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Site sur la Science-fiction et le Fantastique

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Articles avec #litterature

LE CLOWN


 

Je n'aime que cet instant rare.

Le chapiteau bruit de la rumeur vivante des gens. Les rampes fastueuses des lumières éblouissent l'espace. L'orchestre joue une musique que l'on appelle de cirque et qui est pour moi la seule musique. Elle me trempe le corps d'un bain de jouvence et me revigore l'esprit. Je me sens presque l’égal des dieux.

 A chaque fois il se passe la même chose... J'oublie qui je suis.

Et tout barbouillé par mes farines de couleur, tout ridicule dans mes habits dorés et de taille extravagante, je joue.

Je suis un clown.

Mes paroles sont usées d'avoir trop traînées sur la piste, mes jeux de mots sont énormes. Qu'importe ! Je suis dans cette mystérieuse communion du spectacle que je ne saurais expliquer exactement. Ici seulement j'ai l'impression d'exister encore.

Et je m'en vais sous les applaudissements qui me versent comme une légère ivresse. Les quelques minutes que j'ai passées sur la piste ont enluminé ma pauvre journée.

 

Je n'ai plus que cela dans ma vie être clown. Il ne me reste plus rien d'autre. Il n'en a pas toujours été ainsi. J'ai connu des moments où j'avais encore au coeur quelque espoir. Je n'en ai plus aujourd'hui. Un ressort s'est cassé en moi d'un coup.

 Je ne supporte plus de regarder les numéros de voltige. Lorsque Monsieur Loyal annonce l'arrivée des trapézistes, je prends bien garde de me trouver déjà dans les coulisses. Et jamais je ne les observe qu’au travers des toiles. Leurs évolutions me terroriseraient et me rappelleraient trop de choses. Trop de choses que j'essaie de dissimuler dans ma mémoire, mais qui me hantent quand même encore tant d'années après.

 Mon passage terminé, je ressens de nouveau ma tristesse, vieille blessure purulente que je porte toujours au côté; et j'attends la prochaine séance. Ne survivant que dans cette espérance.

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Je dis :"cirque !" Et je vois...

 Tigres du Bengale, beaux et souples.

Lions de l'Atlas marron et blasés. Fatigue et fierté dans leurs yeux plissés sous les lumières."Que sont-ils venus faire en ces pays froids ?" se demandent-t-ils surpris. »

«  Quels sont ces fous qui les regardent sous ces feux terribles, qui ne valent pas le vrai soleil ? "

 Eléphants, gros comme des montagnes se dodelinant placidement sous les ordres du cornac, et s'ennuyant comme des Lords.

 Le cercle courant des chevaux brillants d'être étrillés. Rien de plus beau et de plus sobre peut-être que cela, tournant, virevoltant aux claquements du fouet. Ballet intelligent.

 Et la parade en ville ! On ne la fait plus aujourd'hui. Trop coûteuse et gênant la circulation. La parade en ville. Annoncée 1a veille par des camionnettes munies de haut-parleurs sillonnant les quartiers à la grande joie des marmots. On défilait au milieu de rangées de badauds ébahis de voir pareil cortège et pareille fête. Les gamins des faubourgs dont les parents étaient souvent trop pauvres pour pouvoir leur payer une place pouvaient participer un peu à la liesse générale.

 Toute la troupe était là avec les animaux. Des costumes bariolés et scintillants. Une fanfare à égayer des cimetières. Les clowns se livraient à leurs cabrioles et à leurs pitreries sous les yeux émerveillés des enfants. Ceux-ci poussaient des petits cris de bêtes où pointait déjà la cruauté.

 C'était le cirque qui passait. Et il paraît pour un jour de joyeuses couleurs la terne ville, et jetait des éclats de lumière dans les tristes vies !

 Je dis CIRQUE ! Et je sens...

 L'odeur du cirque à nulle autre pareille. Cette odeur forte chaude et vivante. Cette chaleureuse odeur de communauté hommes-bêtes. L'homme et la bête partenaire des mêmes jeux. Complices et ennemis à la fois !

 

Hélas Madame le cirque se meurt, le cirque est mort !

Happés par le tube de leur écran de télévision, qui borne pour eux les frontières de l'univers, les gens se font plus rares.

Des journalistes nous disent qu'ils ont perdu leur fraîcheur d'esprit et leur naïveté d'antan. Qu'ils sont plus intelligents en somme ! Ne serait-ce pas plutôt une certaine capacité de vivre et d’enthousiasme populaire qui ont disparu ? Mangés par le culte de la marchandise et du faire-accroitre !

Les énormes frais de cette véritable ville ambulante deviennent trop lourds. On réduit le personnel et le nombre des animaux. Souvent aujourd'hui l'orchestre ne comprend plus qu'un musicien qui tape sur des batteries, tandis que des bandes magnétiques débitent leurs airs " disco ". On feint d'avoir dissimulé les joueurs dans une sorte de recoin des décors en carton. Et de temps en temps l'unique instrumentiste fait semblant de regarder ses camarades pour leur indiquer la mesure. Il ne trompe plus personne , c'est même un peu ridicule.

Marchands de rêves et d'illusions ! On nous dira que verser ces poisons est chose dangereuse. Comme si il n'y avait pas de plus redoutables marchands d'imaginaire dont l'office ne menait à de plus périlleuses issues !

Plus intelligent le Peuple, allons donc.., prêt à suivre n'importe quel dompteur

Je ne sais ce qui est le plus triste, le voir ainsi périr à petits feux, ou s’il disparaissait d'un coup  et qu'on en parle plus. Les hommes sont bien mortels, pourquoi le cirque ne le serait-il pas ?

Mais trop de fils ténus me lient à lui. S’il meurt mes souvenirs seront tués d'un coup, engloutis tant d'années. Je disparaîtrai sans doute avec lui.

Après mon décès je voudrais que l'on m'enterre dans de la toile de cirque avec un peu de sciure à l'intérieur.

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Et il y avait Lili. Lili était la fille du prestidigitateur « Fabuloso ». Je la connus alors qu’elle n’était qu’une gamine frêle et gauche, mais déjà si belle, et, comment dire, si « différente » une sorte de solitude un peu désespérée qui flottait sur elle la distinguait des autres... Ses cheveux si blonds, sa fraîcheur de peau semblaient être les reflets de la fraîcheur de son â7-11e. Et cette gentillesse légèrement détachée, cet intérêt qu’elle semblait éprouver pour tout le monde....

Toute jeune elle commença à aider, son « père. Elle lui « tenait son chapeau dont il tirait des pigeons et des mouchoirs multicolores en quantité. Elle apportait le sabre qui permettait au magicien de transpercer sa maîtresse du moment au travers du coffre magique.

Et celle-ci en ressortait indemne et joyeuse sous les vivats des spectateurs émerveillés. Mais Lili restait distante et sereine comme si le contact avec cette illusion un peu surfaite ne faisait que de l’effleurer.

Petit à petit, comme un lierre obstiné sur un pauvre mur, elle s’attacha « a-moi. Nous partageâmes nos solitudes, et nos univers...

C’est probablement parce que je n’étais qu’un nain qu’elle voulait bien me considérer comme un enfant et me faire cadeau de sa compagnie ? Peut-être aussi qu’une certaine pitié un peu cruelle se plaisait à exercer son pouvoir sur moi ? je ne sais. L’innocence de l’enfance n’est peut-être que le piège malhabile de l’adulte retord ; et sous les visages candides se cachent déjà les âmes compliquées ?

Ce que nos sensibilités meurtries par la vie dure préféraient, c’était se réfugier dans la fantasmagorie de l’imagination et du rêve.

Cachés dans un recoin du caravansérail, nous tenant la main, nous nous racontions des histoires fantastiques, compréhensibles de nous seuls...

Parfois même nous nous costumions des vêtements les plus invraisemblables, empruntés à des artistes, qui les traînaient dans leurs bagages. C’étaient des débris de leurs vies mortes. Et ils les ressortaient de temps en temps lorsqu’ils évoquaient au fond de leur roulotte leurs souvenirs.

J’étais Prince et elle était Princesse.

Nous habitions des palais bleutés et foulions des tapis somptueux, sur lesquels nous nous envolions pour des destinations féeriques. Ispahan la magnifique, Jérusalem la mystique ! Sans doute que pauvres villes de la réalité, que je ne visiterai jamais, vous n’avez rien de commun avec les riches cités de mon imagination !

Les toiles du chapiteau, l’accompagnement du barrissement des éléphants, du hennissement des chevaux, du rugissement des lions superbes étaient bien faits pour évoquer des aventures orientales.

Nous jouâmes certaines scènes où j’étais son mari et elle ma femme. Elle faisait chavirer son regard bleuté dans mes yeux. Elle ne se doutait pas l’innocente (ou s’en doutait-elle ?) qu’elle versait en moi le trouble et un obscur désir. Je sentais son souffle encore d’enfant à hauteur de ma joue.

Il lui arriva même de me donner un baiser les yeux mi-clos, emporté par le jeu. Ce baiser était pour moi une marque au fer rouge sur ma peau. Ma situation ne me donnait guère de chances avec les femmes. Je le savais bien.

Elle était ma seule amie, la seule compagne de mes instants de liberté et de bonheur...

Puits un jour elle ne voulut plus jouer avec moi. Sans me dire pourquoi elle se mit à me bouder. J’avais le cœur de déchirer à l’idée de lui avoir fait quelque peine. Je demandai timidement explication. Elle me répondit que ce n’était rien, que je ne pouvais pas comprendre.

Je remarquai soudain que Lili était presque une demoiselle.

La juvénile poitrine commençait à pointer sous le tricot, les formes à s’al1onger et à s’évaser, la lèvre à se faire plus sensuelle, le regard à s’alanguir, l’esprit à s’ouvrir sur des rêves vagues...

Je réalisai que la jeune fille ne voulait plus de son compagnon de l’enfance. Elle le trouvait indigne maintenant de marcher à ses côtés dans le nouveau chemin rempli de musique et de fleurs qu’elle imaginait s’ouvrir devant elle.

Je la voyais se dissimuler fréquemment dans les coins avec des garçons, semblant en éprouver un certain plaisir. Je n’osais plus l’approcher depuis qu’un jour ils m’avaient chassé à coups de pierre. Elle les avait laissé faire sans rien dire, mais      rire non plus....

Cependant les ponts n’étaient pas entièrement coupés.   Nous nous disions     “Bonjour” lorsque nous nous voyions, avec comme une complicité involontaire dans nos regards, chargés de souvenirs communs.

Fabuloso mourut agrès avoir tout dépensé. Les mauvaises langues visaient de lui qu’il était plus doué pour faire sortir des billets de banque d’une boîte vide, que pour les conserver dans sa poche.

Aussi, tout naturellement, Lili en vint à apprendre un métier du cirque.

En effet, fréquentant peu l’école, les enfants de la balle ne pouvaient guère envisager d’entrer dans un quelconque état de la société qui les entourait et où ils se sentaient mal à l’aise.

Habitués à voyager ils auraient eu quelques problèmes à se fixer en un lieu. Ils étaient des nomades, des êtres fantaisistes, des feux follets, des esprits errants sur cette terre ; comme leurs parents l’avaient été.

Ainsi le cirque se perpétuait de lui-même, petite onde dans le grand.

J’assistai à ses débuts de loin, en feignant de ne point m’y intéresser. Avec quelques maladresses, elle s’habituait à vivre avec la corde. Il faut se faire accepter d’elle, comme le dompteur de ses lions. Elle a ses réactions et son tempérament comme eux.

Lili s’accrochait avec courage. Elle recommençait autant de fois qu’il le fallait. Son petit front se plissait et ses yeux devenaient butés. Presque tous les enfants du cirque ont cette obstination face aux difficultés, face au danger. Ils veulent triompher contre eux-mêmes, je pense. C’est ce que leur a appris cette rude école venue de très loin et dans laquelle ils sont nés.

J’avais l’impression qu’elle me toisait un peu dédaigneusement depuis qu’elle marchait là-haut telle une fée blonde, et que je n’étais plus qu’un disgracieux petit nabot qui rampait au sol.

Parfois de son fil, quand même, elle me faisait un petit signe de la main qui m’allait droit au cœur. Peut-être qu’elle n’en ne m’avait pas oublié, qu’elle n’avait pas oublié nos jeux d’antan ?

Et peut-être qu’elle me reviendrait un peu, pas complètement, mais du moins un peu. Je l’espérais plus que toute autre chose.

Elle devint une splendide trapéziste. Sa grâce et sa beauté faisaient monter des “Oh !” de stupéfaction et d’émerveillement des foules. Son corps était gracieux, son pied léger sur le câble.

Je dois avouer qu’à, chaque fois que je la regardais évoluer dans les airs, j’étais inquiet qu’elle ne vienne à tomber et ne se brisât à mes pieds.

J’étais jaloux des autres artistes qui posaient leurs mains sur la cambrure de ses reins, et oui lui souriaient. C’était pour la nécessité su spectacle ; mais cela me semblait plus que cela.

Je ne pouvais empêcher mon imagination de vagabonder après que la répétition fut finie et que ces garçons la raccompagnaient.

De quelque lointaine contrée du Sud, un jour, nous vint Cendréro. Il était précédé d’une formidable réputation de trapéziste. Son nom avait déjà figuré en gros sur les affiches des plus grands cirques du monde. Je vous parle d’un temps que les plus jeunes ne peuvent point imaginer. Alors les grands artistes de la piste étaient connus de tous ; et leur prestige immense dans notre petit univers.

Quel bel homme c’était Cendréro ! D’assez bonne taille, brun de poil et de peau, une musculature à faire frémir d’aise les dames. Et une certaine bonne idée de soi, une certaine aisance, bien faite pour lui assurer leurs faveurs.

Il fut bientôt la coqueluche de tout ce que pouvait compter de spécimens de l’espèce féminine du cirque depuis l’ouvreuse jusque-là femme du propriétaire, en passant par les souples écuyères, les jongleuses....Même la femme-serpent n’aurait pas dédaigné de le prendre dans ses anneaux.

Le Directeur comprit tout de suite le parti qu’il pouvait tirer de ce couple contrasté et harmonieux. Lui fonçé et fort, elle blonde et gracieuse. Lili et Cendréro. Cendréro et Lili. Les conquérants des airs !

Ils devaient devenir dans l’esprit des gens comme la concrétisation de l’homme et de la femme idéaux se faisant pendant, se mettant en valeur réciproquement et planant loin au-dessus des préoccupations terrestres.

Ils semblèrent prendre goût à cette idée. En effet on les remarquait presque toujours ensemble ; à l’entraînement bien sûr, mais aussi dans la vie. Ils devisaient ensemble, semblaient se faire des confidences. Lili plutôt rêveuse et sérieuse, devient rieuse et joueuse. Les langues ne manquaient pas de se délier. Beaucoup de ces commères n’étaient en fait que des jalouses qui auraient bien voulu se trouver à la place de Lili.

Lili ne semblait plus me voir, et elle ne me parlait plus. C’est à peine si lorsque nous nous rencontrions, nos regards se croisaient vaguement.

Cela m’était affreusement pénible. J’étais seul, terriblement seul. Je redevenais ce que je n’avais jamais cessé d’être : un nain affreux et colérique. Et dans un coin de la roulotte que je partageais avec d’autres nains, je me mettais à pleurer tout seul.

Moi, amoureux de Lui ! Cette passion avait du germer en moi depuis bien longtemps, quoique je fis tout pour l’étouffer. Idée absurde, chimérique, démente que de pouvoir croire qu’un jour elle s’intéresserait à moi autrement que comme objet de sollicitude !

