Interview de l'éditrice Corinne Bertrand
(Les Futurs de Liu Cixin)
L'actu BD
Quand la bande dessinée rencontre Liu Cixin, le plus grand auteur contemporain de Science-Fiction contemporaine chinoise. Son œuvre, vendue à des millions d’exemplaires dans le monde entier, fait maintenant une entrée spectaculaire dans l’univers de la bande dessinée !
Découvrez cette collection SF
La collection Les Futurs de Liu Cixin est constituée de quinze ouvrages tirés de nouvelles de l’écrivain du best-seller Le Problème à trois corps. Le lecteur y découvrira, dans toute leur diversité, les extraordinaires qualités qui ont fait son succès.
Cet ingénieur dans le civil fait entrer en collision des sciences comme l’astrophysique, la géo-ingénierie ou la génétique, avec « ce qui nous rend humain » : notre savoir-faire, notre créativité, notre courage. De sa plume, il fait surgir des futurs quantiques sous des éclairages révélateurs tels que l’économie, l’histoire ancienne ou contemporaine, l’éducation ou l’art de la guerre...
La science-fiction lui permet de placer la société humaine dans le plus vaste des contextes, celui où les enjeux, et les dangers, sont hors norme. Les Futurs de Liu Cixin est le fruit d’une collaboration internationale inédite, rendue possible par une directrice de collection qui a passé cinq ans en Chine. Elle rassemble des auteurs venus de tous horizons : Chine et France bien sûr, mais aussi États-Unis, Argentine, Uruguay, Espagne, Belgique, Japon, Serbie et Bosnie Herzégovine…
Chaque ouvrage de la collection constitue un récit autonome, sa pagination est taillée sur mesure. Et pour ajouter à la dimension visuelle du projet, des pages panoramiques grandioses se déploient à des moments-clés du récit.
L'interview de l'éditrice Corinne Bertrand
Racontez-nous comment vous avez commencer à travailler sur cette collection ?
Au printemps 2017, je vivais à Shanghai avec mari et enfant ; j’enseignais à l’université Jiaotong comme professeur de Français Langue Étrangère, tout en poursuivant à distance mon métier de directrice de collection indépendante en bande dessinée. À 50 ans, je répondais à notre envie d’expérience en immersion dans une culture étrangère. Mon mari est auteur de BD ; nous fréquentions naturellement divers acteurs de ce milieu. Un jour, Li Yun, fondateur de la maison d’édition chinoise FT Culture, agent littéraire et détenteur des droits mondiaux des nouvelles de l’écrivain chinois Liu Cixin, nous invite à embarquer dans son projet ambitieux : pour développer la bande dessinée tous publics dans son pays et tirer partie de l’intérêt des lecteurs du monde entier pour cet écrivain de SF, il souhaitait adapter 15 de ses nouvelles en bande dessinée pour le marché mondial.
Li Yun s’était rendu deux fois au FIBD d’Angoulême, où il fut subjugué par la pluralité de notre marché, la profusion des genres, des graphismes et le niveau qualitatif de notre production. Il a déterminé que sa collection serait de « qualité française ». Un éditeur chinois qui allait produire une collection de bande dessinée tout public « à la française » et « worlwide quality », voilà un défi exceptionnel ! Mais il manquait de compétences indispensables en termes de création éditoriale et de contacts d’auteurs internationaux. Vu l’originalité des récits de Liu Cixin, et la dimension totalement inédite de cette création éditoriale, j’ai vite intégré cette aventure excitante.
Terre imaginé par Liu Cixin
Quels ont été les plus gros challenges que vous avez rencontrés dans la création de cette collection ?
Le premier casting pressenti de l’éditeur chinois était disparate en terme de styles, il y avait très peu d’artistes asiatiques, aucun du continent Nord américain, par exemple. Or, il envisageait son déploiement international avec force. J’ai alors proposé d’autres noms d’auteurs confirmés, scénaristes, dessinateurs, coloristes, élargissant la collection à plusieurs pays où la BD a une histoire et un marché. Finalement, ils sont 32, venus de 11 pays.
