Le Visage de Pavil de Jeremy Perrodeau.
L’interview de Jérémy Perrodeau
En mettant en scène la rencontre de deux civilisations, ce récit prend la dimension d’un mythe : comment avez-vous imaginé cette histoire ?
Quand je commence un nouveau projet, j’ai toujours envie de bousculer mes habitudes, d’explorer de nouvelles zones narratives et graphiques. En imaginant un personnage coincé dans un endroit dont il ne peut pas partir, je prends le contrepied des récits d’exploration que j’ai toujours faits. En fixant le déroulement de l’histoire à Lapyoza, dans un endroit précis, la présence d’un étranger suggère en permanence l’existence d’un ailleurs. L’Empire dont vient Pavil est évoqué mais jamais montré. Je voulais travailler avec cette idée de récit en hors champ. La question du mythe s’est imposée ensuite
très rapidement car le mythe pose directement la question du récit : qu’est-ce que raconter une histoire ? Comment y croire ? Et comment le récit-lui-même façonne-t-il notre manière de voir ? Ce jeu de mise en abyme me fascinait, finalement le sujet central de cette bande dessinée, c’est le récit lui-même. Une histoire présentée comme vraie pose toujours la question du mensonge. Pavil sert ici d’intermédiaire au lecteur pour découvrir cette communauté reculée, mais il est aussi « un voyageur qui prétend être ce qu’il n’est pas » : c’est une des premières choses que j’ai notée pour le définir.
Scribe ou espion, le doute et le mystère s’installent. Une situation donnée n’est jamais tout à fait la réalité. Ce principe infuse toutes les strates du récit.
Vous êtes-vous inspiré de la philosophie ou de l’ethnographie ?
Pas vraiment. J’avais des souvenirs lointains de lectures comme Lévi- Strauss. Un cours de philo au lycée m’avait marqué. Il abordait notamment le système de croyances très synthétiques de certaines tribus aborigènes qui parvenait à réintégrer dans leurs mythes n’importe quel événement perturbateur, comme un avion qui survolerait le ciel. Mais tout cela reste très vague. De manière générale, quand je commence un projet, j’aime bien penser à partir de ma mémoire sans trop puiser dans une bibliographie théorique qui soulèverait trop de questions et me paralyserait. En laissant à distance l’ethnographie, je reste dans l’évocation et je revendique ce regard presque naïf.
En revanche certaines références nourrissent mon imaginaire. J’avais ainsi en tête dès le départ la série de tableaux sur L‘île des morts d’Arnold Böcklin. Cette île mystérieuse me fascine et m’a inspiré l’île surmontée de cette grande structure en face de Lapyoza. Il se dégage une aura de ce territoire interdit.
« JE POSE DES HYPOTHÈSES ET ME LAISSE PORTER. JE PARTAGE LA SURPRISE AVEC LE LECTEUR. C’EST UN SAUT DANS LA FOI POUR MOI AUSSI. »
Tout cet univers semble pourtant piocher dans différentes cultures du monde.
Avant même de commencer à dessiner, j’ai rassemblé plein d’images sur beaucoup de cultures différentes.
Puis je les ai rangées et je ne les ai plus regardées. Je ne voulais surtout pas m’inspirer d’une seule culture, ni m’approprié tel ou tel costume, j’ai inventé à partir des réminiscences.
Lapyoza est un territoire imaginaire né de ce mélange de folklores. Ce monde avec ces deux lunes place directement le récit dans un ailleurs. Chacun peut ouvrir la vanne de son imaginaire. Se détacher d’un contexte ethnographique précis me permet de toucher à quelque chose de plus universel.
Le village sur pilotis est un personnage en soi, que raconte cette architecture ?
Au début, je pensais à des paysages comme la baie d’Along bien que je ne sois jamais allé au Viêt Nam. J’avais envie de dessiner du bâti comme je dessine la nature. Dessiner les paysages naturels est ce que je préfère et là où je me sens le plus à l’aise. Quitte à fixer le récit dans un endroit précis autant qu’il me plaise. Cet agglomérat de passerelles, d’échelles et de cabanes où la perspective est malmenée n’est sans doute pas très viable dans le réel mais fonctionne bien dans l’image. Au-delà, le parallèle existe avec la structure du récit. Comme ce village, toute l’histoire se construit en différe cette civilisation engloutie, omniprésente et au fondement du récit, même si on ne le découvre pas tout de suite.
Le Totem et le rituel autour des masques incarnent visuellement le mystère.