Lentement comme des poisons subtils, la jalousie et la haine s’infiltrèrent en moi contre l’intrus qui venait de me ravir Lili. Mes yeux ne pouvaient cacher leur éclat terrible en présence de ce Don Juan du fil. Il ne semblait pas s’en apercevoir. Au contraire il faisait preuve à mon égard d’une sorte de ton protecteur plutôt affectueux. Ce ton me faisait mal.

C’est sûr que la comparaison entre nous ne pouvait aller qu’à son avantage. Et ce que cela pouvait me faire rager !

Lili après tout était bien en âge de prendre un amoureux. Peut-être aurais-je supporté n’importe lequel autre ? Mais celui-ci me semblait fat et sot. Et de savoir qu’il touchait la belle Lili m’était insupportable.

Et de plus en plus j’envisageais de me débarrasser de lui. Il ne me restait plus qu’à trouver le moyen.

Ma faible taille m’interdisait les procédés physiques brutaux.

Dans une bagarre, même à coups de couteaux, il m’aurait désarmé en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Dans ce cas je n’aurais fait que de me ridiculiser.

J’étais lâche aussi ; je n’avais nulle intention d’être déféré à, la justice et de subir la haine des foules hystériques. Je voyais déjà les titres des journaux : » un nain jaloux assassine le trapéziste... «

Je ne voulais pas non plus que Lili soit victime de ce scandale que nous soyons définitivement brouillés et qu’elle connaisse le vrai fond de mon âme.

Plus que tout je comptais survivre à mon forfait, me féliciter de mon astuce. En un mot savourer ma victoire hypocritement. J’avais bien calculé mon coup. Et j’en étais assez fier. J’attendis le grand soir, crevant d’impatience et de peur. Je n’osais plus regarder Lili. Elle ne semblait pas d’ailleurs en être beaucoup affectée, toute à son rêve intérieur.

Le moment était bien choisi. En plein milieu de la représentation. Sous les fantastiques lueurs des projecteurs, le tambour répand sa musique inquiétante. Tous les visages sont levés, béats d’admiration, vers ce couple merveilleux. Lui si bien découpé, elle revêtue d’un maillot où jouent les paillettes. Si beaux là-haut, si sûr d’eux-mêmes…

Les gnomes tenaient un rôle dans ce numéro  appelé "Blanche-neige et les sept petits nains ».

Un rôle de faire-valoir évidemment. En ce qui me concerne j’étais négligemment appuyé sur un piquet où aboutissaient de grosses cordes ; ma cape recouvrant certaines à demi.

Et je regardais en haut comme le tout le monde.

De ma poche intérieure, par en dessous le drap, sans qu’on puisse le voir, j’extrayais une petite scie que j’y avais amoureusement dissimulée.

Sans en avoir l’air, à toute vitesse en jubilant, je me mis à couper la corde. O comme le métal mordait bien les fibres !

Les petits hommes peuvent être fort adroits contrairement à ce que les gens pensent communément.

Soudain ça lâcha d’un coup. Je compris avec terreur que, dans ma fébrilité, je m’étais trompé de câble. Et c’est Lili qui alla s’écraser contre le sol, comme une fragile marionnette...

Je m’étais brisé avec elle, à cet instant. J’eus l’impression que j’éclatais aux quatre coins en mille morceaux brillants et noirs. Disloqué à jamais... Mon être écartelé criait intérieurement et saignait. J’avais affreusement tué la seule personne que j’aimais réellement.

Il y eut un grand silence. Puis la montée des voix stupéfaites... Tous les artistes se rapprochèrent de Lili. La peine était inscrite sur leurs visages ; car tout le monde aimait bien Lili, si bonne avec chacun. Je ne m’approchai pas d’elle. Mais cela dû sembler naturel, que je n’en aie pas le courage ; car nul n’ignorait que nous avions été très ami lorsqu’elle n’était qu’une enfant.

Je sentais depuis un moment un regard posé sur moi. Vous savez cette impression qu’on a lorsque quelqu’un vous contemple intensément même lorsque vous avez le dos tourné. Pas de doute on m’observait.

Ca m’avait observé pendant toute la scène. J’en avais la ferme conviction.

Je me retournais d’un coup, décidé à en avoir le cœur net. Un petit garçon brun, vêtu comme un jeune bourgeois endimanché, avec un nœud papillon, sans doute soigneusement noué par sa mère, très fière de lui. Le petit bourgeois appartenait à une paire d’yeux.

Des yeux immenses qui lui mangeaient la face, ouverte comme des fenêtres… Et ce regard. Je n’ai jamais vu de pareil regard. A la fois comme horrifié et fasciné par ce qu’il avait vu. Alors que l’attention de tous était capté par le trapèze et que la salle était plongée dans la semi-pénombre, il avait préféré s’intéresser a moi ! Et il savait. J’en étais sûr. IL SAVAIT ! Et peut-être qu’il avait tout compris de ce qui c’était passé dans mon esprit !

J’allai lui rendre visite le lendemain. Elle vivait dans une belle roulotte depuis qu’elle était devenue une vedette. Mais ça ne lui était pas monté à la tête. En effet elle avait précieusement conservé et entretenu tous les            souvenirs qu’elle possédait de  « Fabuloso ».

Je n’ignorais point qu’elle allait mourir. C’est ce que le médecin avait déclaré et tout le monde le savait. Elle le savait elle aussi, cela se voyait sur ses traits.

Je fis semblant d’avoir bon espoir. Je lui avais apporté un bouquet et quelques friandises qu’elle ne pourrait pas manger. Sa colonne vertébrale était brisée en plusieurs endroits et son corps n’était plus que plaies vives. Elle devait souffrir atrocement, mais elle supportait crânement ce coup du sort. Même elle adoptait un ton faussement enjoué pour me parler. On côtoie tous les jours la mort au cirque. Et elle en avait vu de ces artistes devenus plus bons à rien â la suite d’un accident oui traînaient une vie misérable. Elle s’était faite à l’idée qu’elle allait mourir. Mais elle se trouvait quand même bien jeune pour cela. Elle regrettait de ne pas avoir connu plus de la vie. Elle m’avoua qu’elle aurait aimé se lancer à la rencontre du monde.

Malgré moi des larmes perlaient de mes yeux et coulaient sur mes joues. N’en pouvant plus de cette tension, je pris congé d’elle. Avant que je ne n’en aille elle me regarda intensément et elle me prit la main. « Tu sais », me dit-elle, « je crois bien que je t’aimais. Il faut que tu le saches.... Ne m’oublies pas ! » ajouta-t-elle, « Mais ne penses pas trop à moi ! »

Je fus convoqué par la police, comme les autres, pour témoigner. Ils ne semblèrent rien trouver de suspect dans mes déclarations. Aussi ils ne m’inquiétèrent pas. Par contre lorsque le Directeur me fit venir, il avait un drôle d’air. Il me déclara que dorénavant il serait obligé de se passer de mes services. Il devait se douter de quelque chose. Mais il n’était peut-être pas sûr que j’avais scié la corde. A moins qu’il ne voulut pas ternir la réputation de son établissement ou qu’il pensa que ce crime commis sous le chapiteau ne regardait que le monde du cirque ?

Je ne sais.

« Il y a quand même quelque chose que je ne comprends pas dans cette affaire », dit pour terminer le Directeur. Oui il y avait quelque chose d’incompréhensible !

J’appris plus tard que Cendréro était parti lui aussi et nul ne le revit jamais, et ne sut dire ce qu’il était devenu.

Je n’ai plus que cela dans ma vie : être clown.

Les quelques minutes que j’ai passées sur la piste ont enluminé ma pauvre Journée. Et je m’en vais sous les applaudissements qui me versent comme une légère ivresse.

Ici seulement j’ai l’impression d’exister encore. Je suis dans cette mystérieuse communion du spectacle que je ne saurais expliquer exactement. Mes paroles sont usées d’avoir trop traîné sur la piste, nies jeux de mots sont énormes. Qu’importe !

Je suis un clown.

Et tout barbouillé par mes farines de couleur, tout ridicule dans mes habits dorés de taille extravagante, je joue.

J’oublie qui je suis.

À chaque fois il se passe la même chose. Je me sens presque 1' égal des Dieux. L’orchestre joue une musique que l’on appelle de cirque et qui est pour moi la seule musique. Les rampes fastueuses des lumières éblouissent l’espace. Le chapiteau bruit de la rumeur vivante des gens.

Je n’aime que cet instant rare...

les clowns de Paul Césanne

les clowns de Paul Césanne

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Parfois nous voyons de ces êtres hideux se cogner aux verres et nous observer. Nous ne sommes pas surs que nous parviendrions toujours à les contenir.

 

" Que dire de nous ? Que nous menons une vie paisible » en harmonie avec les éléments. Pour venir ici j'ai du suivre une formation particulière. Nous n'usons point d'un langage parlé, échangeant directement nos idées et surtout ressentant des vibrations que vous  ne sauriez capter. Nous ne nous reproduisons point par accouplement comme vous. Nous croissons d'abord dans des liquides jusqu'à ce que nous soyons suffisamment vigoureux. Alors la jeune pousse est confiée à un couple qui la prend en charge jusqu'à sa croissance complète.

 

Rien n'est plus touchant, et ça te toucherait toi-même que de voir deux plantes adultes serrées l'une contre l'autre, et pressant contre elles affectueusement une jeune plante qui se meut dans leur ombre.

 

Si on éprouve réellement beaucoup d'affection pour quelqu'un on peut toujours demander au Grand Ordinateur de confectionner un composé de vos deux codes génétiques. S’il accepte on obtient un croisement qui ressemble aux deux plantes parentes. Il y a même des filles qui se font faire une plante commune avec des personnages célèbres d'autrefois. C'est particulièrement fréquent chez certaines étudiantes en lettres qui évitant tout à fait la fréquentation des autres vivent dans leurs rêves de la littérature ancienne avec leur rejeton issu d'elle-même et de leur auteur favori »

 

Elle changea soudain de ton :" Si j’évoque des images de maternité, c'est parce que j'attends un enfant de toi. Il faut bien appeler cela ainsi. »

 

J'étais stupéfait. Elle poursuivit :" Nous disposons certes de tous les organes nécessaires. Mais l’acte sexuel nous est interdit. Si il arrive cependant que deux plantes décident de copuler entre elles ,mues par une trop grande attirance et curiosité, et qu'un fruit en résulté, le Grand Ordinateur les fait détruire avant l’accouchement, parents et enfants. Aussi nous n’avons pas l’expérience de ce qui pourrait arriver, à plus forte raison avec un être d'une autre espèce. "

 

Je décidai d'avoir un petit d'elle malgré que ce fût folie.

Si jamais elle me quittait, j'aurais un souvenir vivant d'e11e-même.

Elle aussi n'évoqua pas une fois la possibilité de mettre fin à  sa grossesse. Et nous nous préparâmes à  la venue de cet  héritier de deux civilisations.

 

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La gestation semblait se passer très bien. Sa taille allait très naturellement en s'arrondissant, Et Sylvana n'en éprouvait aucune gêne particulière. Elle n'exprimait pas non plus quelque crainte. Mais je l'ai assez dit les problèmes psychologiques n'existaient guère pour elle. Encore que l'épisode douloureux de sa confession, et ce bébé à venir avaient changé quelque chose dans nos rapports les rendant plus proches.

 

Je décidai qu'elle accoucherait à la maison, même si cela pût paraître singulier à notre entourage, et, par la suite alimenter des soupçons. Elle pensait également que ce serait une sage solution.

 

Un de mes anciens amis exerçait la médecine dans la région parisienne. Je l'invitai sous prétexte de vacances, ce qui pouvait sembler plausible. Je ne lui dis pas ce qu'il en était de la nature de Sylvana. Mais il comprit rapidement dès qu'il la vit, et à plus forte raison lorsqu'il l'examina.

 

" Tu sais ce qu'elle est ?" me demanda-t-il. Tu aurais peut ­être dû t'adresser à un jardinier plutôt qu'à un médecin. " " Je n'ai jamais vu de chose plus extraordinaire " poursuivit-il, mais la mère jouit d'une vitalité de chêne, si je puis dire. Cela, se présente dans d'excellentes conditions "

 

I1 croyait que ma femme était une anomalie de la création, une sorte d'avatar de l'évolution. Je ne lui révélai point qu'elle venait d' " ailleurs ". C'était trop compliqué.

Il y avait une pointe d'humour dans la voix de mon ami lorsqu'il me préconisa pour elle un régime adapté à son cas: soleil, terre et vie au grand air. De plus il me recommanda d'éviter les contrariétés qui n'étaient pas sans influence sur les plantes d'après les travaux biologiques récents. Au fond il avait très bien pris ce1à...

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Lorsque j'entendis le premier vagissement je me précipitai dans la chambre. Un splendide bébé parfaitement constitué commençait sa vie et se demandait ce qui lui arrivait. Sa mère le tenait dans ses bras avec tendresse. Ce n'est qu'avec hésitation qu'elle me le confia quelques instants, semblant craindre de moi, pour lui. Elle nous regarda tout deux avec une sympathie inquiète et contradictoire. Les grands yeux curieux du nouveau citoyen s'ouvraient pour la première fois. Il était fripé comme un vieux parchemin des bibliothèques du monde, sur lequel étaient dessinées des multitudes

de caractères. Je ne sus dire si j'étais heureux. Je me mis à craindre alors pour l'avenir.

 

C'est peu après la naissance que je remarquai le changement complet d'attitude de Sylvana. Elle devenait souvent absente, s'isolait seule avec le bébé de longues heures.

 

Un jour elle me murmura avec peine :" Ils me rappellent, ils veulent que je revienne... Ils ont peur que je tienne trop à toi, que je devienne comme vous, que je passe de votre côté... "

 

" Avec le bébé ?- Avec le bébé ! »

 

Alors je me mis à la surveiller presque nuit et jour, encore que je savais bien que je ne pourrais pas les empêcher de me l'enlever. Ils la contrôlaient toujours à distance, même si ils craignaient que ce ne soit pas suffisamment bien.

 

Malgré tout j'avais cet espoir fol de la garder, de la garder toujours. Je ne voulais pas qu'un beau jour elle disparaisse de ma vie aussi brusquement qu'elle y était entrée, par une déchirure de l'espace.

 

J'avais l'impression que les sollicitations qui l'appelaient ailleurs étaient de plus en plus fortes et qu'elles lui faisaient violence.

Je ne savais pas où cela allait se passer. Je n'avais aucune idée même de la façon dont ils procéderaient; ce qui accroissait la difficulté de ma tâche de gardien.

 

Je m’attendais à, une sorte de véhicule étrange dont la forme n'aurait rien â voir avec celle des véhicules connus. Elle avait toujours refusé de me renseigner à. ce sujet, arguant qu'il s’agissait d'un très grave secret dont la connaissance mettrait en péril leur communauté. Car si le chemin de cette planète à la nôtre était connu, il serait facile alors pour des chercheurs terriens de trouver le chemin inverse. Jamais non plus elle n'avait voulu me dire combien d'envoyés, comme elle, se trouvaient sur terre et quels étaient les travaux auxquels ils se consacraient. Une fois révélé ceci, ils seraient très vulnérables. On pourrait les débusquer avant que de les exterminer.

