Perles noires
par NATASHA BEAULIEU
Entrevue
Pourquoi avez-vous eu envie de replonger dans cet univers avec Jimmy Novak et Tura Sherman ? Qu’est-ce que les années qui ont passé entre L’Ombre pourpre et Les Perles noires ont apporté à votre écriture ou à l’histoire ?
Dix-huit ans plus tard, j’ai eu besoin de reconnecter avec Jimmy Novak et Tura Sherman. Je devais découvrir où ils en étaient dans leur vie. C’était une manière de mieux comprendre où j’en étais dans la mienne.
Pour Les Perles noires, j’ai choisi de garder le même style d’écriture que les autres romans des « Cités intérieures ». Mais, surtout, on y retrouve des personnages solitaires et marginaux qui évoluent dans une ambiance gothique urbaine. Nous sommes dans le suspense fantastique. C’est ce qui fait la particularité des « Cités intérieures » et donc, des Perles noires.
Pouvez-vous nous parler un peu plus de l’Eau noire ? Que permet-elle ?
L’Eau noire est une métaphore de ma vision de la réalité. Tout ce que l’esprit est capable de concevoir a existé, existe ou existera un jour, quelque part, explique Stick à son frère Jimmy Novak, qui a peint un monde imaginaire auquel il a finalement pu accéder. L’Eau noire est une ouverture vers le monde des Cités intérieures, accessible à certains personnages des Perles noires. En cours d’écriture du roman, mon père est mort. J’ai alors compris que l’Eau noire pouvait aussi anticiper ce qui se passe après la mort.
Pourquoi l’histoire se passe-t-elle en grande partie à Montréal et au Japon ?
Jimmy Novak, un des personnages principaux des Perles noires et des Cités intérieures, est né à Montréal. Le coeur de cette saga se situe dans le parc La Fontaine, dans le bassin nord, près de la fontaine. C’est là que l’Eau noire apparaît la première fois. J’aime situer mes romans à Montréal, la ville où j’habite, et dans des villes que j’ai visitées et appréciées. Ma ville préférée est Londres mais, pour Les Perles noires, Stick devait arriver très loin de Montréal pour que sa quête de retrouver Jimmy soit plus captivante. C’est pourquoi j’ai choisi Tokyo.
Grâce au personnage d’Iki Yoshioka, on peut découvrir le Japon, ses quartiers, ses habitants et traditions. Avez-vous un intérêt particulier pour la culture japonaise ?
À l’adolescence, après l’Angleterre, je voulais visiter le Japon. J’y suis finalement allée en 2019. J’ai vécu dans le quartier Kabukicho, à l’hôtel Gracery, où une partie des aventures de Stick et Iki se déroulent. J’ai donc pu décrire l’ambiance du red light tokyoïte avec précision. J’ai grandi avec Minifée, Ultraman et Godzilla. Puis sont venus les jardins japonais, les sushis et l’art du zen. Plus tard, j’ai découvert l’auteur Haruki Murakami et sa trilogie IQ84 dans laquelle fantastique et réalité sont indissociables. Depuis, il m’arrive de penser que j’écris aussi du réalisme magique plutôt que du fantastique pur.
Pour quelles raisons Jimmy Novak ouvre-t-il le Penlocke ? Et pourquoi a-t-il choisi d’utiliser la réalité virtuelle dans son bar ?
Jimmy Novak à cœur de réaliser le Penlocke, un projet créatif d’envergure qui mijote en lui depuis des années. Le soir de l’inauguration, s’y déroule un événement singulier qui lui permettra de bientôt réaliser son but secret : celui de retourner dans le monde imaginaire qu’il a peint sur un mur, 22 ans plus tôt. Novak choisit les réalités virtuelles et augmentées parce qu’elles lui permettent de recréer son monde imaginaire de manière plus concrète qu’une oeuvre peinte. Il apprécie les possibilités des nouvelles technologies et de l’interactivité, qui lui permettent de transcender son art.
Pourquoi avez-vous décidé de séparer les points de vue entre plusieurs personnages pour en faire un roman choral ?