Comment est née cette idée de représentation du sacré ?
J’ai visionné beaucoup de films de folk horror, comme The Wicker Man, l’Homme d’osier. Par définition, ce sont des films violents qui finissent mal. Pour cette histoire, j’ai seulement repris le principe de départ : un individu se retrouve dans une communauté reculée et découvre les coutumes locales. Visuellement le totem a quelque chose du géant d’osier dans lequel le héros du film finit sacrifié. Après coup, je me suis rendu compte qu’il ressemble aussi à la Tour du soleil, ce grand totem oiseau réalisé par Taro Okamoto pour l’exposition universelle d’Osaka en 1970. De même les masques font penser au Masque sans visage de Miyazaki. Porter un masque c’est aussi montrer aux autres une certaine façon d’être.
En arrivant, Pavil porte lui-aussi un masque, il s’interroge face aux villageois et au totem pour savoir ce qu’il y a derrière. Tout le récit s’articule entre le dévoilé et le caché. À partir d’un motif, il m’arrive de développer des éléments en sachant qu’il faudra trouver une explication tôt ou tard. Si ça ne fonctionne pas, je peux ensuite revenir en arrière. Ça a été le cas pour les masques récupérés dans l’eau ou pour l’artefact en forme de sablier allongé qui apparaît au début par exemple. Je pose des hypothèses et me laisse porter.
Je partage la surprise avec le lecteur. C’est un saut dans la foi pour moi aussi.
La légende des ruines englouties fait penser à l’Atlantide : d’où vient le mythe d’Hodä aux origines de Lapyoza ?
Je me suis intéressé à la mythologie en lisant différents types de mythes. Encore une fois je ne voulais pas m’inspirer de tel ou tel mythe précis, toutefois l’histoire de l’archer qui tire sur des soleils provient du mythe de Hou Yi, une légende chinoise. Cet emprunt mérite d’être cité même si l’histoire d’Hodä est plutôt un assemblage des éléments clé que j’avais commencé à mettre en place pour créer du mystère. J’avais d’emblée l’île mystérieuse en face et j’ai pensé à un énorme trou dans l’eau avant même d’imaginer que ça serait un lieu de minage. Je connaissais l’origine et la fin du récit. Dans l’eau,
les ruines témoignent de la mémoire d’une civilisation disparue. Pour que cette civilisation se soit écroulée il fallait qu’elle ait d’abord connu un essor, qu’elle ait rayonné, qu’il reste enfin cet Hodä, l’exilé, chassé par les siens. Je voulais aussi construire un mythe qui puisse être mis en parallèle avec cet Empire au présent qu’on devine être une espèce de royaume en totale expansion, et notre propre réalité. Il y a la notion d’un temps cyclique, d’une histoire qui se répète sous différentes formes.
L’effondrement, l’impérialisme, l’exil, le réchauffement climatique, ces thématiques résonnent dans l’actualité.
L’imaginaire s’imprègne forcément de la réalité qui nous entoure et je suis bien conscient que j’aborde des sujets qui sont directement liés à notre actualité. Je ne m’interdis pas non plus de parler de thématiques très politiques, mais je préfère avoir une position où j’amène le lecteur à se poser lui-même les questions que je me pose à moi-même. Je n’ai d’ailleurs pas forcément les réponses. Le sens du mythe revient au lecteur. C’est ce qui fait selon moi la différence entre le mythe et la fable dans la mesure où l’interprétation du mythe est plus ouverte que la morale donnée par la fable.
Le récit d’Hodä crée une rupture graphique et narrative dans le récit. Les jeux de damier et de symétrie semblent eux-mêmes mimer la mécanique dualiste du langage.
Le mythe implique-t-il une écriture spécifique ?
Ce traitement reste assez inconscient de ma part. J’avais besoin de créer une rupture visuelle et l’envie de développer un dessin plus géométrique et plus sec pour empêcher toute interprétation émotionnelle. Quand le prêtre raconte le mythe, le caractère solennel du récit détermine une écriture codifiée qui est reprise ensuite dans la deuxième partie, quand Hodä témoigne de son destin, même si la forme est légèrement perturbée par les volutes de fumée.