 

Elle ne me dévoila pas non plus les arcanes de leurs mathématiques bizarres, dont les dimensions, les courbes, et les formes n'avaient rien de commun avec les nôtres. Je crois qu'ils possédaient là l'intégration d'une bonne partie des données du monde. Cette clé nous manquait, et j'aurais bien aimé la donner aux hommes. Au fond je ne sais. Il est douteux qu'ils en auraient fait alors bon usage. Ils auraient cherché à perfectionner leurs armes de guerre pour mieux se détruire et détruire l'univers.

 

Sylvana a peut-être eu raison de disparaître sans me rien raconter de cela.

 

 

XXX

Je vais essayer de narrer aussi simplement que possible comment ils sont partis tous les deux avec des airs désolés, attirés par une force gigantesque. C’était par un après-midi ensoleillé comme on en voit en Provence dans les débuts de l'été.

 

J'étais allongé sous un arbre vénérable et odoriférant. Je suivais au travers de l'entrelacs des ramures dansantes les jeux amoureux de l'ombre et de la lumière.

 

L'existence m'apparaissait à la fois comme vaporeuse et signifiante. J’étais un esprit fugace, moins que ce léger souffle de vent, mais lié au Cosmos.

 

J'entendis un bruit strident comme celui d'une pale d'hélicoptère qui tourne à une vitesse folle, accompagné d'une intense vibration de l'air. Je me précipitai vers la maison. Je constatai que plus je me rapprochai plus l'air opposait de résistance, plus la lumière devenait intense et affolée.

 

Lorsque j'entrai dans la maison l'air devint comme une eau qui coulait autour de moi. Arrivé au bord de la salle à manger je ne pus plus progresser. Une sorte de mur de verre s'opposait complètement au passage.

 

Sylvana au milieu de la pièce tenait notre enfant, qui lui passait les bras autour du cou, tandis que de l'autre elle soulevait d'une certaine façon le bijou qu'elle portait autour du cou, en le tournant d'un angle particulier.

 

Je compris alors. La lumière s’engouffrait par les trois extrémités du bijou et en ressortait en un tourbillon décomposé d'une grande violence. C'est ce tourbillon qui faisait pareil bruit. Le mouvement s'accélérait, devenant de plus en plus formidable.

 Bientôt ma femme et mon enfant furent au milieu d'une espèce de bulle d'air dans une mer déchaînée. Cette mer déchaînée était parcourue de lueurs ondulantes, de palpitations étincelantes, dans lesquelles vibraient des couleurs inconnues. J'emploie ces périphrases pour que l'on me comprenne. Mais ce n'est que l’expression imparfaite de la réalité. La terreur que j’éprouvais et la beauté du spectacle passent l'imagination.

 

Sylvana semblait possédée par un esprit supérieur et agir inconsciemment. Le bébé vivait déjà ailleurs.

 

Des parcelles d'Or volatiles se mirent à voler autour du sarcophage creux. Dans un dernier mouvement ils regardèrent en ma direction, elle esquissa un vague signe de la main.

 

L'Or sembla se liquéfier, puis se solidifier pour constituer une    paroi. Le sarcophage se mit à pivoter sur lui-même avec une grande vitesse. Je vis au travers d’une ouverture l'autre partie de l'espace où vivaient les hommes-plantes dans leurs cités étranges.

 

Elle disparut soudain au delà des portes d'Or en poussant un cri, que je ne pus entendre.

 

...................

Le Procureur de la République essuya ses lunettes avec un air pensif :

" Votre femme et votre enfant, que la rumeur publique vous accusait de séquestrer, disparaissent... Et vous inventez cette histoires d’enlèvement extraterrestre avec une foule de détails qui atteste j'en conviens d'une certaine richesse d'imagination, ou d'une bonne dose de folie.

 

Un seul témoin pourrait arguer de la justesse d'une partie de vos dires: le Docteur Lebreton. Il est mort il y a quelques jours, écrasé par une automobile. La police a tout lieu de croire qu'il ne s'agit pas d'un accident mais d'un homicide volontaire pour se débarrasser de lui.

 

Cependant nous ne nous expliquons pas certaines choses. Il a bien existé une Sylvana Grumbach ayant exactement le même physique, le même âge que ceux de votre épouse disparue, et correspondant trait pour trait aux photos d'identité que vous avez en votre

possession. Sylvana Grumbach est bien hôtesse de l'air; mais elle est morte dans un accident d'avion en Amérique du Sud il y a deux ans. Le Boeing 747 s'est écrasé pour des raisons restées inexpliquées sur la Cordillère des Andes. Les restes de la jeune fille ont été formellement identifiés. Le jeune homme blond qui ne vous connaît pas mais existe bien, c'est son frère ! Pour lui il ne fait aucun doute qu'elle soit réellement morte.

 

Cependant la Sylvana " ressuscitée " ne semble pas exactement être Sylvana. C'est en quelque sorte une copie trop parfaite, de la " fausse-monnaie " . .

 

Vous pouvez rentrer chez vous. Mais vous ne devrez point vous éloigner de la localité sans accord de la Police. Il y a une certaine Mlle Carole qui téléphone plusieurs fois par jour pour demander de vos nouvelles... Vous devriez l'appeler. "

 

Le Procureur de la République me fit une grimace qui pouvait paraître un témoignage de sympathie dans sa fonction.

 

Méfiez-vous, vous hommes incrédules qui lirez ma confession, des femmes séduisantes qui n'aiment pas la salade !

Elles risquent de vous entraîner dans des aventures bien embarrassantes !

 

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Une autre chose me surprit de Sylvana : sa curiosité insatiable sur tout ce qui touchait au nucléaire en général, et à mes travaux en particulier. Certes cela pouvait passer pour l'intérêt qu'une épouse attentionnée porte au métier de son mari, et je ne pouvais que l'en louer. Mais l'étendue de ses connaissances était digne d'une spécialiste confirmée, et non d'une ancienne hôtesse de l'air même abreuvée de lectures de vulgarisation. Elle répondi t tranquillement.

 

" Tu ne te souviens pas ? J'ai toujours été fascinée par le sujet. " Elle sourit rêveusement. " C'est en partie à cause de cela que tu me séduisis. Tes conversations sur la matière, les étoiles, le cosmos... me passionnaient littéralement... Tu le savais bien, et tu en profitais un peu avoue le. Tu ne te plaignais pas alors de ma soif de connaissances, lorsque tu m'attirais dans ta chambre sous le fallacieux prétexte de poursuivre une discussion. Tu ne détestais pas non plus fouiller sous mes jupes et mon corsage à la recherche d'atomes perdus ... "

 

 

Plusieurs fois je la vis même examiner mes papiers alors qu'ils étaient disséminés sur le bureau : elle les lisait comme si son oeil les photographiait. Lorsque je lui demandais quelque explication elle me répondait qu'elle remettait de l'ordre dans ce fouillis. Au cours de toute discussion elle gardait  un calme étonnant, comme si elle était insensible.

 

L'illumination de la connaissance me frappa d'un coup, alors qu'elle était partie à Paris pour je ne sais quel spectacle de ballet noir dont parlait le journal local. Peut-être qu'en réalité elle allait rejoindre le beau jeune homme blond. Mais je ne lui demandai rien à ce sujet...

 

 

Je profitai de son absence pour me préparer amoureusement de la salade dont je raffolais. D'autant plus qu'elle était fraîche cueillie du jardin. En sentant la feuille de laitue craquer sous ma dent, je murmurai ce que je cherchais avec obstination depuis longtemps, et que je devinais presque sans y parvenir tout à fait.

 

" Mais c'est une plante !" Elle en avait toutes les caractéristiques, la consistance, le parfum, l'insensibilité, et son amour de la terre, si nécessaire à son développement.

 

" J'étais amoureux d'une femme-salade ! "

 

 

J'étais ébloui de la découverte et atterré de ce qu'elle comportait.

 

Je compris enfin le pourquoi de Sylvana. Sylva, Sylvae : la forêt. Elle était du peuple des forêts. Elle était une plante.

 

Je décidai de la faire passer aux aveux pour confirmer mes soupçons. A cet effet avant son retour, je débarrassai un réduit, où nous avions coutume d'entasser des réserves. Celui-ci était muni d'une solide porte avec un verrou qu'il était impossible d'ouvrir de l'intérieur. Seul un étroit soupirail laissait passer un peu d'air. Aucune lumière qui filtrait, aucun robinet d'eau à l'intérieur du local.

 

Lorsqu'elle rentra avec un sourire lumineux et une bise retentissante, je lui déclarai que j'allais lui montrer quelque chose d'extraordinaire. Je l'attirai dans le cellier. Sans se méfier elle me suivit. Lorsqu'elle fut â l'intérieur je refermai le piège.

 

Elle réalisa tout de suite mon intention.

 

J'eus un peu honte de moi. Elle me fit savoir d'ailleurs d'un ton à fendre le coeur le plus rude que j'avais trahi sa confiance, et qu'elle ne me pardonnerait pas. Je dus résister pour ne point la libérer de suite.

" Que veux-tu de moi ?" implora-t-elle.

" Que tu m'avoues la vérité ! Qui tu es, d'où tu viens, ce que tu es venue faire ici, qu'espères-tu connaître de moi et de ce lieu ? Pourquoi t'intéresses tu tant aux problèmes nucléaires, pourquoi ma as-tu choisi, moi et non pas un autre pour feindre d'être mon mari ? En un mot je veux tout savoir de toi.

 

 

" Je t'ai dit la vérité. Tu as tout oublié !" Et voyant que je ne la croyais pas elle ajouta: " Je n’ai pas le droit de te rien dire... Si non je serais punie, je crèverais. As-tu envie que je crève ? »

 

Non je n'en avais point envie et elle le savait bien. Mais je ne céderais point !

 

« Je reviendrai quand tu auras décidé de parler. En attendant tu n'auras ni lumière, ni nourriture, ni air en quantité. ''

 

Et je partis en la laissant là, dans un coin comme une vulgaire légumineuse.

 

Plusieurs fois par jour je jetais un coup d'oeil au travers d'une petite ouverture de la porte. Elle me voyait sans doute mais ne m'adressait pas une parole. Je repartais dépité, et souffrant pour elle.

 

Elle changeait littéralement d'heure en heure. D'abord ses couleurs l'abandonnèrent, sa peau se flétrit et devint verdâtre. Elle se desséchait, se recroquevillait, réellement comme feuille â l'automne.

 

Et son air de plus en plus désolé de plus en plus farouchement résigné. " De l’eau, de l’eau. « geignait-elle d'une voix déchirante. Bientôt elle n'eût même plus la force de réclamer. Elle se contentait ­lorsqu'elle entendait mes pas de regarder vers la porte avec un air de muet reproche.

 

Une odeur d'herbe en décomposition montait du petit tas qu’elle se  mettait à constituer dans un coin. Ses cheveux naguère flamboyants devenaient fourchus, et s'en allaient par poignées lorsqu'elle les disciplinait d'une main rageuse.

Je me fis l'effet d'un bourreau, mais je restai ferme et résolu.

 

Enfin un après-midi alors que je la contemplais en piteux état. Un mince filet sortit de sa bouche :" je parlerai... " crus-je comprendre. J'entrai, laissant passer un rai de lumière. Elle était presque entièrement brûlée par endroits. Je décidai de ne point la toucher de crainte de la briser en mille morceaux.

 

Je pensai qu'il serait sage de procéder progressivement comme je savais que font les médecins auprès d'un homme égaré dans le désert resté longtemps sans boire. L'absorption de boissons en trop grande quantité à la fois le tuerait aussi sûrement qu'un coup- de fusil.

 

Je me demandai si je n'étais pas allé au-delà de la limite ne pas dépasser pour la ramener à la vie. Si elle devait mourir je ne pourrais me consoler de sa perte et de mon acte.

 

Tout cela pour lui faire raconter une histoire qui m'intéressait,...

 

Je poussai tout grand l'huis qui donnait sur un couloir assez sombre, de façon à ce qu'une trop grande lumière ne vint point 1'éblouir, mais qu'il y en eut tout de même. J'ouvris une fenêtre du couloir pour, que l'air vint baigner la cellule.

J’apportai de l'eau dans un récipient. J'en versai une partie dans ce qui restait de son gosier, et répandit quelques gouttes sur les parties encore vivantes de son épiderme. Je répétais cette opération toutes les deux ou trois heures.

 

Son organisme semblait absorber avidement l’eau. La régénération se faisait, peu à peu la sensibilité revenait. La forme de son corps se reconstituait grossièrement, évoquant le souvenir de ce qui avait été merveilleux. Ses yeux encore brouillés s'ouvraient cependant et me regardaient fixement.

 

Sa bouche devenait de plus en plus avide d'eau, comme celle d'un jeune chiot. Je devais la réfréner.

 

La vie semblait s'épandre en elle comme une onde. Les parties flétries et sèches tombaient d’elles-mêmes et étaient remplacées par des peaux nouvelles.

 

 

Lorsque je la trouvai assez forte pour pouvoir la prendre dans mes bras sans risquer de la casser, je la portai dans la salle de bains dont j'avais ouvert toute grande la petite fenêtre.

 

A l'eau j’avais mélangé de la terre et des produits nourriciers comme je l'avais vu faire par elle et dont j'avais maintenant compris l'usage. Son visage s'éclaira à cette vue. Je la laissai après l'avoir délicatement posée dans la baignoire comme une fleur rare dans un vase. Et j'aimais cette orchidée venue de quel jardin bizarre.... Je l’entendis s'ébrouer comme un jeune phoque.

 

A ses côtés, sur une étagère, j'avais placé un petit sacret de plastique transparent, ou j’avais enfermé mouches et scarabées. Elle avait appréciée le geste telle une jeune convalescente à qui l'on offre un paquet de bonbons.

 

Elle resta ainsi près d'une journée dans son bain. D'elle-même lorsqu' elle se trouva assez ragaillardie, elle alla me rejoindre vers 1a piscine où je lisais un livre au soleil. Ironie du sort il s'agissait d'un livre de science-fiction.

 

Elle plongea comme attirée par une sorte d’avidité particulière pour l'élément liquide, très différente de celle que  peut éprouver un être humain. Encore que dans cet élément il retrouve et l'existence du foetus au sein de sa mère, et son origine de la mer.

 

Elle resta un moment très long sous la surface. Elle n'était pas obligée comme nous le sommes de remonter de temps en temps pour respirer. Puis elle en sortit, se mit dans les positions les plus curieuses sous le soleil et me narra son aventure. Fréquemment elle retournait dans 1' eau, pour s'y agiter remplie de bonheur, et s'en imprégner.

 

 

" Mon ami, saches bien que j'aurais pu m'échapper très facilement. Je ne l'ai pas voulu... parce que, comment te dire, j'ai de la tendresse pour toi. " Elle me regardait avec gêne.

 

" Je deviens un peu terrienne, peut-être. Nous ignorons ce que vous appelez les sentiments qui sont sans doute de grossiers traits animaux. Nous sommes plus délicats, plus sensitifs, mais complètement insensibles à certaines choses.

 

" Lorsque nous avons des attirances les uns pour les autres c'est parce que nous aimons nos odeurs, nos formes, notre texture de peau ou de feuille, comme tu voudras. Alors nous nous enveloppons l'un 1'autre en nous touchant, en nous respirant. Rien â voir avec votre rut de bête féroce se précipitant pour dévorer sa proie en poussant des cris de satisfaction. "

 

Je souriais : jamais je ne l’avais vue si volubile, particulièrement sur ces sujets qu’elle abordait en aucune occasion.

 

Elle se laissait faire, un point c’est tout.

