Je me rappellerai jusqu'à mon dernier souffle, devrais-je vivre plus de cent ans ma première entrevue avec la Comtesse Sardonica.
Elle me reçut dans la vaste salle de réception du château, un immense feu brûlait dans la cheminée derrière elle.
Flamboyante apparition !
Entièrement vêtue de peaux de panthères, seul le visage apparaissait, fin et volontaire, d'une incroyable beauté, avec des yeux verts extraordinairement perçants. Je n'ai de ma vie vu de regard si singulier, si fascinant.
Vous ne pouviez le fixer en face et en même temps il vous séduisait tant que vous cherchiez à le rencontrer. Vous étiez comme le nageur attiré par un irrésistible courant qu'il 'veut fuir, car il sait que ce sera sa perdition, mais ne saurait le faire.
Ses mains fines et fortes étaient surmontées d’immenses ongles comme des griffes, plus pour étrangler que pour caresser et ses dents fines et pointues comme celles d'un carnassier apparaissaient lorsqu'elle parlait ou lorsqu'elle souriait d'un étrange sourire.
J'était terrorisé et subjugué tout à la fois. Je sus que pareille créature pourrait tout obtenir de moi. Sa voix semblait venir de ses tréfonds, riche de résonance subtiles et vas pénétrait de charmes indicibles, comme ceux d'une musique magique.
Main le plus curieux était sa démarche, énergique et décontractée tout à la fois comme celle d'un félin. Quand elle marchait on eut dit qu'elle dansait, ondoyant de tout son corps avec une incroyable souplesse. Sur le derrière pendait négligemment une queue de panthère.
Jamais je ne contemplai pareille splendeur : la quintessence de la beauté de la femme et de celle de la panthère réunies en un seul être en une alliance superbe. Tandis qu'elle allait et venait dans la pièce, sans s'arrêter, mon regard ne pouvait se détacher d’elle.
"Vous serez mon homme de confiance et mon écrivain. " me dit-elle soudain en me fixant comme si elle lisait dans mon âme à livre ouvert. Vous me suivrez dans les conseils et à la guerre. Vous aurez connaissance de toutes les découvertes des savants de mon château; ce qui peut intéresser un esprit curieux des sciences tel que vous. "
J'étais en effet un esprit curieux des sciences.
« Bien sûr vous rédigerez des comptes-rendus de ces divers évènements et écrirez mes lettres. Certes vous ne devrez pas ménager votre peine, mais d'est une vie passionnante que je vous propose. De plus je ferai de vous quelqu'un de puissant et de respecté. Mais ne trahissez pas les secrèts qui vous seront confiés !
- Sinon " parvins-je à. murmurer.
- Sinon " Et élevant ses mains splendides et les recourbant en un cercle, elle resserra ce piège puissant.
Je compris que ce serait la mort instantanée et je ne doutai pas un seul instant qu'il ne se fût pas agi la de menace en l’air.
Je lui demandai pourquoi elle m'avait préféré, moi, humble séminariste, pour cet emploi.
« Parce que je vous connais bien » me répondit-elle « et que je sais ce qui es en vous »
Avant de me retirer je lui demandai aussi si j'aurais à dire la messe, qui est la première chose à laquelle un prêtre est préparé,
« Oui, vous direz certaines messes. Nous verrons cela plus tard. C'est assez pour aujourd’hui ! »
Et je la quittai, tandis qu'elle me fit un étrange sourire, pleins de lourds sous-entendus que je ne sus interpréter, et que je ne compris que plus tard.
C'est tout abasourdi par les choses que j'avais vues, que je regagnais ma chambre, sans pouvoir analyser si la vie aventureuse que je mènerais dorénavant serait ou non bénéfique pour moi.
Mais il ne me vint pas un seul instant l'idée de demander mon rappel à l'évêque, tant j'étais déjà sous le charme envoûtant qui ne devait plus me quitter par la suite, tant que je fus en sa présence.
Le lendemain à l'aube, le serviteur qui m'avait été attribué, une sorte de gnome muet et laid, en livrée ridicule, vint me secouer en poussant des sons bizarres, en guise de paroles qu'il appuyait de mimiques expressives. Je compris que je devais me lever pour aller à la chasse.
Chacun de mes réveils durant mon séjour au château vit la répétition, de la même scène. En effet la Comtesse courrait les bois chaque jour, aux premières heures, pour en traquer les animaux, sauf lorsqu'elle guerroyait. Alors c'était d'une autre chasse dont il s'agissait.
Mais la Comtesse ne pouvait se passer de ce jeu cruel. Elle y prenait un plaisir bestial. Et elle désirait que je l’accompagnasse.
Dès le matin dans la cour du château, au milieu des invités, des piqueurs, et des dogues vociférants, elle respirait le contentement, allant et venant sur son cheval noir qui piaffait d'impatience. Son teint était coloré et ses yeux brillaient encore plus que d'ordinaire, avec un éclat insoutenable, et elle ouvrait de temps en temps sa bouche à la mâchoire féroce. Je me réjouissais de sa présence et de son extraordinaire vitalité.