Les deux récits cohabitent et dialoguent entre eux. En inventant ce langage, je cherchais à provoquer le sentiment qu’on peut avoir face à des traces archéologiques ou des symboles du passé. Toute cette imagerie énigmatique invite le lecteur à décrypter. Le récitatif participe de ce langage. De la même manière qu’on peut créer visuellement du mystère en introduisant des éléments étranges ou des situations ésotériques, on peut faire la même chose avec les paroles. Au fil des pages, on trouve beaucoup d’indices liés à l’histoire d’Hodä qu’on ne perçoit pas avant la fin.
Pour moi, créer du mystère revient à tisser des liens entre des choses qu’on ne comprend pas. Quand on se rend compte que le lien qu’on avait tissé existe, c’est très gratifiant.
Les liens se tissent à partir d’indices distillés au fil des planches. Ils révèlent la machinerie narrative entre les deux parties, de l’installation de Pavil à son initiation :
Comment avez-vous construit ce récit ?
Développer une histoire qui ne soit pas un récit d’exploration et où il n’y ait pas d’affrontements, de danger ou de notion d’actions m’a forcé à bousculer mes habitudes. Tout le récit tourne autour de Pavil et de la figure de l’exilé. J’ai commencé par poser différentes étapes autour de son évolution : son arrivée, sa découverte du village, sa rencontre avec Yunï, son exploration des ruines sous-marines jusqu’à son débarquement sur l’île d’en face. J’avais le mythe et le déroulé de l’intrigue. Tout l’enjeu était de parvenir à distiller le mystère jusqu’à la résolution finale et tout ce qu’elle est censée procurer en termes d’émotions et de sensations. Le mystère oblige à penser les ellipses en réfléchissant à comment représenter le temps qui passe, à quand intégrer les indices sans tout livrer d’un coup.
L’ordre des séquences a beaucoup évolué durant l’écriture pour justement équilibrer ce rapport au mystère. C’était un défi intéressant, car dans mes précédents livres j’ai toujours traité les intrigues en temps continu. Ici j’ai beaucoup travaillé sur le rythme, les motifs, les accélérations et les ralentissements. Il faut trouver l’équilibre entre les tonalités narratives et graphiques pour empêcher qu’une monotonie s’installe. J’alterne les séquences dialoguées et muettes, je m’autorise aussi ces doubles planches à fond perdu qui créent des ruptures en soulignant des moments marquants.
Après Le Long des ruines qui était beaucoup plus sombre, l’intrigue est ici beaucoup plus apaisée.
Malgré la peur et le rejet de certains villageois, l’exil est placé sous le signe de l’hospitalité.
J’ai le souvenir de m’être senti apaisé en dessinant, c’était comme m’évader de moi-même. Après avoir imaginé un drame pétri de violence, j’avais sans doute besoin d’imaginer un endroit plus paisible pour projeter mon imaginaire, un endroit où j’aimerais aller.
« DÉVELOPPER UNE HISTOIRE QUI NE SOIT PAS UN RÉCIT D’EXPLORATION ET OÙ IL N’Y AIT PAS D’AFFRONTEMENTS, DE DANGER OU DE NOTION D’ACTION M’A FORCÉ À BOUSCULER MES HABITUDES. »
La thématique de l’exil est sous-jacente à tout le livre ; elle rejoint la question de la colonisation, de comment on accapare un espace qui n’est pas le nôtre. Cette thématique est déjà présente dans Crépuscule par exemple, mais à travers un récit plus désincarné. Avec une mise en scène plus intime, en restant à l’échelle des relations humaines, j’évite surtout la grandiloquence d’un mythe sous la forme d’un opéra tragique. La question des ruines est une thématique qui revient également dans chacun de mes ouvrages. Les ruines témoignent toujours de la destruction du passé mais dialoguent aussi avec le présent. Je n’avais pas encore exploré les histoires que chacun peut y projeter. Alors que Pavil cherche à comprendre le rôle des artefacts en vue de découvrir des avancées technologiques oubliées, le rapport de Yunï est plus affectif et personnel puisque ce sont les circonstances de la découverte de ces artefacts qui lui importent. Yunï initie Pavil aux coutumes du village.
Il y a derrière leur rencontre comme l’esquisse d’une histoire d’amour : comment avez-vous pensé cette relation ?
Au départ, j’imaginais que la relation entre Yunï et Pavil irait plus loin et je n’ai finalement laissé que des sous- entendus. Je ne voulais pas tomber dans le cliché de l’étranger qui séduit la belle autochtone qui n’est jamais sortie de son village.