 

Elle poursuivit, amusée elle aussi, car au fond notre histoire était drôle : « Tu voulais savoir, tu sauras tout, enfin presque tout.. . La première question que tu te poses sans doute, c'est d'ou je viens ? »

 

J'opinai de la tête. C'est bien en effet ce que je me demandais depuis le début. Cette origine de Sylvana, dans mon idée devant éclairer tout le reste, et me rassurer sur le fait que je n'étais point fou.

 

Elle se dressa, s'étira au soleil, faisant jouer sa chair comme une étoffe rare et poursuivit: " Je viens d'ici... "

 

Je me rendis compte qu'elle ne me mentait pas. " Tu veux dire de la terre ? " -

Elle ne semblait pas mécontente de m'intriguer. « Non, tu es lourdaud pour un scientifique. Je veux dire du même endroit de l'espace. Je suis d'ici et d'ailleurs aussi. Je suis d'un monde parallèle si tu veux. Les habitants de ma « planète » peuvent se promener au même endroit sans vous gêner. Ils se promènent dans une autre dimension.

 

«   Est-ce possible ?" murmurais-je. "Ça l'est ! »

 

« Qui suis-je ? » Une sorte d'espionne, envoyée pour vous observer, et particulièrement chargée de surveiller vos travaux au sujet de la matière et du nucléaire. Nous ne sommes pas sûrs que si vous faites sauter votre planète, et vous avez suffisamment d'obstination pour y parvenir assez rapidement, que nous n'en subissions pas un certain contrecoup , lequel nous ne s’avons pas.

 

" Pourquoi t'avoir choisi TOI ?" Tu te dis dans ta petite tête un peu fate que c'est parce que je t'ai trouvé particulièrement, séduisant. Ce n'est pas moi qui ai décidé, c'est le grand ordinateur central. Tu étais célibataire et un assez bon scientifique avec quelque avenir. On pouvait te fournir une femme, et tu pouvais nous être d'une grande utilité. »

« - Ça aurait pu ne pas marcher ? »

« -  En effet, mais c'était un risque à courir. Nous nous intéressions à toi depuis assez de temps pour savoir que tu étais suffisamment romantique, pour entrer dans notre jeu, et que nous te tenions. Ton histoire pour tes frères humains est plus invraisemblable que celle que je racontais.

 

« - Vous pouvez passer d'une autre dimension de l'espace â la nôtre ? »

« - Oui, nous le pouvons. Que veux-tu encore savoir de moi ? »

« - Est-ce que vous vivez â la même époque que nous ? »

« - La notion d'époque et de temps n'est pas la même pour vous et pour nous. D'ailleurs je suis une plante ne l'oublies pas. »

« quel âge crois-tu que j’aie ? Cinq ans à` ta mesure. Il n'est d'ailleurs pas très moral de ta part de coucher régulièrement avec une fille de cinq ans ,je pourrais te faire un procès, sais-tu ? 

 

Je n'ai d'ailleurs plus que trois ans à vivre, aussi ne te fais pas trop d'illusions sur durée de ce que vous appelleriez " notre amour ". Avant trois ans je serai crevée. Cependant si le grand ordinateur central le juge utile, il saura recréer dans les serres une exacte réplique de moi-même. Mais ce ne sera pas moi. « 

 

Voyant mon air surpris, elle poursuivit : « mon histoire ne te semble peut-être pas très claire autant que je commence par le début. " Il n'existait sur notre planète à la suite de diverses guerres de conquête plus que deux états. Appelons les Alpha et Oméga. Ils s’entredévoraient mutuellement. Chacun des deux dictateurs voulait imposer sa loi à

l'autre.

 

A1pha on avait prévu que la race, fort semblable, à ce que je crois a la race terrienne aujourd'hui, mais beaucoup plus avancée scientifiquement, pouvait être détruite par une catastrophe nucléaire.

 

"Aussi dans une ville souterraine, à des kilomètres sous terre, on avait emmagasiné dans un superordinateur toutes les connaissances du temps et les programmes génétiques de tous les individus. Avant la grande destruction qu'il pressentait comme imminente, le Frère-Président envoya le message codé en direction du grand ordinateur. Aussitôt toutes les issues de la forteresse furent fermées automatiquement. Le système était étudié pour pouvoir fonctionner sur 1ui-même de manière complètement autonome. Il était  étudié aussi pour pouvoir se défendre seul contre n’importe quelle agression extérieure, et même pour ne laisser pénétrer personne restant ainsi à l'abri de toute contamination.

 

" Et dans des bains liquides, sous de vastes serres éclairées à la lumière artificielle, le Grand Ordinateur commença à créer avec ses codes génétiques la -première' race de plantes pensantes. Les savants avaient en effet la conviction que des plantes seraient plus à même de vivre dans les nouvelles conditions et peut-être de s’adapter aux radiations mortelles pour l'animal.

 

Mais aujourd'hui encore nous ne quittons guère notre environnement protecteur, soit que nous habitions sous terre, soit sous de vastes constructions de verre. Tu as vu ces sortes de bulles dans ce que tu prenais pour une émission de télévision et qui était en fait l'exacte reproduction de ce qui se passait sur un endroit de notre planète. Tu t'en doutais un peu.

 

Les descendants des  anciens habitants n'ont pas complètement disparu : On sait que le foetus de 1 être humain dans le ventre de sa mère passe du stade, du poisson, du saurien, du félin, avant de passer à celui de singe. Mais sous l'effet de l'explosion et des radiations nucléaires le processus complet a été perturbé. Aussi les descendants des anciens habitants sont-ils des poissons, des félins, des singes mais sous des formes particulièrement monstrueuses et dégénérées.

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LA FEMME QUI VENAIT D’AILLEURS

 

L'idée du miroir lui vint un jour qu'il avait donné à Alice une orange et lui avait demandé de quelle main elle la tenait.

- Dans ma main droite, répondit Alice.

- Regardez maintenant cette petite fille dans la glace et dites-moi dans quelle main elle tient l’orange ?

- Dans sa main gauche.

- Et comment expliquez-vous cela ?

- Elle réfléchit un instant, puis répondit

- Si je pouvais passer de l'autre côté du miroir est-ce que je n'aurais pas toujours l'orange dans ma main droite ?

 

Préface d' «  Alice aux pays des merveilles »  Editions Marabout.

 

LA FEMME QUI VENAIT D’AILLEURS

Chapitre 1er

 

C'était un petit temps comme je les aime. Nous étions en Mai et l'air était doux. Des nuages gris-blancs, en formation cotonneuse défilaient poussés par un vent vif. Je me sentis baigner par une vie pleine d'attraits et aller au devant de plaisirs, charmants. Ma peau vibrait de tous ses éléments et dans toute sa profondeur.

 

J'avais vingt-trois ans et je venais de terminer mes études d'ingénieur. J'étais sorti de l'école avec un très bon rang. Aujourd'hui je venais prendre un emploi, mon premier emploi au Centre de recherches nucléaires de Pavel. J'avais encore en poche la lettre très aimable du directeur scientifique me déclarant que l'équipe travaillant sur les corpuscules atomiques serait très heureuse d'accueillir un nouveau collaborateur, l'ensemble de la communauté des chercheurs également. Je connaissais par coeur les termes mêmes de cette lettre, tant je l'avais relue de fois.

 

Le destin me souriait... Ma mère devait être fière de moi, là-bas dans son petit appartement, propre et sentant bon la cire, d'un quartier populaire de la banlieue parisienne. Elle avait peiné: durement après le décès de mon père, mort encore jeune, pour m'élever et me permettre de poursuivre mes études. Elle s'était privée elle-même du nécessaire pour que je ne fasse pas trop piètre figure auprès de mes camarades mieux nantis.

 

Enfin,-je m'en étais sorti et allais commencer â exister...

 

De plus j'avais fait la rencontre de Carole, une jeune chimiste, au bal de la promo et mon coeur battait à la pensée qu'elle devait me téléphoner dès que je serais arrivé.. Je revoyais son très joli. Profil mutin, rehaussé par son blond chignon un tantinet austère.

 

J'appréciais beaucoup son sens de l'humour un peu particulier légèrement désabusé. Et l'air soigné qu'elle donnait à sa mise et son apparence physique, et la distance légèrement ennuyée qu'elle mettait entre elle et les autres gens. Cette distance avec moi était plus petite et ne demandait qu'à fondre. Ça se lisait dans les lueurs chaudes de ses yeux marron.

 

Les massifs de la petite gare frissonnaient longuement.

Quelques proches attendaient â la descente du train des voyageurs. Ils se congratulaient mutuellement avec force sourire. Personne ne devait être 1à pour moi, car on ignorait l'heure exacte de mon arrivée.

 

Je l'avais fait un peu exprès, car je détestais plus que toutes les mondanités, les accueils, les retrouvailles et les départs.

 

A l'écart de tout ce mouvement, étrangement calme, une femme blonde qui semblait chercher quelqu'un avec quelque hésitation. Elle n'était sans doute pas du pays.

Sa toilette stricte d'une élégance un peu désuète détonnait sur celle de ces gens simples.

 

Elle me remarqua, parut soudain me reconnaître et se précipita vers moi avec un sourire radieux que je trouvai truqué. A ma profonde surprise, elle se jeta dans mes bras comme si-nous ne nous étions pas vus depuis bien longtemps et que nos relations eussent été bien intimes. Avec une effusion un peu forcée elle se serra contre moi et m'embrassa.

 

Je ressentis une sensation inhabituelle au contact de sa peau. De plus celle-ci exhalait un parfum-singulier, pareil à celui des fougères des sous-bois. Très naturellement l'inconnue me prit le bras, me demandant de mes nouvelles, tout en riant à gorge déployée, d'une façon un peu nerveuse.

 

J'aurais dû arrêter net ses tentatives. Je ne le fis pas, ne 1'osant pas et voulant voir jusqu'où elle irait. Au fond cette aventure soudaine m'intriguait et me plaisait assez. Moi qui aimait le mystère et à qui il n'était jamais rien arrivé que de très normal...

 

 

Je déclarai que je devais aller chercher les clefs de l'habitation au Centre de Recherches. Elle me répondit tranquillement qu'elle les avait déjà en sa possession. Je protestais.

« -Mais enfin, je suis ta femme !" poursuiva t’elle vivement.

J'étais suffoqué. Jamais, au grand jamais, je n'avais été marié.

« - En es-tu sûre au moins ?".

« - Parfaitement sûre ! Ce sont des choses qui ne s'oublient pas si facilement !

 

Elle se mit presque en colère. " N'as-tu pas rencontré quelqu'un d'autre ? Ne cherches-tu pas à te débarrasser de moi ? De toute façon tu n'as pas intérêt à raconter cela à Pavel ; on ne te croirait pas. J'ai été me présenter comme ton épouse au Directeur du Centre. "

 

Effectivement je me trouvais coincé. Si j'allais dire que je ne connaissais pas ma femme, je n'impressionnerais guère en ma faveur mon nouveau patron ! Et j'avais besoin de réussir en ce poste. C'était la concrétisation de l'espoir de tant d'années pour moi et ma mère !

 

Toute cette affaire sentait le coup monté. S'agissait-il d'une sorte de bizutage particulier de mes compagnons de laboratoire se livrant à des travaux austères et désireux de temps en temps de s'en délivrer ? Alors le dernier arrivant en faisait les frais...

 

 

Jouons le jeu... Elle était extrêmement jolie. Nous verrions bien au moment où elle aurait à remplir ses"devoirs conjugaux » si elle se considérait encore comme mon épouse. Elle devait être un bien joli livre de voyages à parcourir.

 

Elle me fit visiter toutes les pièces de cette maison avec une grande assurance. Elle les connaissait parfaitement dans leurs moindres détails.

'' - Depuis quand te trouves-tu ici ?" demandais-je.

"- Depuis lundi. " répondit-elle en feignant la surprise,

" Comme nous en avions convenu. Tu as déjà, oublié. Décidément tu oublies beaucoup de choses ! Ne te serais-tu pas surmené un petit peu ces temps-ci ?" ajouta-t-elle affectueusement.

 

Je ne savais plus que penser. Il est vrai que j'avais beaucoup travaillé pour obtenir ces examens depuis des années. Il n'était pas impossible que cela eut influé sur mon comportement mental.

 

 

Après minuscule chambre d'étudiant sous les combles, la petite villa me sembla presque le château du Marquis de Carabas. " C'est gentil ici " me dit-elle. C'était en effet très gentil, meublé avec goût par le Centre de Recherches pour ses ingénieurs, pour qu'ils ne manquassent de rien.

 

Je pourrais enfin me consacrer à mes travaux dans d'excellentes conditions. Essayer de traquer la matière dans ses derniers retranchements c'est à` dire peut-être parvenir à comprendre les mystères de la création. Le but de ma destinée... comprendre le pourquoi et la cause du Grand Tout. Trouver la serrure sacrée.

 

Mais elle, J'y songeais soudain, elle n'était pas prévue dans le déroulement si bien organisé de mon existence. Je n'étais plus très sûr du canular. Comment m'en débarrasserais-je plus tard si je voulais m'en débarrasser ?

 

Je m’enquis de son nom. Elle me déclara avec ironie s'appeler Sylvana, ce qui me rappelait quelque chose, je ne savais trop quoi et me sembla bien convenir à sa personnalité, je ne sus pourquoi.

 

Je nous revois encore buvant un verre pour inaugurer ma nouvelle vie, notre nouvelle vie devrais-je dire plus exactement. Elle m'avait servi mon cocktail favori en tirant du réfrigérateur déjà, garni les liquides que j'aimais en les mêlant dans des proportions adéquates comme un barman de grand hôtel. Mais elle ne m'avait pas demandé ce que je désirais prendre... Elle le savait.

 

Comme je m'étonnais elle me rétorqua :" On ne cohabite pas avec quelqu'un plusieurs années sans connaître ses goûts... et même ses vices... " ajouta-t-elle avec un petit sourire.

 

J'étais assis dans le fauteuil de cuir, la soumettant  une sorte d'interrogatoire souriant, sous un faux air de conversation banale.

Je lui demandai à quelle occasion je l'avais rencontré pour la première fois. Elle me répondit que c'était sur le vol Paris-­Lisbonne d'une compagnie charter, il y avait deux ans de cela.

Elle y était hôtesse de l'air. " Ce fut le coup de foudre réciproque, mon chéri  poursuivit-elle, Il et nous décidâmes de nous marier peu après bien que tu n'avais pas terminé tes études et que cela risquait de poser des problèmes. Et je continuais mon métier d'hôtesse pour subvenir aux besoins du ménage, car ta mère ne pouvait, comme tu le sais, beaucoup t'aider. "

 

« Aussi il ne serait pas chic de me larguer aujourd'hui, alors que j'ai quitté mon métier pour te suivre dans ce trou. »

 

Et elle appuyait sur le mot trou avec une nuance de dégoût aristocratique.

Je notai que si elle employait des expressions populaires, voir argotiques, c'était toujours avec une petite pointe d'accent précieux. Et que dans l’ensemble son vocabulaire et sa syntaxe étaient un peu surannés ; comme le français que parlent le p1us souvent les étrangers, appris dans les écoles, même lorsque la fréquentation des bars et des étudiants a mêlé  à l’or pur de leur langage quelques scories.

 

Elle était incollable sur tout ce que je pouvais lui demander ­sur les événements concernant ma vie, même à la limite les plus anodins, et ne présentant que de l'intérêt pour moi. Elle y répondait de bonne grâce et avec un air un peu amusé, se doutant bien que j'essayais de la prendre en défaut.

