Sardonica frappa à la petite porte adossée à la paroi en se servant d'un lourd marteau représentant une tête de panthère. Un trou noir s'ouvrit dans l'oeil de l'animal et quelqu'un regarda au travers. " Qni va là ? " cria une voix.
- « Ta maîtresse, la Comtesse Sardonica " répliqua le chef des gardes.
Et la porte s'ouvrit lourdement comme si on allait entrer dans la gueule des enfers. Aussitôt une bouffée d'âcres puanteurs vous envahissait la gorge. Ça et là, réverbérées par des métaux luisants et des verres bizarres, d'étranges lueurs sourdraient. Une crainte étrange vous gagnait, la crainte des choses dont on prescient l'existence mais que l'on ne désire pas connaître.
Une secrète jubilation semblait animer le visage de la Comtesse qui me parut soudain les traits découpés par la lueur d'un fanal. Et la lumière fit jouer les éclats de ses yeux comme ceux d'une pierre translucide.
Elle posa sa main sur la mienne et m'enfonça légèrement ses ongles dans ma chair, elle me chuchota à l’oreille, tandis que je sentais son souffle sur moi : « Tu as peur, hein,? »
En effet j'étais glacé et je me mis à frissonner. C'est presque la pression de sa main et le poids de son corps qui m'obligèrent à entrer. Seul, je crois que j'aurais fui.
Les savants, leur chef à leur tête, vêtus de noir et la tête couverte d'un curieux petit chapeau noir se précipitèrent à notre rencontre, empressés et vils.
Ils firent mille courbettes à Sardonica. Ils baisèrent même le rebord de sa jupe.
Elle leur répondit aimablement, mais avec une certaine hauteur cependant. Elle leur déclara qu'elle attachait un grand poids à leur aide pour le triomphe de sa cause et l'extension de son Empire.
Le chef des savants, qui se nommait « Primus », m'avait pris affectueusement le bras. Il me parlait à l'oreille en me soufflant son haleine fétide dans le nez. I1 m'expliquait les beautés de la Science et les jouissances que l'on tire de ses découvertes. Il louait que Sardonica eut consacré des sommes importantes dans le passé pour leurs travaux. Il ajouta qu'elle avait été payée au centuple, sans me préciser pourquoi. A son air entendu, je devinai qu'il y avait là quelque mystère.
Nous suivions des dédales de salles, remplies d'instruments bizarres, et de feux qui rougeoyaient. Il semblait exister une hiérarchie dans les personnes que nous rencontrions. D'abord les savants, avec leurs chapeaux pointus et leur air sournois, ensuite leurs aides à la tenue plus commune de gros drap gris, et enfin à demi couverts de haillons, surveillée du coin de l'oeil, ce qui semblait être des esclaves. Ils traînaient un lourd boulet attaché à une chaîne qui enserrait leur cheville. Ils avaient l'air résigné et misérable tout à la fois.
" Qui sont-ils, Comtesse ? " demandais-je.
- « Ce sont des captifs que nous ramenons de nos expéditions en terres lointaines et que nous réduisons en esclavage. » me répondit-elle d'un ton banal. « Nous en avons ici plusieurs centaines ; ils servent à tous les travaux. D'autres sont utilisés dans les mines de sel et du " minerai rayonnant ».
Toutes sortes d'animaux servaient aux expériences. D'immondes rats aux yeux brillants. « Ils sont extrêmement intelligents » me fit remarquer mon guide, « et douer d’une énorme faculté d’adaptation. Ils survivront à l’homme et deviendront les maîtres de la planète » ajouta-t-il sérieusement. Oiseaux de toutes couleurs et de toutes formes ; ours lourdauds. Et singes d'une espèce particulière.
- « C'est l'animal le plus proche de l'homme, c'est pourquoi nous l'utilisons beaucoup. Ce qui s'applique à lui s'applique à nous la plupart du temps. »
Effectivement j'observai sur des rochers grisâtres une famille de gros singes. Dans la façon dont le père tenait son enfant je reconnus une attitude profondément humaine. C'était saisissant !
" Nous n'avons encore pas vu le plus étrange et le plus secret " mie dit Sardonica.
Nous descendîmes par un escalier dans les profondeurs. J'appris alors que sous la Cité des Savants existait une véritable ville souterraine avec des kilomètres de galeries qui lui servaient de rues. Dans ces rues circulaient des chariots poussés par des hordes d'esclaves surveillés par des gardes aux aguets. Nous empruntâmes l'un de ces véhicules.
" Nous visiterons la caverne de l'Or d'abord " me susurra le chef des savants, comme si il avait été une jeune fille et moi son promis.
Le tunnel déboucha sur une très vaste grotte où l'on conduisait par des galeries des charrettes chargées d'un métal très lourd.
« - Qu'apportent-ils ? » Demandais-je.
- « Du plomb ! » me répliqua tout heureux Primus
– « Du plomb ? Pourquoi, Ici Dieu ? »
- « Oh cette impatience et cette pétulance de la jeunesse ! » constata Sardonica en riant, et se tournant vers nous : « tu as le temps d'apprendre, tu me saurais tout engranger à la fois! » ajouta-t-elle.
« Je vais vous expliquer » poursuivit Primus.
« Enfin vous allez comprendre vous-même. »
Et il me conduisit au pied d'une gigantesque machine. A l'extrémité de celle-ci an introduisait des plaques de plomb. Elles étaient aussitôt happées par une effrayante succion. Les dents invisibles du monstre les broyaient. Puis cet aliment passait au travers d'un dédale compliqué de tuyaux, traversait des feux violents, débouchait dans de vastes cuvettes, se mélangeait intimement à des terres de diverses couleurs. I1 était maintenant en fusion et continuait son interminable chemin le long duquel il était soumis à toutes sortes d'actions avant d'aboutir à une énorme bulle transparente. Il y bouillonnait avec des tourbillons infernaux. De cette bulle surgissait un serpent ondulé, trempant dans une eau qui courait, de la gueule duquel coulait un mince filet de métal continu de métal en fusion dans un récipient.