« LA THÉMATIQUE DE L’EXIL EST SOUS-JACENTE À TOUT LE LIVRE ; ELLE REJOINT LA QUESTION DE LA COLONISATION, DE COMMENT ON ACCAPARE UN ESPACE QUI N’EST PAS LE NÔTRE. »
Il fallait à tout prix éviter la condescendance tout en restant léger. En gardant une distance entre Yunï et Pavil, j’équilibre la relation et se crée un rapprochement réciproque. Même pour les personnages les plus secondaires comme le cuisinier j’ai cherché à éviter tout manichéisme en suggérant une évolution. Dans un sens, Yunï a un rôle de main tendue, d’intermédiaire entre Pavil et les villageois mais elle a aussi son identité propre, et un caractère marqué, elle est loin d’être naïve. Elle se permet de critiquer et de juger Pavil. Elle ne se cantonne pas à être un faire-valoir. C’est pourquoi j’ai tenu à développer son histoire personnelle pour expliquer ses choix et sa manière de voir, pour exprimer le jugement qu’elle peut porter sur ses propres croyances et sur l’Empire. Si Pavil se transforme à son contact, elle évolue aussi dans cette relation. De même que la présence de Pavil influe sur tout le village.
« DANS UN SENS, YUNÏ A UN RÔLE DE MAIN TENDUE, D’INTERMÉDIAIRE, ENTRE PAVIL ET LES VILLAGEOIS MAIS ELLE A AUSSI SON IDENTITÉ PROPRE, ET UN CARACTÈRE MARQUÉ, ELLE EST LOIN D’ÊTRE NAÏVE. »
Pavil est à la fois un chercheur et un profanateur. Sans narration interne, on s’identifie facilement à lui et à son désir de savoir. Pourquoi ?
Au début Pavil se présente comme un scribe. Il n’a rien d’un aventurier et je ne voulais pas d’un héros. Cet aspect neutre de prime abord m’intéressait car il me permet de présenter Lapyoza facilement au lecteur. J’avais aussi besoin de garder un point de vue extérieur pour ne pas nuire au mystère et à l’ambiguïté autour du personnage. Le lien se crée dans cette distance qui permet de juger ses actes et de comprendre que pour lui la fin peut justifier les moyens. Mais ce qu’il incarne, sa manière de penser, se rapprochent plus facilement de la nôtre. L’Empire d’où il vient correspond davantage à notre réalité occidentale. Comment choisir entre ces deux visions du monde ?
C’est un choix que je laisse au lecteur, je considère toujours le lecteur comme un acteur du récit avec sa perception propre. Pour moi une bonne histoire doit continuer à vivre en nous à travers les questions qu’elle nous pose. C’est d’autant plus vrai pour cette histoire qui pose directement la question de l’adhésion au récit, à un système de croyances et aux possibilités du doute et des remises en question. À travers les personnages, leurs choix, le lecteur se positionne. Son interprétation varie au fur et à mesure de la lecture et ce jugement peut encore évoluer avec une deuxième lecture ou une discussion avec un autre lecteur qui n’aurait pas le même ressenti. C’est ce qui me plait et le pourquoi j’invente des histoires, créer du dialogue en provoquant des émotions.
Graphiquement, votre trait se fait plus organique. Les cases soudées sans gouttière accentuent cet effet.Pourquoi ce choix ?
Je tournais autour de la thématique du cloisonnement. Je voulais rendre les choses denses et compactes. Ces soudures créent presque une grande case par page. Elles me permettent d’assumer encore davantage le découpage d’une scène ou d’un paysage sur plusieurs cases, avec des personnages qui évoluent entre chaque case. J’ai aussi accentué la reprise de décor et les effets de répétitions. En jouant sur l’idée que Pavil est bloqué à Lapyoza, quand il repasse à un endroit, je n’ai pas besoin d’imaginer des changements de cadrage. Je redessine les cases à chaque fois, pour ramener de la vibration, mais elles restent presque identiques. Ces motifs participent au rythme cyclique qui s’installe.
Pour la première fois, vous avez développé une narration en couleurs.
Au départ, j’étais parti sur une mise en couleur monochrome comme dans
Le Long des ruines. Quand les éditeurs de 2024 m’ont suggéré de faire de la couleur, ça n’a pas été simple à mettre en place. Après un premier rendu très carnavalesque, je fais table rase. J’ai introduit du blanc pour gagner en lisibilité et j’ai dû chercher un système pour limiter l’emploi des couleurs.
