L’Eclipse d’un Ange...
Bonjour Dr Pierrette Estingoy
Dr Pierrette Estingoy, comment une Psychiatre, Praticien Hospitalier et un dessinateur assez axé sur le fantastique, comme Thomas Gervais en viennent-il à collaborer sur un projet comme l’Éclipse d’un Ange...
En fait, je connaissais les talents de Thomas Gervais et c'est moi qui lui ai demandé de nous rejoindre sur ce projet, de genre Héroic-fantasy car nous envisagions avec mes patients de l’Hôpital de jour de Décines (Rhône) de réaliser un récit sur les psychoses émergentes avec illustrations sous forme de BD.
À la base Thomas Gervais nous a dit que cela devait être une BD à 100/100, mais que le concept a évolué, vous pouvez nous en dire les raisons ?
Au départ nous avions fait un projet de BD très classique de 48 pages et nous avions commencé la première année à travailler sur quelques chapitres de cette bande dessinée*. Par défaut de financement, car nous n’avons pas pu trouver les partenaires suffisants**, nous avons adapté notre projet pour un concept mixte entre BD et récits illustrés ! Finalement nous sommes assez fiers du résultat car la contrainte nous a rendus très créatifs.
Sur les relations entre patients et équipe médicale participant à ce projet que pouvez-vous dire ?
Pour cette aventure j'ai été assistée de deux membres de l’Hôpital de jour un psychologue, Alain Cochet et un infirmier, Christophe Cléro. Par ailleurs l’ensemble de l’Hôpital de Jour est derrière nous avec notamment deux personnes qui nous aident sur le plan administratif et la diffusion. Il s’agit de Christine Vidal, cadre de santé, et d’Emmanuelle Dancert, assistante sociale. Deux artistes sont venus nous accompagner dans le processus de création, Thomas Gervais, dessinateur, pour les réalisations graphiques et Amandine. B Morwen écrivain qui nous a aidés pour la mise en forme du premier chapitre. Pour le scénario, le reste du texte et de la conception nous avons mené cela par nous-mêmes.
Cela a-t-il aidé certains patients ?
Ce processus a duré deux ans au total et nous avons pu voir énormément évoluer les patients qui d'ailleurs pour certains ne sont plus vraiment des patients car ils ont quitté l'hôpital de jour pour mener leur vie comme tout le monde. Ils se sont considérablement investis sur ce projet, ont pu prendre du recul par rapport aux troubles qu’ils avaient traversés. Ils sont très fiers de ce qu’ils ont réalisé et très heureux de pouvoir le communiquer, participer aux conférences. Ils ont l'espoir d'aider d’autres personnes qui aurait pu avoir des troubles similaires à se sentir moins seuls, permettre à ceux qui hésiteraient à venir demander de l'aide plus précocement.
Et du coté des membres de votre équipe que pensez-vous que cela leur a apporté ?
Des moments du pure rencontre humaine qui permettent de nous conforter dans la nécessaire lutte contre les représentations négatives qui persistent encore dans notre milieu sur une différence de nature entre les "patients" et les " soignants". Cinq stagiaires psychologues se sont aussi succédées sur le projet et ont modulé leurs visions de la maladie mentale, en constatant que les ambitions de rétablissement ne sont pas que des mots, que les compétences techniques comme sociales des personnes ayant traversé la psychose peuvent être mobilisées si l'on change notre regard sur eux.
Art et psychiatrie sont liés depuis longtemps, le plus célèbre exemple en France est Camille CLAUDEL et d’autres artistes célèbres : le Dr Blanche (Nerval, Maupassant), le Dr Gachet (Van Gogh), le Dr Nicolas Dahl (Rachmaninov), et le Dr Ferdière (A. Artaud). Mais aussi mes travaux de Tardieu et Simon en France, Prinzhorn en Allemagne ou certains de leurs patients auront des productions artistiques impressionnantes, comment situé vous ce projet dans la relation Art et Psychiatrie ?
Nous notre projet est à médiation artistique mais c'est un projet de communication. Il se base sur les compétences artistiques, très répandues en psychiatrie, parmi les patients sans doute du fait d'un plus grande sensibilité. Ici la création, avec toutes les exigences d'investissement, d'humilité et de partage aussi, leur a permis de acteur du champ social. Il n'y a pas (encore !) de personnes très célèbres parmi nous mais il n'y a pas que les personnes connues qui ont des talents artistiques.
D'ailleurs, je n’ai pas spécialement exigé d'aptitudes artistiques pour intégrer le groupe. Les talents se sont révélés au court de l’expérience et chacun a pu s'exprimer et aider à son niveau. Il y avait les dessinateurs, parfois excellents pour des décors, d’autres pour des visages, d’autres pour les couleurs. Certains se sont avérés plus compétents pour l'écriture, la mise en récit ou en dialogues.
En avez-vous tiré des conclusions sur un plan clinique ?
Sur le plan clinique, cela n’a fait que le confirmer qu'il nous faut porter ce message d’espoir auprès des patients, de leur entourage et des équipes soignantes. Car ensemble ils arrivent à donner le meilleur et bien plus que ce que l'on imagine....
Ainsi, Il est prévu de diffuser cette création le plus largement possible en population générale, lors d’exposition (textes et planches BD), de conférences/débats, les ouvrages imprimés seront offerts dans les lieux de passage ou aimes des professionnels de première ligne pour la prévention en santé mentale, nous diffuserons aussi une version e-book gratuitement pour que tous puis lire en ligne ou imprimer une version....
L’impression finale est prévue cet été et une journée de dédicace est organisée à l'Espace Jeune de Décines le vendredi 13 septembre 2013 de 11h à 17h.
Toutes les structures, professionnels, ou personnes intéressées à titre individuel peuvent venir nous rencontrer et éventuellement recevoir un exemplaire (selon le nombre disponible) et nous contacter via l'association Les Artambules (lesartambules@yahoo.fr)
* Peuvent se reporter au dossier publié par le Dr Estingoy (psychiatre) et Alain Cochet (psychologue clinicien, neuropsychologue) dans la revue SANTÉ MENTALE n° 166, mars 2012.
** Cette initiative élue en 2011 et en 2012 dans le cadre du financement « Culture à l’hôpital » du dispositif « Eclats d’art – Réseau des projets artistiques et culturels des unités de soin du Centre Hospitalier Le Vinatier », le projet est accompagné au plan logistique et administratif par la Ferme du Vinatier. À ce titre, il reçoit le soutien du ministère de la Culture et de la Communication – Direction régionale des affaires culturelles Rhône-Alpes, de l’Agence régionale de santé Rhône-Alpes, de la Région Rhône-Alpes et du Vinatier. Une charte « Éclat d’art » fixe les règles de contribution des partenaires culturels ou financiers. Il est notamment exclu toute exploitation commerciale du projet Dans ce cadre, cette réalisation reçoit déjà le soutien financier de partenaires associés au projet tel que le Comité Français pour la Réhabilitation Psychosociale, de la Mairie de Lyon 1er, de l’Université Lyon 1 et de la ville de Saint Étienne (avec la Fête du livre).