Pagan Pandemia
de David Baudet
Critique de Serge Rollet
C’est comme si lors d’une expérience de téléportation à la con, supervisée par Audiard et Blondin, San Antonio (celui de la grande époque, celui de « La vie privée de Walter Klozett », par exemple), avait fusionné avec Graham Masterton pour donner un récit totalement barré, horriblement drôle ou comiquement épouvantable, c’est comme on voudra. On rit ou on sourit beaucoup avec les titres de chapitres en forme de calembours, avec la verve gouailleuse des « héros » du livre. Il faut avoir longuement usé ses coudes sur des comptoirs, et lustré ses fonds de bénards sur moult banquettes de bars de province pour apprécier la justesse des dialogues, le choix du vocabulaire et la pertinence des répliques. L’auteur a de l’oreille, qu’il s’agisse de saisir les tournures argotiques audiardesques ou le sabir banlieusard post-moderne. Rien que pour ça, et aussi pour les rapports tendres et bourrus, loufoques et profondément humains entre les personnages, on a envie de côtoyer Olaf et O’Keefe, sans oublier l’improbable Gilbert…
Comme dans les meilleurs épisodes de « Kaamelot » ou dans le film « Blanche », on est en plein télescopage d’univers. La verve argotique sert à intensifier, par effet de contraste, le sordide des situations. Le destin des « Jalonnés » est d’autant plus tragique qu’il est décrit avec la fausse désinvolture d’un Audiard et la poésie discrète et populaire d’une René Fallet.
S’il ne s’agissait que de ça, ce serait pas mal. Là où le roman est fort, c’est qu’on ne perd jamais de vue l’aspect « thriller-roman d’épouvante » de l’ensemble. Car « Pagan Pandemia », c’est aussi, c’est surtout, du vrai fantastique, transgressif, iconoclaste et décomplexé ! Dans un vertige cosmique que n’auraient renié ni Lovecraft ni Masterton, David Baudet puise avec audace dans le fonds de commerce des religions pour nous plonger dans une histoire de possession parfaitement abominable, et là, on ne rigole plus. Les scènes d’action sont tracées au millimètre, nerveuses et elliptiques comme dans les bons polars. À l’opposé de l’ersatz de fantastique actuel qui pollue nos librairies, « Pagan… » décrit le surnaturel avec un réalisme qui fait mal. Les macchabées puent, la merde aussi ; le sang pisse quand il le faut ; la douleur et les plaies ne sont pas des maquillages, elles percutent les chairs et marquent les esprits…
Avec David Baudet, j’ai découvert un vrai écrivain, capable de jouer sur plusieurs registres, de faire accepter tout naturellement les situations les plus improbables, en jouant sur la fameuse « suspension d’incrédulité ». Mais aussi apte à faire rire avec un humour dosé au trébuchet, et ceux qui ne verraient en lui qu’un pitre – puisqu’il fait sourire- se trompent lourdement : je pense en particulier aux éditeurs qui ne se sont pas encore précipités pour l’assaillir à coups de carnets de chèques, à ceux qui le snobent, à ceux qui n’ont pas compris…
Vous voilà prévenus : si vous cherchez des émotions édulcorées, des zombies sentimentaux et des vampires qui brillottent au soleil, passez votre chemin ! Par contre, si vous aimez la « littérature d’invasion », la confrontation sauvage et impossible entre le surnaturel et le quotidien (banal à pleurer, mais tellement rassurant !), si vous recherchez le vrai frisson provoqué par la transgression des règles et des catégories, prenez donc une bonne rasade de « Pagan Pandemia » !
« Y a pas à dire, c’est une boisson d’hommes… »
Serge ROLLET
Biographie et bibliographie de David Baudet
Nationalité : Française
David Baudet est un citoyen du monde.
Il est Écossais quand il voit le jour à l’embouchure du Loch. Fatalement, il cultivera une passion immodérée pour le whisky.
Il est Breton de gré et Français de force.
Pagan Pandemia :
Tome 1 Le Rectum des Dieu 2011
Tome 2 La Soupe de phalanges 2013
Tome 3 Le Cloaque des Dieux 2015
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