Les Voies de Tim Powers
J’ai découvert cet auteur lors de sa première et discrète publication chez « J’ai Lu » en 1986, tout à fait par hasard, en furetant dans une librairie généraliste de province. Le roman s’intitulait « Les Voies d’Anubis », et comportait une belle illustration de couverture réalisée par le grand Caza. Mais il était noyé dans la masse des autres « J’ai Lu », sous la mention « Science-fiction », c’est donc par le plus grand des hasards que je l’ai acheté.
D’abord, je ne pense pas que Tim Powers écrive de la science-fiction. Même si « les Voies d’Anubis » conte une histoire de voyage temporel, et que le moyen de parvenir à se déplacer dans le temps est vaguement habillé d’un jargon pseudo-scientifique, il ne s’agit que d’un prétexte grossier, dont l’auteur se débarrasse d’ailleurs assez vite. Je crois plutôt que monsieur Powers est un esprit un tantinet sadique, qui n’aime rien tant que projeter ses héros dans des situations intenables, invraisemblables, et qui s’amuse à leur faire subir les pires avanies. En effet, le héros des « Voies… » est un universitaire américain pas très heureux (il est traumatisé par l’accident de moto qu’il a provoqué et qui a coûté la vie à sa femme), pas très sportif et pas très aventureux. Bref, il est presque un anti-héros, paisible et timoré, un spécialiste de la littérature anglaise parmi tant d’autres professeurs obscurs, que rien ne prédestine à vivre des aventures grand-guignolesques à travers le temps et l’espace.
Contacté par un milliardaire aussi retors que cancéreux au dernier degré, notre Brendan Doyle vient à Londres pour donner une conférence sur Coleridge. Très vite, il s’aperçoit que tout n’est pas aussi simple : en fait, le richissime mourant manigance un voyage dans le temps, dont le but avoué est d’assister à une causerie donnée par le poète en 1810 ! Appâté par la curiosité littéraire, Doyle accepte de partir à travers une brèche temporelle, afin de rencontrer Coleridge en chair et en os, et aussi pour glaner quelques renseignements sur un poète énigmatique, William Ashbless.
Bien évidemment, rien ne se passe comme prévu, et le malheureux Brendan va se retrouver projeté dans les bas-fonds de Londres où il subira toutes les mésaventures possibles et imaginables, dont il ne sortira pas indemne, ni physiquement, ni moralement.
« Les Voies d’Anubis » est un roman inracontable, frénétique, plein de fantaisie et d’humour cruel. À contre-courant des tendances du fantastique actuel, timoré et formaté pour plaire au plus grand nombre, c’est aussi un livre exigeant. Car Powers est aussi un érudit, capable de situer son récit dans des lieux précis, et dans un contexte historique bien défini. Qu’il évoque le Londres crapuleux ou celui de Lord Byron, ou bien Le Caire après le retrait des Français, cet auteur-là sait jouer de la suspension d’incrédulité en insérant ses péripéties imaginaires dans un cadre réaliste minutieusement mis en place. Donc, pour bien apprécier l’ouvrage, il est peut-être recommandé d’avoir un minimum de culture et de curiosité intellectuelle, de savoir que Coleridge n’est pas l’avant-centre de Manchester United, et qu’un mameluk n’est pas une pâtisserie orientale…
Alors si les clowns échassiers ne vous font pas peur, si vous voulez rencontrer des mages égyptiens dégénérés, si vous voulez assister à une fête foraine en 1666 sur la Tamise embâclée, si vous voulez savoir comment un loup-garou fait pour s’épiler, empruntez « Les Voies d’Anubis », vous n’en sortirez peut-être pas indemne, vous non plus…
En conclusion, j’envie les lecteurs qui vont découvrir Tim Powers aujourd’hui, grâce aux grâce aux rééditions grand format qui sont sorties en librairie chez d'autres éditeurs !
Serge Rollet.