le monde ouvrait-il grand ses yeux et ses oreilles.
Le maître de cérémonies fit enlever les vastes tentures qui couvraient l'un des côtés de la pièce, faisant apparaître la paroi nue. Ce fut un cri de stupéfaction poussé en même temps par des centaines de gorge.
Dans cette paroi une très vaste plaque transparente laissait voir un univers marin entièrement reconstitué et éclairé de l'intérieur d'une vive clarté qui rendait les eaux d'une belle couleur bleue-verte et les remplissait de chatoyantes vibrations lumineuses.
Tout y était présent les rochers avec les anfractuosités pleine d'ombres, les algues, les coquillages et des poissons de tailles variées dont certains extraordinaires de couleurs et de formes. Sur le fond reposait une couche de cailloux et de sable.
Tout à coup, par un trou du rocher, entra un jeune homme icroyab1ement bien proportionner pour l'eau et s'y déplaçant ainsi qu'un dauphin. Ses pieds étaient munis de nageoires artificielles qui accéléraient sa course. Un grand couteau était accroché à un anneau de sa ceinture.
Avec grâce il fit deux ou trois tours comme pour se faire admirer. De temps en temps i1 s'approchait d'un des tuyaux qui pendait dans l'élément liquide, prenait une inspiration qui gonflait sa poitrine et poursuivait sa course vive. En effet il ne pouvait remonter pour respirer à l'air libre; 1a surface était rendue inaccessible par 1a voûte.
« Ce garçon appartient à une population de pêcheurs d'éponges de 1'í1e de Kost » me souffla quelqu'un, « i1 est habitué depuis son plus jeune âge à passer une bonne partie de sa vie dans la mer. ».
Je me demandais 1a signification de ce que je voyais, lorsque surgit un énorme poisson dont 1a tête était ornée d'une sorte de défense en forme d'épée.
Le nageur parut saisi par la vision de ce bizarre adversaire. Le poisson tourna plusieurs fois avec de vifs mouvements. Enfin i1 découvrit l'ennemi et arrêta brusquement ses évolutions. I1 1e mesura de son oeil glauques puis soudainement i1 fonça sur lui. Mais l'autre l'évita en se jetant souplement de côté. L'attaquant surpris, se retourna sur lui-même et fonça de nouveau, tel un taureau aquatique,
Le jeune homme esquiva encore, mais apparemment avec plus de peine et i1 se précipita à l'une des sources d'air…il semblait se mettre à étouffer.
Et 1a sauvage parade continua.
Soudainemeut le gladiateur nautique, alors que le poisson de combat passait juste à côté de lui, avec soa poignard lui perça 1a peau. Bíentőt 1e sang se répandit en nappes pourpres.
Cette estocade trop mal ajustée pour tuer 1a bête eut pour effet de la rendre furieuse. Elle donna un violent coup de queue à son protagonisme qui se trouva ainsi déséquilibré. L'animal se retourna presque sur place et chargea avec une redoutable précísion. Cette fois 1e garçon fut gravement blessé. Puis ce tt une horrible boucheríe. Le bassin devint complètement rouge.
Ah ! I1 fallait voir l'air de Sardonica se délectant durant toute 1a scène, avec ses yeux qui luisaient et sa mine réjouie qui frémissait.
Le rideau tomba à l'instant où l'on ne pouvait plus distinuer ni 1e poisson, ni 1e jeune homme, tran formés en chairs sanguinolantes par leurs assauts réciproques.
Je fuyai dans ma chambre, sous 1'oeil un peu triste, de me voir 1e coeur gros comme un enfant, de Sardonica.