 

Elle savait par exemple qu'enfant j'étais tombé en jouant au football et qu'il m'en restait une marque au genou. Au travers du pantalon elle me posa exactement la main à l'endroit de l'ancienne blessure. Cela 1e fit un peu mal lorsqu'elle appuya. C'était extraordinaire réellement, si elle n'était pas ma femme, cette connaissance intime de ma personne.

 

C'est sans réticence aucune qu'elle se rendit dans la chambre, se déshabilla par petits gestes précis devant moi, et se laissa faire l'amour. " Se laissa faire l’amour"est une expression juste, car elle n'y prit de sa part que fort peu d'activité, se contentant de se pelotonner contre moi et de pousser de petits cris de comédienne. En réalité elle semblait penser à autre chose ou à rien. Quoique de je me fus soigneusement lavé avant de me mettre au lit, elle trouvait mon odeur particulièrement forte et faisait effort pour ne point détourner son nez offusqué de moi.

 

Je remarquai sous ma langue et mes dents que sa chair n'avait pas exactement la consistance d’une- chair, mais était plus lisse et plus craquante, si je puis dire. Je notai aussi de nouveau cet étrange parfum de sous-bois qu'elle dégageait. Je n'avais jamais respiré de senteur de cette nature jusqu'alors. Il me sembla qu’il_ venait de la peau elle-même et non point d'un quelconque produit vendu en flacon. Le respirer vous faisait pénétrer dans un monde étrange et vous donnait d'autres idées que celles que vous aviez ordinairement.

 

Après ces exercices je me demandai quel être inconnu reposait, si placidement â mes côtés... Jamais je ne vis femme plus belle, ni mieux faite, comme si elle était sortie d'un moule aux formes et aux proportions parfaites...

 

Apparemment nous menions la vie d'un couple uni. Souvent elle venait m'attendre à la sortie du laboratoire. Mes compagnons de travail crevaient de jalousie, et cela ne me déplaisait pas, de voir si ravissante femme me sauter au cou, avec un sourire éblouissant un peu comme celui que l'on voit sur les affiches vantant les mérites d'un dentifrice. C'était moins pour sourire que pour montrer ses dents qu'elle avait fort belles et régulières. Celles-ci semblaient dures comme le diamant, comme neuves poussées de la veille. Mais il s'agissait de vraies dents, je le précise, et non d'une quelconque prothèse même merveilleusement réussie.

 

Sans trop en avoir l'air, je la surveillais attendant qu'elle se trahisse; ce n'était point si aisé.

 

Une fois même Je fouillai dans son sac à main. Il me répugnait assez de devoir utiliser semblable méthode. Multiples objets que l'on trouve ordinairement dans le sac à main d'une femme. Je découvris ses papiers dans un petit porte-carte. La carte d'identité précisait son nom évidement, qui s'avérait être le mien,-son prénom Sylvana, son nom de jeune fille et sa date de naissance. La photographie était bien la sienne, et selon toute probabilité avait été mise lors de la confection de la pièce. Le tampon sec de la Préfecture recouvrait parfaitement et le carton et la photographie. Seule une suspicion débordante pouvait faire douter qu'il ne s'agissait pas là d'un document sincère.

 

Il y avait aussi une carte d'hôtesse de l'air un peu défraîchie, sur laquelle elle apparaissait avec un charmant couvre-chef et un sourire commandé. . Le nom était bien le même que celui de jeune fille de la carte d'identité. On trouvait encore un vieux ticket de métro, un billet d'un cinéma du quartier latin où j'allais parfois... et la photographie d'un très beau jeune homme que je ne connaissais pas... lui. Cela pouvait très bien s'expliquer qu'elle n’ait pas jugé utile de me le présenter.

 

Bien sûr alors, j'aurais pu abandonner mes recherches, estimer que j'avais été amnésique, et tenter de reconstituer mon passé sous la version qu'elle me présentait et qui offrait toutes les apparences de la cohérence. Mais cela m'intriguait trop, et je ne pouvais accepter de douter de mon intégrité mentale. Puis il y avait quand même quelque chose qui ne me semblait pas coller tout â fait, un léger défaut dans le coup de pinceau du paysage par l'artiste, un bruit de fêlé dans le cristal lorsqu'il tinte.

 

Je constatai qu'elle avait des habitudes alimentaires très bizarres. Elle n'avait jamais faim à l'heure des repas, prétextant qu'elle avait déjà mangé précédemment. Les végétaux ne figuraient jamais à son ordinaire. Elle ne m'en cuisait pas et ne voulait pas que je m'en cuise devant elle. La vue même de légumes reposant sur un plat, à plus forte raison coupés, la rendait quasiment folle.

 

Par contre je la surpris une fois en train de croquer avec délices des mouches qu'elle avait attrapées. Ce1à me parut très répugnant, mais elle le faisait avec la grâce d'une petite fille.

 

Un de mes collègues de travail avec lequel je m'étais lié d'amitié, me signala que l'on jasait beaucoup autour de lui sur le fait qu'elle avait l'habitude de se promener nue dans le jardin­et qu'on la voyait du dehors, par-dessus les haies. Pour sa part il ne s'en plaignait pas. Il est vrai qu'il lui semblait naturel d'être nue, et qu'elle n'enfilait qu'avec difficulté ses vêtements qui d'ailleurs étaient la plupart du temps très légers. Mais il n'y avait là-dedans aucune effronterie, ni provocation.

 

Souvent lorsque le soleil était assez fort, elle adorait s'exposer longuement à ses rayons avec ravissement. Son corps semblait se nourrir de sa lumière bénéfique et s'en régénérer. Sa magnifique masse de cheveux blonds, drus comme des crins soyeux, paraissait luire plus encore, comme éclairée par une lueur interne.

 

Je pensai qu'elle était d'un pays nordique où le soleil est rare et la communion avec la nature très grande.

 

Un jour que je rentrai volontairement à l'improviste, je la trouvai plongée voluptueusement dans un bain bourbeux. Elle me déclara sans trouble, qu'il s'agissait d'un traitement de beauté qui lui avait été conseil1é par une de ses amies. Et que cela lui réussissait fort bien. Je ne pus qu'en convenir. Mais j'avais l'impression qu'il s'agissait en réalité de terres, et d’engrais destinés aux plantes qu'elle avait dissous dans l'eau. D'ailleurs e1le avait une grande attirance pour les contacts physiques avec la terre, même boueuse. Elle aimait à, s'y vautrer, ou s'y plonger les pieds. Elle me proposait même de faire comme elle.

 

Dans le fil de mon discours j'ai omis de parler du bijou qu'elle portait, autour du cou. Pourtant c'est l'une des premières choses d'elle qui m'avait frappé. Elle ne s'en départait sous aucun prétexte n'aimait guère que je le touche.

 

Je n'avais jamais vu de pareil bijou, même à la vitrine des grands bijoutiers parisiens. Sa forme était curieuse et rare. Une sorte de T dont la branche supérieure était légèrement arrondie. A chacune des trois extrémités un diamant d'une brillance extraordinaire taillé en facettes faisait jouer la lumière. L'objet paraissant creux, constitué d'un métal qui ressemblait au platine, et ne devait être d'aucun métal terrestre de ma connaissance. J'avais quand même étudié assez sérieusement la géologie à l'école. Et c'était peut-être la matière dans laquelle j'étais le plus doué. A mes nombreuses questions elle répondait qu'il s'agissait d'un objet magique, d'une sorte d'outil et pas du tout d'une parure, quoiqu'il reposait joliment au creux de ses seins, illuminant de leurs éclats ses chairs légèrement ambrées où j'aimais à poser ma main.

 

Je pardonnais de plus en plus à ses fantaisies, car j'étais de plus en plus amoureux d'elle, envoûté progressivement par l'atmosphère qui l’environnait, comme par celle que l’on respire dans l’ombre d'une plante vénéneuse.

Parfois nous voyons de ces êtres hideux se cogner aux verres et nous observer. Nous ne sommes pas surs que nous parviendrions toujours à les contenir.

 

" Que dire de nous ? Que nous menons une vie paisible » en harmonie avec les éléments. Pour venir ici j'ai du suivre une formation particulière. Nous n'usons point d'un langage parlé, échangeant directement nos idées et surtout ressentant des vibrations que vous ne sauriez capter. Nous ne nous reproduisons point par accouplement comme vous. Nous croissons d'abord dans des liquides jusqu'à ce que nous soyons suffisamment vigoureux. Alors la jeune pousse est confiée à un couple qui la prend en charge jusqu'à sa croissance complète.

 

Rien n'est plus touchant, et ça te toucherait toi-même que de voir deux plantes adultes serrées l'une contre l'autre, et pressant contre elles affectueusement une jeune plante qui se meut dans leur ombre.

 

Si on éprouve réellement beaucoup d'affection pour quelqu'un on peut toujours demander au Grand Ordinateur de confectionner un composé de vos deux codes génétiques. S’il accepte on obtient un croisement qui ressemble aux deux plantes parentes. Il y a même des filles qui se font faire une plante commune avec des personnages célèbres d'autrefois. C'est particulièrement fréquent chez certaines étudiantes en lettres qui évitant tout à fait la fréquentation des autres vivent dans leurs rêves de la littérature ancienne avec leur rejeton issu d'elle-même et de leur auteur favori »

 

Elle changea soudain de ton :" Si j’évoque des images de maternité, c'est parce que j'attends un enfant de toi. Il faut bien appeler cela ainsi. »

 

J'étais stupéfait. Elle poursuivit :" Nous disposons certes de tous les organes nécessaires. Mais l’acte sexuel nous est interdit. Si il arrive cependant que deux plantes décident de copuler entre elles ,mues par une trop grande attirance et curiosité, et qu'un fruit en résulté, le Grand Ordinateur les fait détruire avant l’accouchement, parents et enfants. Aussi nous n’avons pas l’expérience de ce qui pourrait arriver, à plus forte raison avec un être d'une autre espèce. "

 

Je décidai d'avoir un petit d'elle malgré que ce fût folie.

Si jamais elle me quittait, j'aurais un souvenir vivant d'e11e-même.

Elle aussi n'évoqua pas une fois la possibilité de mettre fin à sa grossesse. Et nous nous préparâmes à la venue de cet héritier de deux civilisations.

 

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La gestation semblait se passer très bien. Sa taille allait très naturellement en s'arrondissant, Et Sylvana n'en éprouvait aucune gêne particulière. Elle n'exprimait pas non plus quelque crainte. Mais je l'ai assez dit les problèmes psychologiques n'existaient guère pour elle. Encore que l'épisode douloureux de sa confession, et ce bébé à venir avaient changé quelque chose dans nos rapports les rendant plus proches.

 

Je décidai qu'elle accoucherait à la maison, même si cela pût paraître singulier à notre entourage, et, par la suite alimenter des soupçons. Elle pensait également que ce serait une sage solution.

 

Un de mes anciens amis exerçait la médecine dans la région parisienne. Je l'invitai sous prétexte de vacances, ce qui pouvait sembler plausible. Je ne lui dis pas ce qu'il en était de la nature de Sylvana. Mais il comprit rapidement dès qu'il la vit, et à plus forte raison lorsqu'il l'examina.

 

" Tu sais ce qu'elle est ?" me demanda-t-il. Tu aurais peut ­être dû t'adresser à un jardinier plutôt qu'à un médecin. " " Je n'ai jamais vu de chose plus extraordinaire " poursuivit-il, mais la mère jouit d'une vitalité de chêne, si je puis dire. Cela, se présente dans d'excellentes conditions "

 

I1 croyait que ma femme était une anomalie de la création, une sorte d'avatar de l'évolution. Je ne lui révélai point qu'elle venait d' " ailleurs ". C'était trop compliqué.

Il y avait une pointe d'humour dans la voix de mon ami lorsqu'il me préconisa pour elle un régime adapté à son cas: soleil, terre et vie au grand air. De plus il me recommanda d'éviter les contrariétés qui n'étaient pas sans influence sur les plantes d'après les travaux biologiques récents. Au fond il avait très bien pris ce1à...

.................................................................

 

Lorsque j'entendis le premier vagissement je me précipitai dans la chambre. Un splendide bébé parfaitement constitué commençait sa vie et se demandait ce qui lui arrivait. Sa mère le tenait dans ses bras avec tendresse. Ce n'est qu'avec hésitation qu'elle me le confia quelques instants, semblant craindre de moi, pour lui. Elle nous regarda tout deux avec une sympathie inquiète et contradictoire. Les grands yeux curieux du nouveau citoyen s'ouvraient pour la première fois. Il était fripé comme un vieux parchemin des bibliothèques du monde, sur lequel étaient dessinées des multitudes

de caractères. Je ne sus dire si j'étais heureux. Je me mis à craindre alors pour l'avenir.

 

C'est peu après la naissance que je remarquai le changement complet d'attitude de Sylvana. Elle devenait souvent absente, s'isolait seule avec le bébé de longues heures.

 

Un jour elle me murmura avec peine :" Ils me rappellent, ils veulent que je revienne... Ils ont peur que je tienne trop à toi, que je devienne comme vous, que je passe de votre côté... "

 

" Avec le bébé ?- Avec le bébé ! »

 

Alors je me mis à la surveiller presque nuit et jour, encore que je savais bien que je ne pourrais pas les empêcher de me l'enlever. Ils la contrôlaient toujours à distance, même si ils craignaient que ce ne soit pas suffisamment bien.

 

Malgré tout j'avais cet espoir fol de la garder, de la garder toujours. Je ne voulais pas qu'un beau jour elle disparaisse de ma vie aussi brusquement qu'elle y était entrée, par une déchirure de l'espace.

 

J'avais l'impression que les sollicitations qui l'appelaient ailleurs étaient de plus en plus fortes et qu'elles lui faisaient violence.

Je ne savais pas où cela allait se passer. Je n'avais aucune idée même de la façon dont ils procéderaient; ce qui accroissait la difficulté de ma tâche de gardien.

 

Je m’attendais à, une sorte de véhicule étrange dont la forme n'aurait rien â voir avec celle des véhicules connus. Elle avait toujours refusé de me renseigner à. ce sujet, arguant qu'il s’agissait d'un très grave secret dont la connaissance mettrait en péril leur communauté. Car si le chemin de cette planète à la nôtre était connu, il serait facile alors pour des chercheurs terriens de trouver le chemin inverse. Jamais non plus elle n'avait voulu me dire combien d'envoyés, comme elle, se trouvaient sur terre et quels étaient les travaux auxquels ils se consacraient. Une fois révélé ceci, ils seraient très vulnérables. On pourrait les débusquer avant que de les exterminer.

 

Elle ne me dévoila pas non plus les arcanes de leurs mathématiques bizarres, dont les dimensions, les courbes, et les formes n'avaient rien de commun avec les nôtres. Je crois qu'ils possédaient là l'intégration d'une bonne partie des données du monde. Cette clé nous manquait, et j'aurais bien aimé la donner aux hommes. Au fond je ne sais. Il est douteux qu'ils en auraient fait alors bon usage. Ils auraient cherché à perfectionner leurs armes de guerre pour mieux se détruire et détruire l'univers.

 

Sylvana a peut-être eu raison de disparaître sans me rien raconter de cela.

 

 

XXX

Je vais essayer de narrer aussi simplement que possible comment ils sont partis tous les deux avec des airs désolés, attirés par une force gigantesque. C’était par un après-midi ensoleillé comme on en voit en Provence dans les débuts de l'été.

 

J'étais allongé sous un arbre vénérable et odoriférant. Je suivais au travers de l'entrelacs des ramures dansantes les jeux amoureux de l'ombre et de la lumière.

