Le lendemain matin, alors que j'étais encore tout abasourdi par les révélations de Sonia, Sardonica m'apparut dans une particulière exaltation. Elle me frôla les cheveux et les épaules doucement avec ses mains tout en me regardant d'un air érotique.
« Tu me plais !: » " dit-elle tandis due le rougissais crûment comme une jeune fille.
« Un teint clair, des cheveux comme de la soie, des dents fines, un corps souple et délié. Il faudra qu'un soir nous ayons quelques explications... » J'étais stupéfait. Quoi pareille personne s'intéresse à moi et me parle si directement ! J'avais oublié que c'était Satan, ange de la perversion qui s'adressait moi. C'était vrai que toutes les préventions que je pouvais avoir contre elle disparaissaient en sa présence.
« Car je t'apprendrai à dire une autre messe que celle que les pères du séminaire t'ont enseignée, qui vaut matines et vêpres et qui fait chanter une autre chanson » ajouta-t-elle.
J'étais très ému et embarrassé. Je ne pus que lui répondre en bredouillant, que nous avions une lourde tache, par exemple que les émissaires avaient apporté un abondant courrier qu'il fallait dépouiller et auquel il fallait répondre de toute urgence.
A ma profonde surprise, son expression changea tout aussitôt, comme si quelque force interne s'emparait d'elle. « Oui nous ne devons pas oublier ce que nous avons à faire sur cette terre et quel est notre destin. Nous devons nous employer à déjouer Les plans de nos adversaires ; les ennemis du Grand Prince des Ténèbres, et les défaire. Tu fais bien moine de me rappeler à mon rôle alors que je me comporte comme une sotte femelle en chaleur dont le désir frénétique d'amour obscurcit le jugement. »
Et parcourant la pièce de long en large, martelant le sol, tantôt elle écoutait la lecture des pièces que je faisais, tantôt elle me dictait avec un débit haché ses réponses et ses ordres.
Ma plume courait sur le parchemin avec facilité comme si ma main, n'était que sa main auquel son esprit imposait le mouvement. Et le pouvais ainsi écrire des heures sans aucune fatigue et sans la moindre erreur. Plus même il m'arrivait parfois d'avoir comme une transmission de sa pensée et d'écrire directement des mots qu'elle ne prononçait pas. Jamais je ne la vis, si par accident elle relisait la lettre, modifier de quelque façons que ce fut cette partie du texte.
Par instants j'avais l'impression qu'elle prenait possession de mon esprit à mon insu et que je ne devenais que son bras et que bientôt je ne pourrais échapper à son emprise totale. Elle serait en moi et je serais elle. Prêt à tout. Je serais devenu la bête immonde, la créature de Satan, le Prince Infernal.
L'esprit froid et méthodique de Sardonica avait complètement repris le dessus sur sa sauvage animalité et c'est avec un style glacé et une analyse impeccable de logique et de cynisme qu'elle rédigea pour le Prince d'Orféo une lettre l'invitant à lui, restituer les terres de la Baronnie de Stabilian.
Des chartristes besogneux, se basant sur de vieux grimoires Précieusement conservée, avaient tenté de prouver par des chemins obscurs et tortueux que cet héritage était sien.
Certes elle eut pu dire : « Je veux prendre... » plutôt que de se lancer dans cette argumentation foireuse. Mais elle tenait à donner cependant cette apparence de légalité pour permettre aux seigneurs voisins du Prinde d'Orféo de rester passifs en feignant de croire qu'elle était dans son bon droit. Le Droit n'est souvent que l'apparence de la justice.
« - Et si le Prince ne vous donnait pas la terre ? »
« - Eh bien, il aurait la guerre. Une guerre totale et sans quartiers, petit clerc ! Une guerre dont il ne se relèvera pas et qui ne laissera que cendres et cadavres. Je le jure, foi de Sardonica »
Et elle cracha vilainement au sol en tapant du pied.
Elle était vraiment horrible à voir. Sa réalité intérieure ressortait alors sur ses traits qui se crispaient et devenaient hideux comme les gargouilles des cathédrales. On voyait qu'il s'agissait d'une très vieille créature pleine d'une expérience mauvaise, sans la moindre once de sensibilité humaine.
« Il faut cependant faire traîner les choses en longueur, car nous ne sommes pas entièrement prête. Nous devons accélérer le recrutement et l'entraînement de nos jeunes soldats, forcer l'allure de nos ateliers qui travaillent le fer et le cuir. Nous allons faire savoir au Prince que quoique nous soyons dans notre bon droit nous nous rangeons à certaines de ses vues et que nous désirons lui faire d'ici quelque temps une aimable visite de courtoisie pour son anniversaire et discuter avec lui de ces choses. Il préparera ses orchestres et ses bals. Nous amènerons les nôtres et nous verrons bien qui possède les meilleurs danseurs ! .... »
Ecrit, clerc, écrit ! Nous serions très honorés si vous vouliez bien consentir à ce que ... Je le vois baver de désir d'ici.... »
Je ne pouvais m'empêcher d'admirer, Dieu me pardonne, ce génie au service d'une abominable cause. De plus en plus je sentais qu'i1 viendrait le temps où il ne serait plus possible de changer de voie. Je le savais et je l'acceptais. Tout plutôt que de quitter cet être délicieux et abominable auprès duquel je goûtais des délectations morbides -!
J'avais tant envie de fondre à elle, de me frotter à sa peau aux senteurs sauvages et excitantes tout à la fois, pour éprouver l'amour absolu et diabolique, ainsi que l'on pressentit les alchimistes, les poètes et les fous.
(A suivre)