De manière générale, j’ai un rapport minimaliste et synthétique aux choses. En épurant et en tâtonnant, j’ai pu réduire la palette en définissant des règles souples en me limitant à trois couleurs par page, et en traitant les séquences narratives par teinte. J’ai aussi choisi de créer des dégradés pour les rendus de l’eau et le traitement de la lumière. À partir de là, je m’autorise des effets pour marquer des moments importants. J’utilise une gamme assez restreinte avec une dizaine de couleurs différentes. Sur la fin, cela se complexifie un peu car toutes les couleurs que j’utilise trouvent leurs pendants nuit, plus sombres, avec lesquels j’obtiens par contraste ces effets de fluorescence. La couleur participe à la narration, elle mime le temps qui passe et crée une progression au fil du récit.
Il se dégage de cette atmosphère exotique un onirisme reposant, une esthétique japonisante.
Les paysages que j’imagine sont toujours des projections. Je ne suis pas un baroudeur et je ne pratique pas le dessin d’observation. Mais j’ai fait un voyage au Japon quand j’ai réalisé Le Long des ruines qui m’a beaucoup marqué graphiquement. Quand je vois des photos de villages japonais, les architectures modulaires, l’art de l’aménagement, il se dégage quelque chose de mystérieux et de mystique.
Ces espaces à la fois très organisés et organiques séduisent mon imaginaire. Ça reste une vision fantasmée. De même que je suis très influencé par les estampes japonaises. En plus du rapport à la perspective avec la superposition des plans dans l’image, j’ai choisi ici d’utiliser des dégradés que je n’utilisais pas avant et qui se rapprochent de cette esthétique. Après avoir fait plusieurs tests manuellement, j’ai décidé de réaliser ces dégradés au numérique. Avec les trames en niveau de gris qui ajoutent un aspect granuleux à l’image, je joue sur la lumière et la profondeur pour fabriquer des effets.
Tout est affaire de dosage pour créer une progression de ces effets jusqu’à la révélation finale qui baigne dans une atmosphère singulière presque magique. À travers ce récit, j’ai la sensation d’avoir développé un nouveau langage graphique.
Le LIVRE
Badabam ! Un aéroplane s’écrase dans les champs sur les hauteurs de Lapyoza, un village isolé situé sur une île aux confins du monde, une architecture flottante construite sur pilotis au-dessus des ruines englouties d’une civilisation disparue.
Loin de l’Empire et de l’administration pour laquelle il travaille, Pavil est contraint de passer quelques semaines dans ce territoire autonome avant l’arrivée du bateau qui le ramènera d’où il vient. Pendant cet exil, à l’ombre du grand totem aux mille visages et dans l’horizon d’une île mystérieuse, il rencontre Yunï, une plongeuse, et s’initie aux us et coutumes étranges de cette communauté recluse.
Le Visage de Pavil confronte deux civilisations que tout oppose. En abandonnant le récit de voyage et d’exploration qui caractérisait tous ses précédents albums, Jérémy Perrodeau choisit de faire du sur place pour aborder avec profondeur et légèreté l’ambitieuse question de l’origine des mythes et des systèmes de croyances qui déterminent les manières de vivre et de penser.
Dans cette perspective vertigineuse, le récit questionne sa propre raison d’être et creuse le mystère à travers l’expérience d’une rencontre ramenée dans l’intimité de relations humaines. Le dépaysement imaginaire et graphique qui se dégage de cette partition en teintes douces invite à méditer le rapport à l’autre, les mécaniques d’ouverture et de repli sur soi.
Au grand bal masqué, tel est pris qui croyait prendre.
L’auteur :
Jeremy Perrodeau est né en 1988, quelque part entre Nantes et la mer, en bordure de la forêt. Un peu plus tard, il part étudier la communication visuelle à l’école Estienne, à Paris ; il en sort graphiste, et mène alors de nombreux projets avec le prestigieux studio deValence. Il commence en parallèle à produire de petits fanzines auto-édités, et bifurque progressivement vers la bande dessinée et l’illustration. Fortement inspiré par les grands espaces et les paysages naturels, il publie sa première bande dessinée en 2013 : Isles, La Grande Odyssée, aux éditions FP&CF (rééditée en 2018 avec 2024). En 2017, il publie Crépuscule, un premier grand récit de science-fiction impressionnant de maîtrise, qui lui vaut une sélection officielle au festival d’Angoulême et le Prix du jury du festival Pulp en 2018.
Il confirme ensuite son talent avec un thriller psychologique, Le Long des ruines, en attendant d’éblouir les lecteurs avec Le Visage de Pavil.