 

L'existence m'apparaissait à la fois comme vaporeuse et signifiante. J’étais un esprit fugace, moins que ce léger souffle de vent, mais lié au Cosmos.

 

J'entendis un bruit strident comme celui d'une pale d'hélicoptère qui tourne à une vitesse folle, accompagné d'une intense vibration de l'air. Je me précipitai vers la maison. Je constatai que plus je me rapprochai plus l'air opposait de résistance, plus la lumière devenait intense et affolée.

 

Lorsque j'entrai dans la maison l'air devint comme une eau qui coulait autour de moi. Arrivé au bord de la salle à manger je ne pus plus progresser. Une sorte de mur de verre s'opposait complètement au passage.

 

Sylvana au milieu de la pièce tenait notre enfant, qui lui passait les bras autour du cou, tandis que de l'autre elle soulevait d'une certaine façon le bijou qu'elle portait autour du cou, en le tournant d'un angle particulier.

 

Je compris alors. La lumière s’engouffrait par les trois extrémités du bijou et en ressortait en un tourbillon décomposé d'une grande violence. C'est ce tourbillon qui faisait pareil bruit. Le mouvement s'accélérait, devenant de plus en plus formidable.

Bientôt ma femme et mon enfant furent au milieu d'une espèce de bulle d'air dans une mer déchaînée. Cette mer déchaînée était parcourue de lueurs ondulantes, de palpitations étincelantes, dans lesquelles vibraient des couleurs inconnues. J'emploie ces périphrases pour que l'on me comprenne. Mais ce n'est que l’expression imparfaite de la réalité. La terreur que j’éprouvais et la beauté du spectacle passent l'imagination.

 

Sylvana semblait possédée par un esprit supérieur et agir inconsciemment. Le bébé vivait déjà ailleurs.

 

Des parcelles d'Or volatiles se mirent à voler autour du sarcophage creux. Dans un dernier mouvement ils regardèrent en ma direction, elle esquissa un vague signe de la main.

 

L'Or sembla se liquéfier, puis se solidifier pour constituer une paroi. Le sarcophage se mit à pivoter sur lui-même avec une grande vitesse. Je vis au travers d’une ouverture l'autre partie de l'espace où vivaient les hommes-plantes dans leurs cités étranges.

 

Elle disparut soudain au delà des portes d'Or en poussant un cri, que je ne pus entendre.

 

...................

Le Procureur de la République essuya ses lunettes avec un air pensif :

" Votre femme et votre enfant, que la rumeur publique vous accusait de séquestrer, disparaissent... Et vous inventez cette histoires d’enlèvement extraterrestre avec une foule de détails qui atteste j'en conviens d'une certaine richesse d'imagination, ou d'une bonne dose de folie.

 

Un seul témoin pourrait arguer de la justesse d'une partie de vos dires: le Docteur Lebreton. Il est mort il y a quelques jours, écrasé par une automobile. La police a tout lieu de croire qu'il ne s'agit pas d'un accident mais d'un homicide volontaire pour se débarrasser de lui.

 

Cependant nous ne nous expliquons pas certaines choses. Il a bien existé une Sylvana Grumbach ayant exactement le même physique, le même âge que ceux de votre épouse disparue, et correspondant trait pour trait aux photos d'identité que vous avez en votre

possession. Sylvana Grumbach est bien hôtesse de l'air; mais elle est morte dans un accident d'avion en Amérique du Sud il y a deux ans. Le Boeing 747 s'est écrasé pour des raisons restées inexpliquées sur la Cordillère des Andes. Les restes de la jeune fille ont été formellement identifiés. Le jeune homme blond qui ne vous connaît pas mais existe bien, c'est son frère ! Pour lui il ne fait aucun doute qu'elle soit réellement morte.

 

Cependant la Sylvana " ressuscitée " ne semble pas exactement être Sylvana. C'est en quelque sorte une copie trop parfaite, de la " fausse-monnaie " . .

 

Vous pouvez rentrer chez vous. Mais vous ne devrez point vous éloigner de la localité sans accord de la Police. Il y a une certaine Mlle Carole qui téléphone plusieurs fois par jour pour demander de vos nouvelles... Vous devriez l'appeler. "

 

Le Procureur de la République me fit une grimace qui pouvait paraître un témoignage de sympathie dans sa fonction.

 

Méfiez-vous, vous hommes incrédules qui lirez ma confession, des femmes séduisantes qui n'aiment pas la salade !

Elles risquent de vous entraîner dans des aventures bien embarrassantes !

 

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Le Téméraire (7) "chez le gouverneur" (suite)

Le Téméraire (7) "chez le gouverneur" (suite)

La moitié des pirates qui sous le commandement de " Gueule d'Or " avaient mis à sac la Banque Royale d'Espagne apparaissaient comme lourdement chargé de paquets de replets auxquels ils portaient pourtant avec une apparente facilité.

 

" Contrairement à ce qu'en rapporte la physique " pensa Julien une livre d'or est moins lourde qu'une livre de fer ".

 

Comme convenu deux pirates des plus souples, se collant au mur dans la pénombre comme s'il s'agissait d'un mat poignardèrent les deux sentinelles qui ne poussèrent pas un cri. Puis lestement, ils les tirèrent dans un recoin. Peu après on vit ressurgir deux nouvelles sentinelles que les pirates goguenards semblèrent reconnaître comme étant es des leurs.

 

Sur un signe de Julien tous les pirates se précipitèrent par la grande porte sous l'oeil impavide des deux gardes. La voie était libre, et deux heures devaient encore se passer avant que les gardes fussent relevées. .

 

Ils montèrent le vaste escalier de marbre. La vue de tant de luxe constitué de tapis, de tableaux accrochés au mur confondait les pirates. Et ce n'est pas sans un certain respect craintif, les yeux admiratifs aux aguets, qu'ils foulaient le sol du palais.

 

"Quoi, tant de beauté et de richesse pour un seul homme " pensa Julien. " Alors qu'à ses côtés des milliers croupissent dans la plus noire misère ?

 

Julien après s'être dirigé sans erreur dans les couloirs comme s'il les avait déjà parcouru s'arrêta devant une porte basse bardée d'une lourde serrure, et, la désignant du doigt , il déclara : " Ce doit être ici" .

 

Un pirate expert dans l'Art de la serrurerie, dont il avait dû acquérir les finesses à l'école de la Cambriole, muni d'un énorme trousseau de clés, s'acharna avec des gestes méthodiques de chirurgien, par des tâtonnements de plus en plus précis à s'emparer  de l'âme le la serrure. Après quoi, celle-ci se rendit à lui sans violence.

 

Pendant ce temps Julien, envahi d'une grande émotion, pressentait plus même qu’il  ne savait qu’Isabella vivait, derrière la cloison, sans que rien, vraiment rien, ne puisse l’en avertir.

 

Dès que la porte s'ouvrit, il bondit comme  un dément â l'intérieur de la  chambre.

 

Assise sur son lit, éclairée par des chandelles, gracieusement vêtue, Isabella lui apparut telle qu'il la voyait dans son imagination, ravie et apeurée tout à la fois. Elle était  littéralement ravissante avec ses longs cheveux noirs et son fin visage aux proportions délicates. Un air mutin et espiègle le tout à la fois se jouait sur sa peau et dans ses yeux noirs passaient des reflets de minéraux rares et translucides.

 

Après un bref instant d'hésitation, elle se jeta dans ses bras; posant sa tête sur l'épaule de Julien, comme pour dissimuler son trouble.

 

- Je t'attendais, lui murmura-t-elle à l'oreille.

- Depuis combien de temps ?

- Depuis des siècles.

 

Et il ne doutât pas que ce fut vrai.

Tapant sur l’épaule de Julien " Gueule d’or " le ramena à une plus claire perception des circonstances.

 

"Partons avant que l'alerte ne soit donnée" dit Julien "

« - N'oublions pas de délivrer les prisonniers " prononça une voix anonyme.

En effet Julien n'y pensait déjà plus.

" Sais-tu ou ils se trouvent? Veux-tu nous aider`" demanda le Capitaine du " Téméraire" à la fille du Gouverneur.

" Ils sont en bas " dit-elle en pointant l'index vers le sol. Et elle ajouta: " Je t'aiderais à les délivrer. »

 

Le prenant par la main, elle le conduisit aux travers du dédale des couloirs et des escaliers, dans les sous-sols où par un passage on accédait directement à la prison.

Le serrurier de la, Flibuste eu encore une fois vite lait de vaincre ce nouveau mécanisme.

« Es tu un suppôt de Satan, Diable d’homme »  déclara quelqu’un.

 

Un groupe de pirate en éclaireur et réduisit  rapidement ­les quelques gardes somnolant qui se trouvaient être de service.

 

Julien était pendant  ce temps resté en arrière avec le gros de la troupe pour que ne soit point exposé Isabella qu'il avait rejoint avec tant de  peine.

 

" La route est libre" vint leur dire un officier.

Les prisonniers, hors de leur cellule dé jà, étaient en liesse lorsqu'ils entrèrent dans les geôles. Ils firent une ovation indescriptible à  julien et à Isabella.

 

Julien découvrit avec stupeur les conditions de détention effroya­bles de ses camarades. Ce n'était que des cages étroites sans lumière et sans air, dont l'atmosphère était chargée  d’une humidité qui vous envahissait jusqu'à l'os,. Certains, emprisonnés depuis quelques années, quoique jeunes encore, étaient devenus des vieillards voûtés et aux cheveux blancs. C'est presque en pleurant qu'ils reconnaissaient leurs amis et que ceux-ci les reconnaissaient.

 

Les yeux étonnés d'Isabella lui révélaient un monde souterrain inconnu qui étonnait son éducation raffinée.

 

« Ils sentent mauvais " dit-elle en plissant avec dégoût son petit nez offusqué.

« C'est que votre père ne leur fait donner ni bains ni habits propres, et qu'il omet sans doute de leur fournir des parfums. "

 

Elle baissa la tête comme un enfant, touchée par la prise de
conscience de ce qu'elle avait prononcée une sottise avec inconséquence.

 

« il faut fuir maintenant » ordonna Julien, « et vite », il existe un souterrain, long de plusieurs kilomètres qui donne dans la campagne, au delà- des remparts de la ville » déclara Isabella : «Et je vais te montrer le chemin »

Les prisonniers avaient entendu parler eux aussi de ce souterrain creusé autrefois par leurs prédécesseurs dans des conditions terribles. Ceux-ci avaient participé à la construction et qui­ n'étaient pas morts, avaient  tués une fois celle-ci achevée, pour ne point en révéler le secret.

 

Ils revinrent sur leurs pas, retournèrent dans le palais; furent conduit dans le bureau du Gouverneur où Isabella poussa rayon d'une bibliothèque découvrant ainsi une porte dont elle possédait une clé et qui donnait accès au souterrain secret.

 

«  C’est l’entrée de la Liberté » dit en souriant Isabella

 

Les prisonniers étaient médusés par l'apparente facilité de leur fuite.

" Quoi, ils n’aurait pas a combattre pour défendre leur vie! »

 

La course dans les ténèbres du souterrain était saisissante.

la lueur de torches, l'étrange mélopée du bruit sourd des pas donnaient l'impression d'être au tréfonds du monde .

 

Bientôt dans le lointain une petite lanière annonciatrice d'une autre vie pleine de couleurs, de voix, de bruits, et ou l'amour existait enfin.

 

Ils parvinrent à l'air libre : l'aube commençait à se lever, et, tous, particulièrement  les anciens prisonniers, plissaient les yeux éblouis jusqu'au fond de l'être par le soleil naissant.

 

"Quelle belle journée " susurra Isabella comme si elle redécouvrait et l'air et le ciel et la 1umièree et la mer.

 

Après ce bref instant de rêverie, elle revient à des considérations plus pratiques, « Mon cheval se trouve dans une ferme à deux pas d'ici. En quelques minutes il devrait être sellé et nous pourrons alors fuir vers ton bateau. »

 

La détermination le la jeune fille de partir avec lui impressionna Julien, et aussi le fait qu'apparemment, elle _n’avait jamais douté qu’il viendrait la délivrer.

 

En effet, quelques instants plus tard, Isabella parlementait avec un fermier  qui lui fit beaucoup de courbettes, et elle récupéra son cheval blanc d'une rare beauté, et qui ce nommait  " El Fuego » : le feu. Le cheval et la fille parurent fort heureux de se retrouver et elle embrassa même avec une grande effusion.

 

Ce fut une fantastique promenade dans les clarté de l'aube prometteuse.

 

Isabella reposait doucement sur  les bras de julien.

 

Tous deux étaient bercés par le galop du cheval qui semblait courir comme s'il était une sorte d'esprit incarné dans un cheval. Une légère sudation révélait le parfum encore enfantin du corps d’Isabella à Julien, tandis que son corsage entr'ouvert laissait voir son sein rond qui palpitait conne un oiseau.

L’écoulement du temps n'avait plus aucun sens. Ils baignaient ­dans une éternité trop brève. Tantôt El Fuego  galopait le long de la piste l’écume de la mer venant toucher la pointe de ses sabots.

 

« C’est encore moi » dit, avec un aire de connivence, le Borgne qui les attendaient dans une barque au point convenu de ralliement.

Et ils regagnèrent le «  Téméraire »

 

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Published by Stéphane Dubois - Pirates, zombies, Horreur, Héroic Fantasy, Auteur, LITTERATURE, Fantastique

LES QUATRES DAMES ET LE VALET

LES QUATRES DAMES ET LE  VALET
 

 

Un pouce énorme devant un visage gigantesque et boursouflé. Un sourire grimaçant, lourd de pensées menaçantes, avec des dents ébréchées, mais aigues cependant comme des couteaux de pirates. Le pouce énorme gourmandeusement tenait une carte d'un jeu de géant. Il en gardait précieusement la figure tournée vers lui. Enfin, avec un claquement sec, il l'abattit vers l'homme allongé, comme mort.

 

 

  DAME DE TREFLE !



Aussitôt la carte à plat, la Dame parut se lever de la tranche, pivota sur elle-même en se métamorphosant et en s'affinant progressivement , comme l'argile du potier prend peu à peu forme et devient amphore.

 

 

La splendide tahitienne, une vive fleur délicatement accrochée à L'oreille, lui souriait d'un air érotique et bienveillant. Il n'avait jamais remarqué combien en cinq doigts de pied s'inscrivant dans le sable pouvaient être aussi humainement beaux. Belle jusqu'au bout des doigts de pied voulut dire quelque chose pour lui.

 

Quel poète eut pu célébrer ses deux seins aussi savoureux que deux coupes de crème caramel ? Et la ligne de ses reins qui semblaient appeler les caresses comme le port les bateaux ?

 

 

" Douce oiselle, m'es-tu restée fidèle pendant tout ce temps ?" Elle exquissa une mimique qui voulait dire qu'elle avait été sage autant que le climat, l'échauffement des sens et les circonstances l'avaient permis.

 

 

Il considéra qu'il s’agissait là d'un aveu de chasteté suffisant. Il lui prit la main vibrante de chaleur et l'attira vers lui. Elle se laissa faire gracieusement avec la souple raideur d'une belle plante.

 

 

Il sentit à ras de peau son parfum_ riche de soleil, d’eaux salées. Il 1a caressa avec tendresse. Elle ferma les yeux. Le bruit de la mer battait aux oreilles de l'amant avec cadence. Rythme des pulsations du coeur du monde. Un palmier éclatait de sa vitalité en jaillissements verts. C'était le moment propice à l'amour ...

 

 

...................