Mon rôle fut ensuite d’accompagner leur travail d’adaptation et de création. Qui dit collection internationale dit extension du travail éditorial à une gestion des standards techniques et à la nécessaire plasticité culturelle de la collection. Certains sujets ne s’expriment pas de la même façon en Orient et en Occident. Il a fallu beaucoup discuter pour expliquer une intention qui pouvait paraître brutale ou inappropriée. Ce n’était pas toujours facile, mais nous étions tous motivés, éditeurs et auteurs, à jeter ce pont entre toutes nos cultures.
Certains auteurs ont dû adapter leur narration au format plutôt européen du livre, puisque c’est le choix qu’avait fait FT Culture. Travailler avec la Chine ne ressemble en rien au travail avec d’autres pays européen. Le système hiérarchique, la censure qui octroie la validation finale et l’autorisation de commercialisation… C’était assez mouvementé. Mais les livres sont aujourd’hui publiés en édition chinoise, allemande, anglaise et américaine.
Futur de Liu Cixin
Les histoires ont une certaine universalité dans le propos, pourtant l’éditeur chinois ainsi que les auteurs sont tous de cultures très différentes. Comment as-tu réussi à concilier les attentes, les envies et les desiderata de tous ?
J’ai beaucoup discuté d’édition et de bande dessinée avec Li Yun au préalable. Il fallait qu’il accepte que ce travail « de commande » intègre une dose certaine de liberté pour attirer des auteurs réputés et valoir la peine sur les marchés mondiaux. Cela impliquait que dans la mesure du possible, les auteurs puissent choisir leur récit, délaisser des pans du récit original au profit d’autres.
Li Yun a défini un seul axe « respecter les valeurs humanistes de l’écrivain d’origine ». Rien ne va « de soi » quand on travaille avec plusieurs cultures. Copier les maîtres est en France un travail artistique relativement méprisé, mais il est valorisé en Chine. Passer de notre pays, où tout peut être exprimé très librement, à la Chine, soumise à la censure, a demandé pas mal de contorsions. Résultat : ces adaptations sont relativement fidèles aux récits originaux.
On a regardé beaucoup de livres en librairies, surtout pour réaliser les couvertures de l’édition chinoise. Les albums sont là-bas publiés en format broché avec rabats, et c’est un illustrateur canadien, Nicolas Vallet, qui travaillait aussi comme character design pour le cinéma à Beijing (entre autre sur le film The Wandering Earth), qui les a réalisées. (C’est l’image reproduite en page de titre de notre édition française.) Li Yun a demandé à ce qu’aucun personnage ne figure en couverture. Il souhaitait des cadrages forts des vues d’ensemble impressionnantes. On est loin de notre habitude française à tout miser sur le personnage principal comme point d’entrée d’un récit ! Tout le monde a bien compris que ce changement de prisme était nécessaire.
Liu Cixin
Comment ont été choisies les nouvelles à mettre en images ?
C’est l’éditeur chinois qui les a sélectionnées. Il les connaît toutes très bien et avait une idée précise de celles qui étaient dignes d’intérêts, ne serait-ce que pour le public chinois. Liu Cixin a une stature de star, en Chine ! Ses lecteurs se comptent en dizaines de millions et les nouvelles figurent toutes aux préconisations de lecture officielles du Ministère de l’éducation. Autant dire que les parents suivent ces listes de près. Le public de la collection, en Chine, est plutôt jeune, des enfants à partir de 10 ans jusqu’aux adultes.
J’ai lu les nouvelles sélectionnées, découvert qu’elles étaient toutes très différentes dans l’espace et le temps, d’une écriture bien différente de nos standards, des héros quasi absents, et j’ai rédigé de nombreuses notes de lecture pour définir les contours de cette collection. C’était un long travail préparatoire, quelques mois, absolument nécessaire pour partager nos visions, nos écarts de positionnement. C’est à ce moment-là que sur certaines histoires, j’ai une idée assez claire de quel auteur serait vraiment génial pour l’adapter.
Ville futuriste
Est-ce que Liu Cixin a suivi de près le projet ou a-t-il laissé le champ libre au coté artistique de cette formidable initiative ?
