Entretien THOMAS KING
La série des DreadfulWater se distingue dans votre œuvre puisque vous abordez le roman policier pour la première fois. Comment est né ce projet et pourquoi ce changement de genre ?
Si j’ai commencé la série des Dread- fulWater, c’est d’abord parce que je suis moi-même amateur de romans policiers. Au cours de ma carrière d’écrivain, je ne m’en suis pas tenu à un seul genre. J’ai produit des romans littéraires, des nouvelles, de la poésie, des essais, des scénarios et des romans policiers. Dans tous les cas, il s’agit de raconter une histoire.
Votre roman est moins politique, moins centré sur les conditions de vie des autochtones et l’histoire peu glorieuse des relations avec les Blancs. Pourquoi ce choix d’un propos plus léger ?
À mes yeux, tous mes romans sont politiques. C’est simplement l’approche qui diffère. Certains de mes livres sont explicitement politiques, d’autres moins. L’importance et la force du propos politique dépendent de la nature du projet et de l’objectif que je poursuis.
Vous accordez une place à l’humour, au ton parfois grinçant dans les échanges, à une tendre ironie et à la vivacité d’esprit chez vos personnages. Est-ce une tendance naturelle, chez vous, d’instaurer ce genre de rapport entre vos protagonistes ?
J’aime les personnages dotés d’une forte personnalité et en particulier les personnages coriaces et opiniâtres. La satire et l’humour sont à la base de mon travail. Par-dessus tout, je prends plaisir à créer des personnages avec lesquels j’ai envie d’inter- agir.
Beaucoup de vos personnages ont des tempéraments affirmés et leurs reparties avec Thumps sont mordantes à souhait. Ça vous amuse de mettre Thumps sur la corde raide ?
Tous les personnages devraient être sur la corde raide.
Étant autochtone, Thumps est en meilleure position que les policiers blancs pour avoir la confiance des membres de la réserve et faire progresser son enquête. Diriez-vous qu’il peut servir de contrepoids à la justice des Blancs ?
Je ne conçois pas Thumps comme un contrepoids à l’injustice des Blancs. Il sait qu’elle existe et, quand elle se manifeste, il est prêt à intervenir. Mais il vit dans une collectivité composée d’Autochtones et de non-Autochtones. Il s’agit pour eux de travailler ensemble.
Meurtres avec vue ne joue pas la corde sensible des antagonismes autochtones/blancs. On sent peu d’acrimonie entre les communautés et les relations sont plutôt cordiales. Est-ce le souhait d’écrire une fiction où il y aurait de meilleurs rapports entre les nations ?
Il est relativement facile de poser un regard sur l’acrimonie entre Autochtones et Blancs. Il m’apparaît plus intéressant d’examiner les points de convergence entre eux. Les conflits perpétuels ne sont dans l’intérêt de personne.
Thumps, votre personnage principal, est un ex-policier devenu photographe. La photographie est-elle une pratique artistique que vous affectionnez particulièrement ?
J’ai été photographe longtemps avant de devenir écrivain. Je maîtrise encore la photographie, mais on ne peut pratiquer sérieusement qu’une seule forme d’art à la fois. Faire de Thumps un photographe me permet de garder un pied dans les deux.
La nature et l’attrait des paysages contribuent à créer des ambiances intéressantes dans votre roman. Quelle place accordez-vous à l’environnement dans la construction de votre œuvre romanesque ?
Les préoccupations environnementales sont au cœur de mon écrit- ure. Quelle que soit notre ethnicité, nous ne disposons que d’une seule planète. Devant l’état actuel de la destruction — des océans, des forêts humides —, je ne suis pas sûr que nous réussissions à nous survivre à nous-mêmes.
Thumps DreadfulWater est tiraillé par un drame personnel qu’il tente d’oublier mais qui demeure en arrière-plan. Les démons de son passé ne sont pas très loin. S’agit- il d’une histoire qui rattrapera Trumps dans la série ?
Thumps est tiraillé par plusieurs démons. Certains sont exorcisés. D’au- tres continuent de le hanter tout au long de la série. Évidemment, nous avons tous besoin d’un démon ou deux dans notre vie, ne serait-ce que pour nous rappeler que nous sommes vivants.
Remerciement à équipe d’ALIRE.
Biographie/ Bibliographie de l’auteur :
Thomas King, né le 24 avril 1943 à Roseville (Californie), est un romancier, essayiste et un animateur de télévision canadien connu pour ses écrits sur les premières nations dont il se veut l'ardent défenseur. Il est de descendance cherokee, grecque et allemande.
Biographie
Né aux États-Unis, il travaille d'abord comme photojournaliste en Australie avant de s'établir au Canada en 1980. Actuellement professeur d'anglais à l'Université de Guelph, il habite à Guelph en Ontario. Il est le créateur d'une émission de radio appelée The Dead Dog Cafe Comedy Hour, une série sur CBC Radio One.
King est choisi pour animer les conférences Massey de 2003, et il livre une présentation intitulée The Truth About Stories: A Native Narrative. Premier conférencier autochtone, il examine l'expérience autochtone dans la littérature orale et écrite, l'histoire, la religion et la politique, la culture populaire et la protestation sociale dans le but de donner un sens à la relation qu'entretient la société nord-américaine avec ses peuples autochtones.
Également romancier, il remporte le prix du Gouverneur général 2014 pour son roman The Back of the Turtle, traduit en français sous le titre La Femme tombée du ciel.
Œuvres
1987 : The Native in Literature
1988 : An Anthology of Short Fiction by Native Writers in Canada
1989 : Medicine River
1990 : All My Relations
1992 : A Coyote Columbus Story
1993 : Green Grass, Running Water
- publié en français sous le titre L'herbe verte, l'eau vive, Albin Michel (2005)
1993 : One Good Story, That One
1998 : Coyotes Sing to the Moon
1999 : Truth and Bright Water
2002 : Dreadful Water Shows Up
- publié en français sous le titre Un indien qui dérange, Liana Levi (2021)
2003 : The Truth About Stories
2005 : A Short History of Indians in Canada: Stories
2006 : The Red Power Murders: A DreadfulWater Mystery
- publié en français sous le titre Les Meurtres du Red Power, Les Éditions Alire (2021), réédition sous le titre Red Power, Liana Lévi (2022)
2012 : The Inconvenient Indian: a curious account of Native People in North America
- publié en français sous le titre L’Indien malcommode : un portrait inattendu des Autochtones d’Amérique du Nord, Les Éditions du Boréal (2014)
2014 : The Back of the Turtle
- publié en français sous le titre La femme tombée du ciel, Philippe Rey (2017)
2018 : Cold Skies
2019 : A Matter of Malice
2020 : Obsidian
2020 : Insurrection
2020 : Indians on Vacation
Honneurs
Nomination au Prix du Gouverneur général en 1992 et 1993
Membre de l'Ordre du Canada, 2004
Lauréat du Prix littéraires du Gouverneur général 2014 pour son roman The Back of the Turtle (La femme tombée du ciel [archive], Mémoire d'encrier, 2016)