 

Le monstre la saisit, avec une dextérité délicate de Joaillier dont on ne l'aurait point cru capable, entre le pouce et l'index, par le col, et la retira du corps de l'homme. Puis, d'une pichenette soigneusement ajustée, il l'envoya rouler sur 1a carte à: jouer. Du plat de sa main il l'écrasa contre le carton pour qu'elle y reprenne sa place. Et il remit froidement 1e rectangle dans son jeu.

 

D'un air goguenard il choisit un autre personnage.

 


   DAME DE CARREAU !


La main cette fois fit tournoyer le bristol et une jeune femme blonde enn fut projetée, se recevant sportivement sur ses pieds.

 

 

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Il l’avait connue par hasard à l'une des bibliothèques de Stockholm. Cette bibliothèque qui donnait sur la Place du Parlement, dans cette partie de la ville où l'architecture moderne tordait audacieusement le métal et le verre dans ses pinces artistes et techniciennes.

 

I1 avait frôlé ses longs doigts fins, mais d'une fermeté d'acier tandis qu'ils prenaient tous deux le même livre.

 

C'était - i1 s'en souvenait -: " Le Guépard " de Lampedusa en Italien. Il n'y en avait qu'un unique exemplaire sur le rayon. Elle riait avec ses dents de belle fille saine. Il Lui proposa avec une aisance feinte d'aller le lire tous les deux chez elle. Et il ajouta il ne savait plus quelle banalité sur les plaisirs de la lecture commune. Son oeil bleu parut amusé de la suggestion, la fit tournoyer dans ses eaux profondes. Elle répondit simplement :" Oui- ". Et il suivit par les rues son long blue-jean soigneusement délavé, et son sobre tee-shirt blanc sur lequel était écrit : " free ».

 

 

Sa chambre sous ]-es combles d'un vieil immeuble était bien à son image. Ça sentait bon le bois clair, et l'absence de recoins tortueux. Elle lui avoua franchement que ce qui lui avait plu chez lui d'un coup,, c'était son mauvais accent anglais et son air " paumé " dans la vie. Ils se trouvèrent même une opinion commune, à. savoir que la littérature les aidait à vivre.

 

" Tu veux faire l'amour ?" 1ui demanda-t-elle calmement,

" Il parait que vous Français, vous ne pensez qu'à ça !"

Et sans attendre sa réponse elle fit glisser tranquillement son mince coton par dessus ses épaules. Elle ne portait point de soutien-gorge; et ses rotondités étaient pleines de charmes doux…

 

 

Il allait s'avancer vers elle pour la faire basculer sur la banquette et l'embrasser. Mais elle l’arrêta :" Je ne fais jamais cela avant d'avoir fumé une cigarette et bu une bière bien fraîche. Souvent dans la chose c'est la bière fraîche que je préfère « la galipette."Elle avait dit " galipette " en français, souvenir culturel de vacances dans le Midi, avec une intonation savoureuse.

 

 

......................................................

 

Le joueur sadique souleva la suédoise comme une plume et la mit dans la boîte du Tarot. Tandis qu'elle se cramponnait à la bordure d'une main, elle faisait des signes désespérés de 1-'autre. On put lire dans son regard des multitudes de regrets. Le barbare la poussa d'une légère tape de l'index dans le fond et referma le couvercle.

 

 

Et il continua sa terrifiante partie.

  DAME DE PIQUE !


 

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Les seins vigoureux tressaillaient à- la cadence du pilon qui écrasait le mil. Et cette sorte de danse et le visage de Ta noire étaient pleins de jovialité. Les cris aigus et les odeurs épicées remplissaient ce village baigné de lumières. Elle vit soudain le mâle étendu et se précipita vers lui toute douce.

 

Elle passa les doigts sur les  contours de son visage pour se persuader que c'était bien lui. " Les tam-tam n'ont -point annoncé ton arrivée ?" lui déclara-t-elle. " Je croyais que tu ne reviendrais jamais. Viens-tu vivre ici définitivement ? 0 j'aimerais tant ! "

Il ne répondit point à la question. Bien sûr qu'il aurait aimé passer le restant de ses jours en ce lieu.

 

Il l’attira dans la case ... Elle comprit ce qu'il voulait : elle vibrait du même désir. I1 y a si longtemps qu'ils attendaient ces retrouvailles. L'air à l'intérieur était rempli de senteurs lourdes. Leurs effluves éclatant sous la chaleur multipliaient leurs ardeurs ... Il mit la main sous le mince pagne, au creux de sa chaleur moite...

 

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Un jet puissant renversa et la femme et la case, d'un seul coup:.  

  DAME DE COEUR !

 

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«  Très honorable maître, ta servante l'indigne Mitsoucko, se permet de te demander de bien vouloir accepter de prendre le thé avec elle dans son humble maison ... "

 

Et 1e kimono bleu somptueusement constellé de points d'un beau jaune doré, s'inclina profondément. La Jeune japonaise était toute politesse et délicatesse. Un large sourire constamment présent éclairait son visage. Un sourire un peu artificiel, un peu trop éduqué et apprêté. La peau dans l'échancrure du vêtement paraissait douce et tendre comme une pousse neuve de bambou.

 

Il était assis en tailleur sur le tapis tandis qu'elle se livrait à la longue cérémonie de la préparation du thé. Véritable office religieux venu du fond des âges, et dont le rite avait été précieusement conservé par des mains pieuses.

 

" Cette fois tu ne m'auras pas !" dit l'amant trop souvent floué à l'adresse du magicien mystérieux. " Je limiterai au maximum les préliminaires. Car lorsque tout parait en excellente voie, tu viens tout briser par ton intervention intempestive. "

 

Et il sauta, d'un bond de judoka, sur la Prêtresse de  la feuille sacrée, à demi accroupie qui se demanda, offusquée mais digne, ce qui Lui arrivait. Son épiderme dégageait un parfum frais et envoûtant.

 

Elle ne le repoussait pas vraiment, car il était évident que 1-'idée de lui prêter partie de sa couche ne lui répugnait aucunement, mais le moment en était incongru. " Bois de ce breuvage, il a des vertus aphrodisiaques reconnues ... " ajouta-t-elle sentencieusement avec sa voix aux intonations flexibles.

 

" Je boirai de ta tisane après ... " Et l'amoureux pressé continuait de la caresser avec insistance. Elle allait sans doute succomber à ces rudes moeurs occidentales ...

 

 

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Mais une nouvelle carte tomba.
  LE VALET DE COEUR !

 

Lahire pouvait-on lire sur le carton. Les lettres de Lahire se mouvèrent seules et constituèrent HILARE. Et l'on entendit un gras rire. Les lettres bougèrent encore, animées d'une sorte de frénésie infernale. Cela redevint Lahire. La première syllabe se mit en queue. Hirela, le E vola comme un danseur par dessus la tête des autres, et se plaça avec adresse derrière le H.

 

 Heirla. Les deux dernière lettre firent un chassé-croisé . Et le mot devint HEIRAL.

 

C’était le nom de l'homme qui dormait .., et qui se réveilla alors en maugréant !

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Le Téméraire (8)

LE RETOUR

A peine Julien et Isabella furent-t-ils monté à bord que le « Téméraire » apparell1a. Aussitôt la brise se leva emporta hors de la rade.

 

Julien avait fait parer sa cabine des plus beaux tapis d’Orient qu'il avait pût trouver dans les cavernes d'Ali-Baba de la Piraterie et garnir son lit des draps de soie les plus doux. Il avait aussi fait pulvériser un envoûtant  parfum  d'Arabie. Il demanda qu’on lui apportât biscuits, viandes séchées et vins fins, comme, si il avait l'intention de tenir un siège en règle. Puis il ordonna qu’on ne le dérangeât plus. Dès cet instant seule la compagnie d'Isabella présentait pour lui quelqu’un intérêt et il ne s'occupa absolument plus de la marche du navire, lui , dont la navigation était la vie jusqu'alors.

 

Lorsqu'il pénétra dans la cabine, quelques instant après ,elle, il la  trouva entièrement dévêtue, allongées sur un            tapis au sol, splendide dans sa nudité et bien que troublée, elle lui déclara le plus tranquillement  du monde avec la pointe de sa langue qui passait sur ses dents : " Je        toute à toi "-reprenant les termes de la missive qu' elle lui avait fait parvenir  par l'intermédiaire du pigeon.

 

Et il c'était précipité vers elle, le feu de son corps étant plus encore plus fort que le désir de son esprit de se fondre à elle et de rejoindre celle qui lui était destinée.

 

Bientôt un vent puissant qui ne devait pas cesser pendant ce jour et cette nuit durant lesquels Julien et Isabella furent à bord du " Téméraire " se mit à souffler entraînant aussi le navire à une vitesse considérable, extraordinaire même, fendant les flots comme un épervier fend l'air et parcourant des distances incroyables à l’entendement de tout marin.

 

Tout chez Isabella lui paraissait  exquis  et l'agréable son  de sa            voix le charmait  sans qu'il puisse s'en lasser. Tous les évènements de sa vie même les plus insignifiants apparemment  1'interessaiént. Ce fut comme si elle eût vécut jusqu’ à ce jour vécut sur une autre planète et qu’elle fut  entré en contact avec lui.

 

Les réceptions et les fêtes de cette société raffinée et brutale ensemble l'intriguaient fort. Et il imaginait avec délices Isabella évoluant avec grâce et malaise tout la fois dans les sa1ons garnis de fauteuils et de candélabres dorés avec des valets en livrée. Ses mimiques l' amusaient fort aussi 1orsu' elle imitait à ravir la démarche de quelque marquis claudiquant ou contrefaisait la voix de quelque comtesse zozotante et un peu dingue.

 

Parfois aussi elle tentait  perfidement de le rendre jaloux de sa vie passée, et d'essayer sur lui ses jeunes griffes en lui narrant les succès amoureux qu'elle avait eu          dans les bals.

 

Elle lui parla surtout d'un de ses cousins qui la courtisait fort et dont le charme ne lui était point tout à fait indifférent. Mais elle lui parla aussi de tous les autres hommes sur lesquels 1e magnétisme de ses yeux et sa très grande beauté exerçaient de profonds attraits.

 

 

Le temps passait à ces discussions, à jouer aux échecs où ils excellaient  tout deux, à grignoter quelques fruit, à boire un peu de vin des Isle paré parait-il de vertus aphrodisiaques  et aux caresses de l'amour auxquelles Isabelle faisait preuve d'une grande application. Entrée novice le matin au couvent de Cupidon, elle eût put le soir en être nommée supérieure      tant ses progrès en théologie amoureuse était considérable.

 

Sur le dont, les marins terrifiés étaient témoins de scènes incroyables. Une force supérieure semblait avoir pris la destiné du vaisseau entre ses mains et le mener au but qu’elle s’était fixée. Le timonier tenait impuissant la roue du gouvernail la route était déjà tracée.

 

 

Le " Téméraire " creusait dans les eaux dominées un sillon formidable, comme une gigantesque charrue. Ils regardèrent stupéfaits dans la matinée le vaisseau frôler des côtes où ils virent des lions rugissants au soleil, pour vers le soir rencontrer les froids glacés et les immenses icebergs...

 

A suivre …

 

 

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Published by Stéphane Dubois - zombies, Auteur, LITTERATURE, Nouvelles, Fantastique, Horreur, Héroic Fantasy

Le Téméraire (6) " Chez le Gouverneur"

 

II Chez le Gouverneur

De nuit, des chaloupes silencieuses débarquèrent Julien et une cinquantaine d'homme,s, sur une côte écartée à environ dix kilomètres de la capitale. Aussitôt le " Téméraire ", le Black Bird ", et la "Belle Jeanne " qui les avaient amenés repartirent, tous feux éteints pour éviter que quelque sbires du Gouverneur puissent se douter de l'éventualité d'un débarquement. Les plus courageux frémirent. En effet ils se trouvaient ici en pays ennemi, et, hommes de mer, seul le fait d'avoir les pieds sur le pont d'un vaisseau pouvait les rassurer.

 

La végétation tropicale, dans la nuit semi-obscure créait des formes bizarres et monstrueuses, et exhalait de lourds parfums enivrants. Julien se sentait littéralement envouté par ce paysage et par ces senteurs puissantes qui s'étaient emparé de lui.

 

Vraiment, nulle force au monde eût pu le dissuader d'aller secourir Isabella qu'il imaginait a, que part comme une fleur rare et extraordinaire bien digne de figurer dans cette serre chaude.

 

Un guide les attendait, à peu de distance du rivage, en un endroit convenu . Il devait par des chemins détournés les mener jusqu'à la ville, puis au palais du Gouverneur.

 

Et la marche commença: longue procession d'ombres noires, chargées de bagages suspects.

 

Comme ils se trouvaient parvenus à peu de distance de la cité, le guide d'un geste leur fit signe d'être plus silencieux, et il leur désigna de la main un énorme rocher sous les recoins duquel ils purent tenir leur dernier conseil avant d' être dans la place.

 

On précisa, dans un silence de mort, les itinéraires, les caches, la localisation des gens de la ville qui étaient des amis de la flibuste et auxquels on pourrait à la dernière extrémité s'adresser pour obtenir quelque secours ou quelque moyen de transport pour rejoindre L' Ile du Caïman.

 

Tous étaient braves et recueillis, car la partie ne serait pas facile; et si on les avaient interrogé un à un plus d'un aurait reconnu la folie de pareilles expédition, loin de leurs bases et dans des conditions auxquelles ils n'avaient point l'habitude.

 

Julien, lui-même, que le rêve éveillé de délivrer son amour inconnu avait abandonné sentait tout le poids de sa responsabilité sur ses épaules. Mais quoi il n'était plus possible de reculer.,,

 

En contre-bas la ville obscure qu'éclairaient seulement les lueurs laiteuses de la lune reposait vide et silencieuse. Au milieu de ces milliers d'inconnus qui sommeillaient: riches bourgeois rêvant à leur or, soldats rêvant à leur pays natal, manants et mendiants oubliant que demain il faudrait se lever, devait reposer Isabella. Peut-être même ne dormait-elle pas,? Peut-être que dans 1'ombre son profond œil noir attendait-il, plein d'espoir que Julien apparaisse dans embrasure de la fenêtre peur venir la délivrer?

 

 

Ils entrèrent par une petite porte écartée dont la sentinelle, sur le compte de laquelle ils connaissaient assez de secrets pour la faire emprisonner, avait été soudoyée. Ils lui remirent la seconde partie de ce qui lui avait été donné auparavant, soit une bourse pleine d'or d'un. bon poids que la sentinelle reçut avec une satisfaction évidente.

 

C'est presque stupéfaits qu'ils se retrouvèrent dans la ville, au cœur des forces dé leur ennemi. Une étrange allégresse s'empara d'eux un bref instant... Ils avaient réussis ce qui pouvait paraître une folie impossible. Mais il ne s'agissait que de la première manche. La partie était loin d'être gagnée.

 

Ils se divisèrent par groupes de dix, pour avoir une quelconque chance de passer inaperçus, après s'être chuchotés, comme s'ils étaient à l'église : les dernières recommandations.

 

A cet instant, retentirent les premiers grondements, jaillirent les premières clartés sorties des gueules des canons. la scène était d'une somptueuse beauté. La ville étagée jusqu'à la mer, remplie de senteurs et qui sommeillait et au loin les navires indistincts qui tiraient avec à leur bord les compagnons qui n' avaient pas manqué l'heure du rendez-vous.

 

Presque aussitôt, les gens mus par une espèce d'inquiétude toujours latente en eux, ouvrirent les volets, firent entendre leurs voix, et, la vie reprit.