Ce sera mon grand regret : les auteurs et moi-même avions des tonnes de questions à lui poser durant la production mais ça n’a pas été possible. C’est sans doute un homme public très occupé. C’est quelqu’un qui semble assez secret, ou bien il souhaite le rester. Je ne suis pas certaine qu’il soit grand lecteur de bandes dessinées. Pourtant, il a apprécié cette collection : j’ai vu un petit film promotionnel en chinois où il soutient cette collection particulièrement inédite en Chine. Et puis, il a eu la gentillesse d’écrire la préface de notre édition française. Qu’il en soit remercié. Il a laissé le champ totalement libre aux artistes, les a tous remerciés pour leurs talents à faire fleurir ses mots.
Explosion dans l'espace
Mener un projet d’une telle envergure a dû être très instructif, qu’as-tu appris de cette aventure ?
La liste serait trop longue et il n’y a pas de réponse simple. Ce projet est intimement lié à mon expérience d’immersion et de découverte d’un pays à l’opposé du nôtre sous bien des aspects. J’ai fait le choix de ne pas repartir en Chine en 2020 (pour des raisons familiales liées au Covid) et la Chine s’est refermée. De nouveaux vents de difficultés insoupçonnées ont soufflé sur cette production. Mais heureusement, l’intérêt éditorial est un moteur puissant.
Futur de Liu Cixin
Travailler sur le plan international, c’est s’adapter en permanence ; rester l’esprit ouvert (pas toujours facile !), faire l’équilibriste pour préserver son objectif de cœur et professionnel, sans renoncer à sa nature, à ses valeurs. J’ai eu la chance d’être aidée par une autrice de BD chinoise qui parle français et a étudié à L’EESI. Elle aussi m’a donné de précieuses clefs de compréhension (xie xie ni, Leii !). De toute façon, un éditeur est un passeur d’univers artistiques comme un enseignant est un passeur de savoir. C’est humain, et c’est fatalement complexe en raison du facteur environnemental.
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Les Futurs de Liu Cixin - L'Océan des rêves
Avant-dernier volume de quinze.
Ce tome aborde des questions, de la place de l’art dans notre société humaine.
Avec des dimensions scientifiques, particulièrement quantiques, géopolitiques et humanistes.
Il s’agit comme à chaque fois d’un récit complet pouvant donc être lu séparément les uns des autres.
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15 récits de l'écrivain de SF Liu Cixin adaptées en BD par des auteurs de tous pays ; 15 voyages quantiques à la croisée des dimensions scientifiques, géopolitiques et humanistes, qui imaginent les futurs possibles de l'humanité.
Une créature extraterrestre issue de la matière noire s'invite au festival de sculptures sur glace de Harbin. Sa technique comme sa démarche artistique sont radicales : l'entité pille littéralement les cours d'eau, les mers et les océans du globe. Elle reste sourde à nos tentatives de négociations et indifférente à la dissuasion militaire. L'humanité semble perdue...
Rodolfo Santullò
Illustrateur,Scénariste
JOCK
Dessinateur, Scénariste, Coloriste, Encrage, Couverture, Préface anglais
Artiste protéiforme né en 1972, oeuvrant autant dans le comic-book que sur la production de design de pour le cinéma (Hancock, Les Fils de l’Homme, Batman Begins), Mark Simpson, dit Jock, entame sa carrière au début des années 2000 en Angleterre dans le magazine mythique 2000AD. Il se fait remarqué sur Judge Dredd, lors de sa collaboration avec le scénariste Andy Diggle, qu’il suivra aux Etats-Unis sur Green Arrow : Year One et surtout la série Vertigo, The Losers. Il réalise également pour ce label Hellblazer : Pandemonium avec Jaimie Delano, Faker avec Mike Carey et assure entre autres la réalisation des couvertures de la série Scalped, de Jason Aaron et R.M. Guéra. Il rejoint Scott Snyder et Francesco Francavilla sur les deux derniers arcs de la série Detective Comics (#871 à #881), « The Black Mirror » et « Hungry City ». Jock a remporté en 2001 le National Comics Award dans la catégorie Meilleur Jeune Illustrateur et a été sélectionne en 2006 pour l’Eisner Award du Meilleur Illustrateur de Couverture pour la série The Losers.