J’aime beaucoup cette manière de construire un roman car elle contribue à augmenter l’effet de suspense. Avec Les Perles noires, j’ai choisi garder le même genre de narration que les autres romans des Cités intérieures. Je trouve que les trames parallèles qui finissent par se croiser ressemblent à la réalité. Nous vivons chacun et chacune dans notre bulle, puis nous allons rejoindre la bulle de quelqu’un d’autre et nous réalisons que nous connaissons quelqu’un en commun et une partie de sa bulle se greffe aussi à la nôtre. C’est comme ça que nous découvrons de nouveau allies.
Pour quelles raisons aimez-vous mettre en scène des personnages qui sont différents des autres, des marginaux ?
Parce que je me suis toujours sentie marginale, alors je m’identifie à eux. Je suis l’androgyne Stick, le peintre Jimmy Novak, la dominatrice Tura Sherman et un peu de tous les personnages des Perles noires. À travers leur marginalité, ce sont des facettes de moi-même que j’exprime : traits de caractère, fascinations, désirs, expériences de vie…
Mes personnages s’inspirent aussi parfois de gens que j’ai côtoyés. Peu importe, tous m’aident à mieux comprendre qui je suis et pourquoi j’écris ce que j’écris. C’est une analyse psychologique en constante évolution, et je continue donc à réfléchir sur ce sujet.
Qu’est-ce qui vous plaît dans le genre du fantastique ?
Le fait de pouvoir imaginer des choses qui ne se peuvent pas, en principe, mais pour lesquelles il n’existe aucune preuve qu’elles sont impossibles. Par exemple, l’Eau noire. Peut-être existe-t-elle déjà, quelque part, mais que personne n’a pu revenir nous le confirmer après s’y être immergé. Dans Les Perles noires, il est aussi question d’extraterrestres. Mythe ou réalité ? Stick possède le don d’interrompre le fil du temps, le temps de lire une information dans l’esprit d’un individu. Certes, je ne connais personne qui en est capable, mais qui peut affirmer que ce ne sera jamais possible ?
Bien des mystères sont soulevés dans cette histoire. Plusieurs se résolvent mais d’autres restent en suspens. Est-ce que vous prévoyez une suite aux Perles noires ? Et si oui, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce à quoi on peut s’attendre ?
On m’avait posé la question à la publication de L’Ombre pourpre. J’avais alors répondu que je ne le savais pas. Y aura-t-il une suite aux Perles noires ? Je ne le sais pas plus. J’aime qu’un roman me laisse de l’espace pour me questionner. Que l’intrigue ne soit pas totalement résolue peut m’agacer mais, si j’ai apprécié l’expérience de lecture, le plaisir va se poursuivre au-delà car l’œuvre va m’habiter plus longtemps. La marge entre le réel et la fiction ne cesse de rétrécir. On ne peut pas tout expliquer dans le réel. Comment le pourrait-on, dans la fiction ?
Natasha Beaulieu, merci !
Biographie/ Bibliographie
NATASHA BEAULIEU a grandi dans un environnement propice à stimuler l’imagination. Elle a écrit ses premiers textes toute jeune et, au fil des ans, elle a exploré différentes formes d’art (danse, théâtre, musique, cinéma, dessin de mode et haute couture).
Après avoir obtenu un diplôme de l’Université Concordia en Fine Arts (cinéma et littérature), elle a été, entre autres, journaliste, rédactrice pigiste et libraire. Si la trilogie fantastique des « Cités intérieures » a révélé le « noir talent » de Natasha Beaulieu au grand public, c’est avec Le Deuxième Gant qu’est née sa réputation de grande prêtresse des amours déjantés... Les Perles noires est son septième roman paru chez Alire.
DE LA MÊME AUTEURE
LES CITÉS INTÉRIEURES
1. L’Ange écarlate. Roman.
Beauport : Alire, Romans 033, 2000.
2. L’Eau noire. Roman.
Lévis : Alire, Romans 067, 2003.
3. L’Ombre pourpre. Roman.
Lévis : Alire, Romans 096, 2006.
Le Deuxième Gant. Roman.
Lévis : Alire, GF, 2010.
Lévis : Alire, Romans 144, 2012
.
Regarde-moi. Roman.
Lévis : Alire, GF, 2012.
Lévis : Alire, Romans 160, 2014.
Le Secret du 16 V. Roman.
Lévis : Alire, GF, 2014.
Lévis : Alire, Romans 183, 2017.
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