 

Un peu plus tard on vit les premiers soldats en armes. « Clic-Clac. Clic-Clac" faisaient leur pas sur les soi. Et, dans cette confusion générale qui commençait~à s'installer, eux donnaient une rassurante impression d'ordre. Et on entendait qu'il se donnait des commandement.

 

Cette ville qui reposait si tranquille peu de temps auparavant s'était en quelques instants installée dans la guerre avec, somme toute, une apparente facilité.

 

Les pirates furent d'ailleurs surpris qu'au cours de leur marche personne contrairement à leurs craintes ne s'intéressa à eux. Car chacun était par trop préoccupé de ses propres angoisses, et de ses propres affaires, pour qu'il s'interessa à celles des autres.

 

Par les ruelles devenues grouillantes de monde, on arriva au palais du Gouverneur qui se trouvait légèrement en retrait des autres bâtiments, comme un noble qui dans une foule veut éviter un contact par trop étroit avec la populace.

 

Se dissimulant dans l'encoignure d'un bâtiment, Julien et ses hommes attendirent que les autres groupes arrivèrent un à un.

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Le Téméraire (5)

LE TEMERAIRE 5

 

Il fallait convoquer, la réunion des Capitaines. Le rassemblement des Capitaines de vaisseaux était en fait le gouvernement de l'île. Il avait une triple fonction : d'entraide, politique et militaire.

 

Du point de vue de l'entraide les Capitaines étaient souvent amenés à aider l'un d'entre-deux, qui à la suite des aléas de la piraterie n'avait plus assez d'argent pour monter de nouvelles expéditions. Du point de vue politique il était le gouvernement de l'île, du point de vue militaire il servait  à monter des opérations d'une importance telle qu'elles n'étaient pas à la portée d'un seul bâtiment. On pourrait même ajouter une quatrième fonction : une sorte de fonction judiciaire, car le Conseil des Capitaines jouait un rôle; souverain d'arbitre en cas de  litiges entre pirates.

 

Un système de messagers permettait à l’un des Capitaines, seul, s’il l’estimait utile, dehors des séances régulières convoquées par le Président dit " Premier des Capitaines" d'appeler à la réunion tous les capitaines. Il s'agissait là d'une procé­dure extrêmement  rare et qui ne devait être employé qu’en cas d’évènement importants. Julien pensa que la missive de la fille du Gouverneur " Isabella'' était un évènement suffisamment important pour justifier pareille procédure.

 

C’est avec son bicorne et son bel uniforme le bleu à boutons dorés que Julien pénétra dans la grande Salle des Capitaines. En effet le Conseil des Capitaines possédait une salle spéciale dans un immeuble cossu du centre de la cité, où chacun avait sa chaise réservée à haut dossier. Et les réunions ne se déroulaient pas sans une certaine élégance et un certain cérémonial.

 

" Que tu es beau " lui avait dit Rosita en l'aidant à se vêtir, et en passant langoureusement ses mains sur le drap.

 

L'entrée de Julien fit sensation et chacun se demandait les motifs de cette convocation assez extraordinaire.

 

Au centre de l'immense table ovale le Premier des Capitaines présidait. C'était un bel homme à cheveux blancs lissés et au teint soigné. Devant lui, un crâne et un tibia minutieusement, nettoyés et blanchis reposaient. Le tibia lui servait de marteau pour frapper le crâne lorsqu'il s'agissait d'ouvrir ou de fermer la séance, ou de rappeler à l'ordre l'un des capitaines pour obtenir le silence.

 

Julien se vit inviter à expliquer ce qu'il comptait obtenir: de ses pairs. Un silence absolu s'installa.

 

Dans une attitude un peu théâtrale, les gants blancs à la main, négligemment appuyé à la table, Julien se mit à développer son plan. C'était de l'enlèvement de la fille du Gouverneur qu'il s'agissait, et       ce faire, il préconisait  une double attaque.

 

D'abord un certain    de vaisseaux devaient attaquer le port espagnol, tandis que le « Téméraire » et deux ou trois autres bateaux débarquant dans un autre point de l'île avec un certain nombre d'hommes devait prendre la forteresse espagnole à revers.

 

Il était bien entendu qu'il ne s'agissait pour les hommes intervenant pédestrement que de faire un coup dé main alors que 1_' effort principal était porté par la flotte au large, qui tirant à coup de boulet sur la ville espagnole créait ainsi un mouvement de diversion.

 

La stupeur      saisit tous les capitaines. Quoi c'était pour pareille folie qu'on les avait fait venir !

 

Un des capitaines résuma assez bien la pensée générale.

 

« Quel profit peut-il bien avoir pour nous dans cette affaire? Il n'y a pas d'or à amasser! Il y a bien assez de filles dans les tavernes! Mais veut-on dresser contre nous l’Espagne qui pourrait monter   une expédition punitive! »

 

Julien qui n'avait pas pensé, tout à son rêve fous. Qu’il était, à la difficulté qu’il aurait à faire agir les capitaines sans motifs convaincants, eut soudain une idée.

 

« Certains de nos amis sont détenus dans les prisons des caves du palais du gouverneur. Nous pourrions du même coup les libérer. »

Julien savait qu'il tapait juste, car le frère de ce capitaine avait justement été capturé après que son navire eût été  envoyé par le fond.

 

«  Aussi avec les hommes ainsi libérés nous pourrons constituer les équipages de plusieurs autres vaisseaux et accroître notre puissance. De plus je pense que si nous réussissons à être bien renseignés, nous pourrons piller la banque Espagnole qui est chargée d’or en transit.

 

Au fur et à mesure qu'il parlait Julien vit les visages des autres capitaines se détendrent et redevenir compréhensifs.

 

De toutes façons les capitaines auraient bien été embarrassés de refuser ce service à Julien, alors que celui-ci avait toujours mis sans discuter, et son épée et son vaisseau, au service de la confrérie des pirates  lorsque les membres de cette confrérie avaient eu besoin de lui.

 

De plus, il faut signaler qu'il existait une réelle solidarité entre les pirates, parfois appelés d'ailleurs frères de la côte, née d'une vie commune où les aléas étaient nombreux et l'entraide nécessaire, d'une vie en vase clos comme celle des moines ou des militaires, et aussi du fait que la plupart avaient quitté leurs pays parce qu'ils étaient des marginaux ou des opposants politiques lassés de leur vie misérable ou des persécutions.

 

Tout ceci créait un     esprit de corps très puissant joint d'ailleurs à un très grand attachement à l'indépendance.

 

C'est à l'unanimité, moins une abstention : celle de Julien, conformément à l'usage, que lorsque le président résident fit voter les pirates, le plan du Commandant du "Téméraire" fut adopté. Tout le monde partit dans un joyeux brouhaha, exceptés quelques-uns, qui, avec Julien mirent au point les détails de l'opération : nom des bateaux choisis, lieu exact du débarquement, renseignements sur la place, vivres, appuis dans l'île...

 

 

 

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Le Téméraire (4)

LE TEMERAIRE 4

 

III.      L’ ISLE.

 

Après huit jours d'une navigation sans, histoire, uniquement ponctuée des rites familiers du bord : manger, dormir, prendre le quart on sentit que l'on approchait des lieux familiers aux mauvais garçons de la côte. Bientôt la vigie cria le met fameux mot qui fait tressaillir tous les marins du monde : terre! terre!

 

A l’horizon, pour peu qu'on le scrutât, on distinguait un tout petitt morceau de rocaille. Julien devina qu'il s'agissait de l'Isle du caïman, où se trouvait le port favori du " Téméraire" et d'un certain nombre d'autres vaisseaux pirates qui relâchaient ici entre deux forfaits.

 

Tout le monde  était monté sur le pont et contemplait avec un air réjoui l'Isle se rapprochant comme en un rêve. C' était leur havre de paix; ici ils trouvaient tavernes ripailles et femmes.  Ils parvinrent agités,  dans le joli petit  port, flanqué de deux fortins bordant les eaux bleutées.

 

L'entrée à vitesse réduite, tandis que l'on voyait sur le quai la petite foule des gens qui attendaient le "Téméraire" ne posa aucun problème particulier, puis ce fut l'accostage et les retrouvailles.

 

XXXXXXX

 

Julien qui ne possédait pas de domicile proprement dit avait coutume lors de ces séjours à l'Isle du caïman de prendre pension à la"Taverne des Boucaniers" dont la patronne, la belle Rosita était devenue sa maîtresse. Rosita s'était vraiment toquée de lui, mais elle s'accordait à sa personne un peu fantasque et ses longues absences ne la faisait point souffrir. Elle le prenait lorsqu'il était présent et s'en passait lorsqu'il n'était pas là.

 

Cependant chacun de ses retours était prétexte à une fête bruyante et endiablée dans la taverne. Et le soir venu; ils baffraient et dansaient. Rosita chantait assez joliment, le teint doucement coloré,de nostalgiques chants espagnols qui lui rappelaient son pays d'origine qu'elle avait quitté alors qu' elle n'était encore qu'une enfant.

 

Ensuite ils montaient faire l'amour dans la haute chambre avec le lit à baldaquin profond comme un vaisseau et qui tanguait du plus doux et du plus berceur des tangages.

 

" Quelle navigation! " pensa. Julien. en se réveillant le lendemain, encore à moitié endormi tout en buvant un café brûlant, C' était le meilleur instant, celui qui sépare le sommei1 de la veille comme celui qui sépare la nuit du jour indistinct, pas encore nuit mais pas encore jour.  L’imagination vagabondait librement se remémorant la volupté, le corps rompu d’une agréable fatigue.

 

Rosita, dont le parfum flottait encore dans la chambre, était partie depuis bien longtemps, vaquant en ville aux mille besognes que nécessitait la taverne. Vive et débrouillarde, elle allait et venait dans la cité sans problèmes.

On avait l'impression que deux personnes cohabitaient sous la même peau: une amoureuse enflammée et romantique et une commerçante pratique et avisée.

 

Julien se demanda si au fond, d'ailleurs, elle n' était pas toujours une commerçante avisée et si l'or n'était pas son plus grand amour.

 

« Q'importe se dit-il, si nous avons au moins l'illusion. De toutes façons l'amour n'est qu'illusion, et peut-être n’ais-je que 1'illusion de l'illusion! Mais ma parole, je philosophe comme un jésuite et presque aussi mal. Levons nous, il est temps. »

 

Au même instant une sonnerie grêle retentit, jaillie d'une petite clochette assez innaparente  poste sur un meuble. Julien se précipita dans l'escalier pour monter au pigeonnier niché dans une sorte de tourelle de la taverne.

 

Cette sonnette avertissait qu'un pigeon venait d'arriver porteur d'un message. En effet, dès qu'un de ceux-ci se posait sur un perchoir un ingénieux mécanisme déclenchait la sonnerie.

 

Julien par le biais de ce mode de communication extrêmement rapide était en relation, entre autres, avec la capitale où il possédait un informateur bien introduite auprès des  espagnols- et le payant bien le tenait au courant des navires de commerce pouvant l'intéresser, et ceci suffisamment à l'avance pour pouvoir les intercepter éventuellement, ou l'avisait aussi du mouvement des vaisseaux de guerre dont il devait se défier.

 

Ce système de courrier remarquable était une des causes de la rapidité d'intervention bien connue du commandant du « Téméraire » qui apparaissait là où on ne l'attendait pas, et semblait toujours flairer les cargaisons les plus profitables. Cette sorte de " divination " stupéfiait  ses ennemis qui n'étaient pas loin d'y voir une intervention démoniaque.

 

« Que m'apporte-tu,  bon Vélox " dit Julien en se saisissant du pigeon. Chacun de ses pigeons avait en effet un nom et était presque considéré comme un être humain, une sorte de messager de la flibuste. Sous ses doigts, il sentait la palpitation du frêle corps.

 

Il lui délia délicatement le message ficelé à la patte. L’écriture le surprit. Ce n'était pas celle de son agent, mais une écriture de femme ou de jeune fille.

 

« Monsieur l'Amiral de la Flibuste, »

 

Tudieu ! Sifflota Julien, me voici amiral.

 

Mon père, le Marquis de la Casa Bella, le gouverneur de ces ILES, veut me faire épouser le vieux Comte Lopez del Libero qui est le général de l'armée et que je hais. Pour ce faire il me retient prisonnière dans ma chambre de l'aile gauche du chateau.

 

Libérez-moi monsieur, et je serais toute à vous. Dépêchez-vous, je vous en prie, le mariage a lieu dans huit jours.

 

ISABELLA.

 

N.B Ci –joint un petit plan de l’aile gauche du château

 

Un mot d’une autre main était ajouté, 2crit par l’agent de Julien dans la capitale des Iles.

 

« C' est la duègue  de  Isabella de la Casa Bella qui m'a remis ce mot, m'invitant à vous le transmettre. J'ignore comment         elle se doute que je suis en relation avec vous.

 

En ville il se dit que la fille du Gouverneur est bien retenue dans sa chambre pour épouser le Comte. Mais ce peut être un piège. Prenez garde à vous. Isabella est une très jolie jeune fille d'environ seize ans, brune de cheveux, teint clair,agréablement tournée et fort enjouée à ce qu'il parait.

 

A votre place, je me méfierai

 

Votre Dévoué

Roberto Gonzalez

 

" Quelle histoire" pensa Julien intrigué et amusé tout à la fois. Cela a en effet tout l'air d'un piège. Mais il semble vraiment énorme pour faire tomber l' AMIRAL DE LA FLIBUSTE dedans.

 

D'autant plus qu'il ne connaissait pas Isabella... Il se rappelait tout au plus d'une fillette brune et prétentieusement vêtue qu'il avait croisé un jour au détour d'une rue de Las Santa alors qu'elle se trouvait dans le carrosse du Gouverneur et que lui marchait à pied. La rue était boueuse et les roues du carrosse avaient projeté des éclaboussures sur son vêtement. Il avait ressenti cela comme un affront. C'était le seul souvenir qu'il avait d'Isabella, si l'on peut appeler cela un souvenir...

 

Et peut-on imaginer, qu'on vole au secours d'une jeune fille Qu'on- ne connaît pas, qu'on risque sa vie et ses biens pour l'enlever aux griffes d'un vieux grigou ?

 

Julien continuait de s'interroger. Si on écarte l'idée du piège et elle est  à écarter, qu'est-ce qui pourrait pousser Isabella à faire appel à moi ? Un romantisme juvénile qui dans son imagination a fait  de moi un justicier redresseur de torts? Et à qui pourrai t-t-elle s'adresser à part à moi; Ce n'est pas dans son univers qu'elle pourrait trouver quelque secours. Qui oserait s'attaquer au tout puissant Gouverneur des Isles? - Personne.

 

 

Et l'idée que l'on pût faire appel à lui Julien contre la toute puissance du représentant de l' Espagne le séduisait assez.

Etait-ce par le péché d'orgueil que l'on comptait le faire tomber, lui oui avait déjoué tous les  traquenards jetés sur son passage jusqu'à ce jour ?

 

Cependant Julien sût tout de suite qu'il tenterait d'aller délivrer la prisonnière, et qu'il ne pouvait y échapper. Cela était inscrit dans le Grand livre de sa destinée.

 

Et il se la représentait, jeune et belle, se morfondant dans sa chambre verrouillée et grillagée tandis que les larmes coulaient de ses grands Yeux brillants et noirs.

 

Julien pensa qu'il serait doux de la sauver, et, d'avoir avec sa reconnaissance, son amour enthousiaste et réservé tout à la fois.

 

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