SARDONICA (16)
Il est un épisode de ma vie dont j'ai conservé parfaite souvenance. Mais comme j'en ai terriblement honte, j'ai volonté de le cacher. Il est indigne de mon état de moine.
Mais je dois l'avouer pour la complète narration de mon histoire, et pour que l'on sache jusqu'ou je descendis dans l'abîme de l'infâme, et dans l'infidélité à ma religion. Pour que l'on me comprenne et que l'on me pardonne. Tout homme est pêcheur et soumis aux tentations. Et en ce me concerne on conviendra qu'il s'agissait d'une particulière tentation qui eût pu éprouver âme plus solide que la mienne, alors que je n'étais qu'un jeune séminariste lorsque l'on me lacha dans cette antichambre de l'enfer...
Un sombre soir d'hiver, alors qu'il neigeait au dehors et que je lisais un livre au coin de la cheminée auprès de laquelle je me pelotonnais précautionneusement, Sardonica frappa lourdement ma porte. Elle entra soudainement, entièrement vêtue de fourrures, de la tête au pied. Le froid du dehors rosissait son visage. Elle me dit d'un air impérieux : « Tu vas enfin participer à ta première messe ici. »
« A cette heure-ci Madame ? Mais il est près de minuit ; ce n'est pas l'heure de la messe. »
Elle sourit mystérieusement. « Ici C'est l’heure de la messe. »
Je la suivis, sortis dehors et rejoignis un cortège, tout de noir vétu, où je reconnus des figures familières de l'entourage de Sardonica, mais habillées comme si i1 s'agissait d'un clergé particulier.
Sardonica munie d'une sorte de sceptre d'Or prit la tête en me tenant, intimidé, par la main. Les cloches tintaient lugubrement dans la nuit lourde. J'étais rempli d'angoisse et je contemplai par en dessous la mine sombres des officiants complètement métamorphosés.
Notre procession parcourut les rues autour de l'église en chantant d’étranges chants latins dont je ne comprenais point la signification. Mais je devinais qu'ils célébraient la gloire du Tout-puissant, mais du Tout-puissant Noir, de Satan pour tout dire.
Nous ne rencontrâmes qu'un homme au cours de notre marche, mais il s'enfuit bien vite et disparut terrorisé.
Nous devions en effet faire peur à voir avec notre ferme détermination et notre air terrible. Enfin nous arrives à l'église du château.
Jetant un oeil aux motifs qui ornaient les murs, je me rendís compte qu’ils étaient en fait fort dissemblables de ceux qui ornait les églises ordinaires, avec d'autres sculptures assez horribles à voir, et, d'autres symboles ínconnus de moí.
Nous pénétrâmes par la grande porte par laquelle jaïssaít une violente musique étrange et saccadée que je n'avais jamais entendue. Je trempais, comme les autres, ma main dans le vaste bénitier et fit un signe de croix à l'envers, comme je le vis faire à Sardonica. A ma profonde surprise c'était du sang frais qui se trouvait daas 1a vasque et j'en répandie une petite tache sur mon front. Me tenant toujours par la main, Sardonica me mena à l'autel brillamment illuminé de lueurs tremblottantes.
A 1a place du Christ, un superbe Satan taillé dans un corps noir, un Satan grimaçant et triomphant avec à la main un sceptre d'Or, juché sur uze boule d'Or qui devait représenter notre monde et qu'í1 foulait aux pieds dédaigneusement. Tous nous nous agenouillâmes devant le Prince des Enfers pendant que mes compagnons psalmodiaient des incantations magiques.
Mon oeil stupéfaít allait de Sardonica à la représentation du Démon. Il avait la même grâce allongée, une queue comme elle-même, les mes mains fines et vigoureuses pour saisir comme un piège d’acier,et ce quelque chose d'indiciblequi lui donnait même expression.
Sardoníca semblait ímpressionée, pour la première fois de sa vie, et les larmes aux yeux, elle balbutiait des paroles incohérentes: « O toi Grand Prince Noir des Ténèbres. O Toi Divin Prince… », puis elle se releva pour diriger l'office qui allait se dérouler.
Je compris víte que j'étais le premier concerné par cette cérémonie. On ne fit revêtir un habit noir d'impétrant, un peu comme celui des autres que l’on tira d'un réduit. Et Sardonica me mit face aux autres réunis en cercle autour de l'autel. La lueur des cierges faisait ressortir leurs faces blanches et lugubres.
Elle fit une sorte de discours : la résonance des voutes donnait un plus grand pouvoir encore aux sons de sa voix et me terrorisait.
Elle me présenta au demi-cercle noir et déclara que j'avais bien secondé le Grand Prince Noir jusqu'à présent en différentes occasions, que je faisais partie de ses officiers, mais qu'aujourdtui j'allais entrer dans le clergé secrêt de ceux qui participent à son culte et communient avec son esprit. Passer du matériel au spirituel en quelque sorte.
Sardonica me fit agenouiller devant elle, baiser son sceptre représentant une patte griffue de panthère et jurer trois fois que je lui obéirais fidèlementen toutes occasions, ainsí qu'à Satan; pour sa plus grande gloire.
Je jurais ce que l'on voulut comme dans un état second, n'ayant plus aucune force pour résister, mais me rendant cependant très bien compte de ce que je faisais.
« Mes frères » interrogea Sardonica «désirez vous du frère Dimitri en votre glorieuse Société ? »
« - Oui, nous le voulons ! »
« - Croyez-vous que 1e frère Dímitrl servira bien notre Eglíse des Témèbres, fidèlement et en tous lieux ? »
« - Oui, nous le croyons ? »
Elle me posa les mains sur les épaules, me regardant droit dans les yeux de son regard insoutenable. « Je te déclare entré dans le clergé de Satan. Tâche d'en être digne. »
Et elle me donna l'accolade en m'embrassant. Je me relevai et tout le monde entonna 1e chant à 1a gloire de Satan, divin Maître de l'Obscur et des Ténèbres.
Je me trouvais donc moí - Pretre de Dieu -à être passé dans le camp des forces du Mal, et, sans grande résistance... C'était difficile à croire, et tout ceci pour l'amour de Sardonica et peut-être aussi poussé par mon orgeuil et ma volonté de domination sur les autres.
Et nous retournâmes en procession, en chantant, à nos demeures respectives, les gens semblant prendre bien garde à ne point se montrer. Alors que j'arrivais chez moí, Sardonica me murmura à l'oreille: « Je compte faire de toi le Grand Evêque Noir, celui qui commandera à l’ensemble de mon clergé. »
J'étais tout abasourdi par cette révélation, moi qui n'avais jamais su exactement jusqu'alors quels étaient lez desseins de Sardonica à mon égard.
Et je compris pourquoi elle m’avait choisi dès le séminaire avec tant de soins. Le Grand évêque noir; chef spirituel du clergé infernal....
Cette nuit là, je m'endormis avec un sommeil lourd et peuplé de rêves.
Je me voyais sur un trône d'or en évêque noir, tantôt faisant des chose extraordinaires, et tantôt endurant de grandes souffrances.
(A suivre)